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Mort d’un élève de Saint-Cyr : les valeurs très spéciales de l’école militaire
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La plainte déposée après que Mickaël Lavocat, 22 ans, s'est donné la mort, met en lumière des soupçons de racisme, de misogynie et d'autorité "traditionnelle" au sein de l'école.
t sa dernière année, la troisième, son dernier stage d’entraînement aussi. Mickaël Lavocat, 22 ans, touchait son but. Il a été retrouvé le 9 février 2016 au matin dans le baraquement 74 du camp militaire de La Courtine dans la Creuse. Assis sur les toilettes, le front appuyé contre un fusil Famas dressé à la verticale. Le colonel, commandant de bataillon et de promotion, interrogé par les gendarmes le jour même, raconte avoir couru avec un capitaine sur les lieux du drame :
"J’ai constaté une mare de sang sous la porte. […] A la découverte du corps, je ne parvenais pas à identifier le jeune. Je ne l’ai pas touché. Compte tenu de sa couleur de peau basanée j’ai hésité entre trois élèves."
Suicide à Saint-Cyr : une enquête classée trop vite ?Mickaël Lavocat avait rejoint l’école spéciale militaire de Saint-Cyr dans le cadre des pupilles de l’air de Grenoble. Issu d’un milieu modeste, avec une mère aide-soignante d’origine éthiopienne, un père militaire parti vivre en Afrique, le jeune homme est décrit par son commandant comme "enthousiaste", "bon camarade", "avec toujours le sourire". Il était classé 81e sur 136. Saint-Cyrien comme son père, Mickaël Lavocat était jugé "particulièrement dynamique", "bon élément", "très ambitieux". Sa "fiche individuelle d’évaluation", rédigée en septembre 2013 par l’officier psychologue, évoque un homme "très ouvert", qui "semble accepter la critique", qui se montre "altruiste", acceptant "les gens comme ils sont", lui.
Parmi les cinq items renseignés, le "goût à l’effort", le "rapport à l’autorité", la "maîtrise de soi", la "remise en question", il y a le "rapport à la collectivité". Où l’on découvre que la prestigieuse école militaire semble prôner sans scrupule la misogynie et la xénophobie. La psychologue ESCC (écoles de Saint-Cyr Coëtquidan) écrit ainsi à propos de Mickaël Lavocat :
"Il est assez réservé au départ et n’adhère pas forcément aux valeurs saint-cyriennes, surtout celles concernant le rejet des filles ou des étrangers par exemple."
Et d’ajouter cette phrase énigmatique : Mickaël Lavocat "trouvera des amis s’il a de la chance mais sa priorité est de réussir. Il peut donc se montrer manipulateur dans ce contexte". Un contexte bien particulier, où Mickaël surnomme son camarade de chambre "nazi" ! Valeurs et ambiance spéciales donc au programme de Saint-Cyr… Une école qui prétend à l’excellence, qui forme des officiers destinés à encadrer les unités opérationnelles de l’armée de terre, puis à assumer des responsabilités de conception et de direction au sein des régiments et des états-majors.
Des nombreux manquements
La mère de Mickaël Lavocat, Weyneshet Masmur, aujourd’hui conseillée par l’avocat pénaliste Yassine Bouzrou, a déposé une plainte pour assassinat immédiatement après la mort de son fils. Aucune suite n’y a jamais été donnée. En mai 2016, l’enquête préliminaire classait l’affaire en suicide simple, tout comme l’enquête de commandement ordonnée par l’ex-ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Parce que le jeune homme avait recherché sur internet les doses mortelles de certains médicaments, et fait part à sa petite amie d’un mal-être. Mais la justice n’a pas jugé nécessaire d’attendre le classement, ni même le traitement de la plainte pour assassinat, pour restituer les vêtements et effets personnels de la victime, non à sa famille, mais à l’école Saint-Cyr.
Weyneshet Masmur et Me Yassine Bouzrou considèrent que le procureur de la République de Guéret, qui a ainsi pris des mesures "destinées à faire échec à l’exécution de la loi", a abusé de son autorité. Ils demandent un dépaysement de l’affaire, le renvoi de la procédure devant un autre tribunal. Car la mère de Mickaël Lavocat n’entend pas en rester là. Elle a formulé une nouvelle plainte en janvier 2017, cette fois avec constitution de partie civile, pour "provocation au suicide". Et une autre encore, la semaine dernière, pour "modification de l’état des lieux d’un crime", visant huit militaires, dont deux colonels et un capitaine. Pour Me Yassine Bouzrou, il est "impossible d’exclure que Mickaël Lavocat ait été victime d’un homicide volontaire, et de nombreux actes d’enquête devront être effectués afin d’établir les circonstances de son décès". Sollicité par "l'Obs", le ministère de la Défense n'a pas donné suite à nos demandes.
Le matin de sa mort, Mickaël Lavocat aurait reçu des appels manqués de deux de ses collègues. Jamais dans les quatre mois qui ont précédé le drame, ces militaires n’avaient pourtant tenté de le joindre. L’un a été entendu. Une fois seulement. L’autre, jamais. La plainte, rédigée par Me Yassine Bouzrou, dresse ainsi la liste des manquements et erreurs empêchant selon lui la manifestation de la vérité dans ce dossier.
Exemples. Quelques heures après le drame, le colonel qui a découvert le corps de Mickaël reçoit à 14h30 une demande des gendarmes de la brigade de La Courtine. Ils entendent se déplacer sur la scène de crime pour les besoins de l’enquête. C’est le même colonel qui autorise alors, et dans la demi-heure, militaires et médecins de l’école Saint-Cyr à procéder "au nettoyage du lieu". Plus d’un mois après le décès du jeune homme, un militaire est venu voir les gendarmes de La Courtine. Il se souvenait de choses qu’il n’avait pas dites. En "nettoyant" le 9 février 2016, il a trouvé des "débris métalliques de la balle : deux dans le sang au sol, et un dans le faux-plafond au-dessus des toilettes". Le médecin de l’école Saint-Cyr les a jetés, avec "les déchets corporels". Quant à la dalle du faux-plafond, elle a été remplacée sur ordre d’un lieutenant-colonel. Et a disparu dans une benne destinée à la décharge.
Avant Mickaël, Jallal Hami
Mickaël Lavocat n’est pas le premier à mourir à Saint-Cyr. En octobre 2012, un élève s'est noyé durant "un exercice validé par les autorités militaires", dans le cadre d’une prétendue "formation aux traditions" : la traversée nocturne d’un étang sur environ 50 mètres. Un bizutage, peut-être. Jallal Hami, sous-lieutenant à l’école militaire, avait 24 ans. Elevé en Seine-Saint-Denis, issu d’une famille modeste d’origine algérienne, élève boursier brillant, diplômé de Sciences-Po, il avait intégré l’école directement en troisième année, "sur titre", en raison de son niveau d’études. Il avait dit à son frère qu’à Saint-Cyr, il sentait une petite différence entre lui et les autres. Mais il avait une vraie vocation militaire, il voulait s’engager au service de la France.
Le 29 octobre 2012, il avait participé avec onze autres élèves à une soirée "d’intégration" organisée sur le thème de la Seconde Guerre mondiale. L’épreuve était physique, il fallait nager en treillis et rangers. Quand Jallal Hami s’est lancé, les projecteurs se sont subitement éteints. Une coupure de courant de quelques minutes restée inexpliquée. Son corps inerte avait été retrouvé vers minuit. La famille Hami a aussitôt porté plainte, pointant les "manquements aux règles de sécurité et de prudence". Pas d’encadrants, pas de canot de sécurité. En 2015, trois officiers, dont un général, et cinq élèves officiers ont été mis en examen pour homicide involontaire.
Mickaël Lavocat et Jallal Hami croyaient défendre les valeurs de leur pays à Saint-Cyr. Ils sont morts dans une école militaire "spéciale".