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Qui était le général Lee, l’icône de l’extrême droite américaine ?

histoire USA

Lien publiée le 21 août 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.anti-k.org/2017/08/21/qui-etait-le-general-lee-le-sudiste-devenu-licone-de-lextreme-droite-americaine/

Le commandant des troupes confédérées était avant tout un grand militaire, vénéré par ses soldats. Mais en tant que chef des armées des Etats esclavagistes durant la guerre de Sécession (1861-1865), il est aujourd’hui devenu un symbole bien encombrant.

Portrait du général Robert Edward Lee (1807-1870), commandant des armées confédérées durant la guerre de Sécession. Gravure extraite de « L’histoire universelle », 1892. (LEEMAGE / AFP)

Anne Brigaudeau –France Télévisions – Mis à jour le 20/08/2017

Attentats en Catalogne : où en est l’enquête ?

Chevelure abondante, barbe blanche bien taillée et œil bleu azur fixant l’horizon (ou l’ennemi qui s’avance). Ainsi nous est transmise depuis le XIXe siècle l’image du général Robert Edward Lee (1807-1870), général en chef des armées confédérées durant la guerre de Sécession, devenu une icône sudiste.

Et c’est d’ailleurs le déboulonnage d’une de ses statues qui a servi de prétexte au meurtrier rassemblement de militants d’extrême droite à Charlottesville (Virginie, Etats-Unis), le 12 août 2017. L’un d’eux a en effet foncé en voiture sur la foule de contre-manifestants, tuant une jeune femme de 32 ans, Heather Heyer, et faisant vingt blessés. Mais qui était au juste ce général récupéré par le Ku Klux Klan, par des néo-nazis et des suprémacistes de toutes obédiences ? Qu’en disent les historiens ?

« Un personnage écrasant de l’histoire américaine »

« C’est un personnage écrasant de l’histoire américaine, considéré comme un des meilleurs généraux de son temps », résume à franceinfo Vincent Bernard, l’auteur de la seule biographie en français du général Lee (Robert E. Lee, éd. Perrin, 2014). « Une icône absolue dans le Sud restée, malgré sa défaite, une figure emblématique de la Confédération, renchérit l’historien Farid Ameur, qui a signé La guerre de Sécession aux éditions PUF (2013). Il incarne le gentleman sudiste dans toute sa splendeur. »

Issu d’une riche famille virginienne, le jeune homme se destine très tôt au métier des armes. Il montre rapidement ses aptitudes et sort second de l’académie militaire de West Point, en 1829. « Mais c’est lors de la guerre contre le Mexique (1846-1848) qu’il va faire ses preuves, raconte Farid Ameur. Ce soldat dans l’âme, d’un sang-froid incroyable, qui ne boit pas, ne trompe pas sa femme et applique un code très virginien de l’honneur et du courage, va faire l’admiration de tous. » 

« Il ne se voyait pas faire la guerre à ses voisins »

Pour ce natif de Virginie qui s’élève sans heurts dans la carrière militaire, le vrai coup de tonnerre éclate début 1861. Les premiers Etats du Sud, le Mississippi, la Floride, l’Alabama, la Louisiane, la Géorgie, la Caroline du Sud, font sécession. « A ce moment-là, le général Lee est reconnu comme le meilleur officier de l’armée régulière, poursuit Farid Ameur. Le président des Etats-Unis, Abraham Lincoln, lui propose de prendre la tête de l’armée de l’Union. »

Lee hésite. « Sa famille est tiraillée au moment de la Sécession, explique Vincent Bernard. Il faut se souvenir que c’est un pays encore en construction, pas un Etat-nation. Les fidélités sont partagées, d’autant que sa femme descend quand même, on ne le souligne pas assez, du premier président des Etats-Unis, George Washington. ».  Mais la sécession de son état natal, la Virginie, fait pencher la balance. « Par loyauté, Lee offre son épée aux séparatistes. Il ne se voyait pas faire la guerre à ses voisins », analyse Farid Ameur. 

Repoussé par les Nordistes dans un premier temps, le général Lee prouve sa valeur au printemps suivant. A la tête des armées de la Virginie du Nord, il franchit le fleuve Potomac et tient la dragée haute à une armée nordiste supérieure en nombre et en armement.

Des touristes devant une statue du général Lee, au Capitole à Washington (Etats-Unis), le 17 août 2017.

Des touristes devant une statue du général Lee, au Capitole à Washington (Etats-Unis), le 17 août 2017. (MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

« Il inspire une confiance totale à ses troupes »

La légende du général Lee naît-elle à ce moment-là ? « On l’a surnommé ‘l’homme de marbre’, l’homme parfait, impassible, ne trahissant jamais ses émotions. Il inspire une confiance totale à ses troupes », affirme l’historien. Ses troupes le vénèrent « au point que 15 000 fantassins contournent sur la pointe des pieds l’endroit où il dort pour ne pas le réveiller ». Vincent Bernard confirme cette fascination, qu’il explique ainsi : « Lee prêchait par l’exemple, restant avec ses troupes à Noël au lieu de rentrer chez lui, comme il pouvait le faire, ce qui explique la dévotion dont il faisait l’objet. » 

Ses soldats le suivent donc jusqu’à la défaite ultime. Car le vent tourne. Après les premiers succès et surtout des victoires à la Pyrrhus, très coûteuses en hommes, Robert Lee lance, début juillet 1863, une attaque frontale contre les troupes de l’Union lors de la bataille de Gettysburg. L’offensive tourne au carnage (quelque 8 000 morts, 30 000 blessés). Certes, il réussit à repousser l’échéance de la défaite et à poursuivre son duel avec le général Grant, qui commande les armées de l’Union. Mais pour combien de temps ? A l’été 1864, la grande ville sudiste d’Atlanta (Géorgie) tombe. L’armée confédérée est épuisée et Lee doit choisir : soit se retrancher et prendre la tête d’une guérilla, soit s’avouer vaincu. Il aurait préféré « souffrir mille morts que de se rendre, mais finit par le faire », souligne Farid Ameur, avant de dépeindre la scène finale de la capitulation, en avril 1865, à Appomattox (Virginie). « Lee arrive sanglé dans son grand uniforme, en avance, impassible. En face, le général Grant, en retard et la vareuse mal boutonnée, contient mal son émotion. Lequel des deux se rend à l’autre ? »

« Un général à l’ancienne »

L’issue aurait-elle pu être différente, alors qu’aujourd’hui, une polémique (relayée par le Washington Post) surgit, aux Etats-Unis, sur les talents de stratège du général vaincu ? « C’était un général, estime Vincent Bernard, qui mène une guerre à l’ancienne contre Grant, lequel est un réaliste qui va employer tous les moyens et qui a derrière lui la puissance économique et démographique du Nord. »

« Il manquait à Lee le sens de la stratégie, qui permettait de penser la guerre dans sa globalité, poursuit Vincent Bernard. Grant était le meilleur stratège, un précurseur des guerres modernes, et Lee, le meilleur tacticien, le dernier héritier des guerres napoléoniennes. » 

Un propriétaire sudiste, donc esclavagiste

Voilà pour le soldat. Qu’en est-il de l’homme privé, du propriétaire terrien de Virginie ? En 1831, jeune officier, il épouse une descendante de George Washington. Ils auront sept enfants. « Quand il n’est pas en campagne militaire, il vit dans la somptueuse demeure d’Arlington, une maison à colonnades, comme dans Autant en emporte le vent« , dépeint Farid Ameur. Confisquée dès 1861 par le gouvernement fédéral des Etats-Unis, cette propriété abrite désormais le cimetière national où reposent les anciens combattants américains et le président assassiné John Fitzgerald Kennedy.

Les terres du général Lee, à Arlington (Virginie), ont été confisquées en 1861 par le gouvernement fédéral du président Abraham Lincoln. C'est aujourd'hui un cimetière national où reposent des anciens combattants américains et le président John Fitzgerald Kennedy. 

Les terres du général Lee, à Arlington (Virginie), ont été confisquées en 1861 par le gouvernement fédéral du président Abraham Lincoln. C’est aujourd’hui un cimetière national où reposent des anciens combattants américains et le président John Fitzgerald Kennedy.  (KAREN BLEIER / AFP)

Comme tous les riches propriétaires sudistes, Robert Lee possédait des esclaves. Dans les faits, passionné avant tout par sa carrière militaire, il a surtout, pendant trois décennies, évité de s’en occuper, les voyant comme une source d’ennuis. Il les louait volontiers à d’autres propriétaires terriens, d’où la difficulté à évaluer sa pratique esclavagiste.

Le magazine The Atlantic (article en anglais) rapporte toutefois une anecdote accablante, en s’appuyant sur les recherches de l’historienne américaine Elisabeth Pryor. En 1859, le général avait hérité de 70 esclaves à la mort de son beau-père. Celui-ci souhaitait que ses esclaves soient affranchis, tout en laissant à Lee, son exécuteur testamentaire, le soin des modalités. Mais au lieu de les libérer immédiatement, comme s’y attendaient les esclaves, le militaire leur a annoncé qu’ils devaient attendre cinq ans, et a fait fouetter ceux qui s’étaient enfuis. Il a ensuite tenu parole, et les esclaves ont été affranchis.

Lee n’était ni un partisan acharné de l’esclavagisme, ni un quasi-abolitionniste comme le présentent parfois ses thuriféraires en citant une phrase extraite d’une lettre à sa femme : « L’esclavage » est « un mal moral et politique dans n’importe quel pays », écrit Lee dans cette missive du 27 décembre 1856 (donc avant la guerre de Sécession). C’est oublier la suite : « Les Noirs, poursuit-il, sont incommensurablement mieux ici qu’en Afrique, moralement, socialement et physiquement. L’instruction douloureuse qu’ils subissent est nécessaire pour leur éducation et leur race. (…) Leur émancipation résultera plus vite de la douce et unifiante influence du christianisme, plutôt que des orages et des tempêtes de la controverse violente. » 

« Sur la question, il épousait les préjugés de sa caste et de son époque », remarque Farid Ameur. Le racisme de Lee est partagé par la majorité des Américains blancs de son temps, au Sud et au Nord. « Du côté du Nord, au départ, contextualise Vincent Bernard, on fait la guerre pour l’Union. Le thème de l’émancipation des esclaves n’est venu que dans un second temps : c’est le président Abraham Lincoln qui en a fait un sujet central, contre l’opinion de la majorité de ses concitoyens ». 

Après sa mort, une icône de la « cause perdue »

Une fois la guerre finie, en 1865, Lee n’a plus que cinq ans à vivre. Dès la reddition, après avoir obtenu des conditions avantageuses pour ses hommes, il appelle les Sudistes à s’élever contre le ressentiment et l’envie de revanche, même s’il déplore « la cause perdue », la défaite. Son message ? « Réintégrons l’Union, il faut faire avec », résume Vincent Bernard. A son enterrement, il n’a voulu ni uniforme, ni drapeau sudistes.

Mais le message a été d’autant plus oublié que le Sud a bâti sa Reconstruction politique sur les lois de ségrégation raciale (il a fallu attendre 1967 pour que la Cour suprême des Etats-Unis interdisent les textes racistes légalisant cette ségrégation). Au début du XXe siècle, la symbolique sudiste ressurgit ainsi partout dans les Etats du Sud, et les statues du général Lee se multiplient pour déplorer « la cause perdue », cette défaite des Etats confédérés esclavagistes jamais acceptée.

Ces statues sont construites « avec l’idée de revanche », expose Farid Ameur, avant d’être aujourd’hui « récupérées par le Ku Klux Klan, les fraternités aryennes, les skinheads et autres militants d’extrême droite, tous protégés par le Premier amendement américain : le délit d’opinion n’existe pas. » Une récupération que ne méritait pas le général Lee, conclut Vincent Bernard, qui planche désormais sur son adversaire, le général Ulysses Grant.

Quant aux batailles mémorielles, elles ne sont pas près de s’éteindre. La chaîne HBO, rapportent Les Echos, fait en effet travailler les auteurs de la série à succès planétaire « Game of Thrones » sur « Confederate », un projet qui enflamme les réseaux sociaux. Point de départ du scénario de cette uchronie : les Etats du Sud ont gagné la guerre. Nul doute que l’ombre du général Lee planera aussi sur ce monde fictif.