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La résistible ascension d’Emmanuel Badinguet
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http://la-sociale.viabloga.com/news/la-resistible-ascension-d-emmanuel-badinguet
Par Denis Collin
On pensait que Macron était simplement un produit de marketing promu par les BNP (Berger, Niel, Pigasse), par Drahi et par la crème du capital financier et médiatique. Ce qu’on avait mal estimé c’est la nature du projet politique. On savait que la ligne Macron était l’ubérisation de l’économie, la destruction du code du travail avec toutes les autres conséquences de la « concurrence libre et non faussée ». Mais on aurait dû comprendre que ce coup de force social, cette révolution contre l’État social modèle 1945 nécessitait une aggravation sans précédent du caractère bonapartiste autoritaire de la Ve République. Du défilé des Champs Élysées en véhicule militaire jusqu’à la réunion du congrès de lundi prochain, les symboles et les actes définissent une ligne :
- l’ordre (militarisé) avec la mise en place d’une unité spéciale de « lutte contre le terrorisme » – c’est-à-dire en fait vouée à « l’ordre intérieur » placée directement sous le contrôle du président – et non sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur et de la Justice ;
- le projet d’intégration de l’état d’urgence à la loi ordinaire, autrement dit faire de l’état d’urgence la règle normal de la république, ce qui implique de nouveaux coups portés à la séparation des pouvoirs et l’octroi à l’exécutif et à l’administration de pouvoirs incompatibles à toute conception libérale de l’organisation des pouvoirs publics ;
- les ordonnances pour détruire le droit du travail veulent mettre à bas tout l’édifice du droit social dans ce pays, patiemment construit depuis plus d’un siècle et demi ;
- la convocation du congrès pour la communication du président le lundi 3 juillet s’inscrit dans la ligne d’inflexions successives qui visent à supprimer tout ce qui pouvait rester de parlementaire dans la constitution. En définissant devant les parlementaires, sans débat, les grandes orientations du gouvernement, Macron met en cause l’article 20 de la constitution qui stipule que « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l'administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50. » Macron entérine le position de Sarkozy qui définissait le premier comme son « collaborateur ».
L’organisation même de l’exécutif concentre tous les pouvoirs à l’Élysée. Les conseillers du président et ceux du premier ministre sont les mêmes. Il y a une fusion entre l’Élysée et Matignon et donc Philippe est un hologramme de Macron. Rien d’autre. La création d’une force spéciale placée directement sous le contrôle du PR va dans le même sens.
Dans la presse, on assiste à un nettoyage sournois mais efficace : les ruptures de contrat dont Natacha Polony a été la victime en sont un signe parmi d’autres. On signale des cas de censure assez nombreux dans la presse écrite : les Échos, par exemple, ont censuré une chronique bien modérée du social-démocrate Michel Broué. Face à ces menaces, la plupart des journalistes redoublent de zèle. Il y a encore 10 ans que le président de la république se fût proclamé « jupitérien » eût hurler de rire la France entière. Aujourd’hui, presque rien ! Quelques jours plus tard, le ministre de l’économie, M. Le Maire s’est lui-même qualifié d’Hermès, le messager des dieux ! Plus rien n’arrête ces gens-là. On en arrive à se demander quand Emmanuel Macron proposera de ceindre la couronne impériale. Il pourrait prendre le nom de Napoléon IV…
La vraie nature du régime s’éclaire singulièrement. Il s’agit d’un régime bonapartiste – pour reprendre la qualification de Marx – ou encore de ce césarisme qui était la hantise de tous les républicains d’antan. Quand De Gaulle fonde la Ve république, il a une idée directrice : le pouvoir c’est la rencontre d’un homme et de la nation, via l’élection plébiscitaire du président. Tous les autres pouvoirs n’ont aucun autonomie réelle et son de simples relais de « l’homme de la nation ». Tout cela est déjà clairement explicité dans le discours de Bayeux de juin 1946. Le régime réellement mis en place en 1958 ne correspondait pas exactement à ce projet. Il avait fallu composer : la SFIO par Guy Mollet interposé voulait bien de la nouvelle constitution mais sans détruire tout parlementarisme. Michel Debré définissait le régime comme un « régime mixte ». Mais ce régime recèle en lui des contradictions que les périodes de cohabitation ont bien montré : dans ces périodes il fonctionne pratiquement comme un régime parlementaire presque « normal ». C’est pourquoi la première grande manœuvre pour en finir avec caractère mixte a l’opération Chirac-Jospin de 2001 : réduction du mandat présidentiel à 5 ans et inversion du calendrier électoral de telle sorte que l’assemblée nationale ne soit que la projection de l’élection présidentielle et que soit écarté le risque de la cohabitation. La présidence de Sarkozy a renforcé cette orientation, notamment avec la possibilité d’un discours direct du président au congrès – au paravent le président ne pouvait qu’envoyer des messages et présence physique du président devant les parlementaires a une portée symbolique et politique forte. En quelques jours, le pouvoir macronien a donné une nouvelle impulsion à cette marche vers le régime du « pouvoir personnel », c’est-à-dire vers un régime bonapartiste, autoritaire dont le pilier n’est plus la représentation national mais l’appareil d’État concentré entre les mains de l’exécutif.
Depuis les années 80, on plaint dans ici et là du triomphe du libéralisme. Si les capitalistes ne rencontrent plus guère de limites à leurs ambitions, il ne s’agit nullement de libéralisme. Plus que jamais l’État est au main du capital financier – tout comme Marx l’avait analysé en 1852 après le coup d’État de Louis Bonaparte. Mais cette mainmise du capital financier implique la liquidation de toutes les formes même les plus innocentes du libéralisme politique classique. Il ne s’agit pas d’une question purement française. Les mêmes tendances au « pouvoir personnel » se manifestent un peu partout. Au États-Unis, c’est Trump qui se heurte à la constitution américaine et au caractère fédéral très décentralisé du pouvoir politique. Trump s’inscrit dans un direction politique où l’on trouve aussi Poutine et Erdogan, mais aussi les tendances d’un Matteo Renzi pour limiter drastiquement le parlementarisme italien et achever ce que Berlusconi n’avait pas pu mener à bien. Macron prend sa place dans ce tableau. Mais rien n’indique qu’il pourra mener à terme son entreprise. En dépit de l’unanimisme médiatique, la majorité des citoyens n’est pas encore prête à crier « Vive l’Empereur ».