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Israël. Un «beau film», trompeur, sur l’occupation

Palestine

Lien publiée le 7 octobre 2017

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https://alencontre.org/moyenorient/israel/israel-un-beau-film-trompeur-sur-loccupation.html

Par Gideon Levy

Au lieu de dénoncer le film Foxtrot du réalisateur Samuel Maoz la ministre israélienne de la Culture, Miri Regev [1], et les autres gens de son acabit devraient le distribuer partout dans le monde dans le cadre de leurs efforts de relations publiques.

Il n’existe pas beaucoup d’appartements conçus comme celui où vivent les parents de Yonatan et il n’y a aucun soldat israélien qui passe ses nombreuses heures libres à faire des bandes dessinées et à vérifier l’inclinaison d’un conteneur, métaphore pour la durée du temps passé bloqué dans la boue.

Les soldats aux check-points ne ressemblent pas du tout à cela. Ils ne jettent pas des regards mélancoliques et ils sont engagés dans des actes brutaux plutôt que dans le monde des bandes dessinées. La plupart d’entre eux n’ont pas grandi dans les appartements de House Beautiful appartenant à de beaux architectes qui ont épousé leurs étudiantes; ceux qui sont dans ce cas finissent à l’unité de renseignement d’élite 8200. On peut les dépeindre comme on veut, mais lorsqu’un cinéaste israélien conscient sur le plan politique le fait, c’est non pas du cinéma, mais de la propagande.

Ce qui rend le film gênant, ce n’est pas la «scène» dont tout le monde parle [voir note 1], ce ne sont ni les meurtres par des soldats de l’armée israélienne, ni le fait qu’on ait dissimulé ensuite les preuves de l’incident. Foxtrot cherche à dissimuler tout autre chose, à savoir la laideur.

L’unité de cinéma du bureau du porte-parole de l’armée israélienne n’aurait jamais osé produire un film aussi pro-israélien et pro-armée que Foxtrot; elle aurait su que personne ne le croirait. Cette unité n’aurait pas non plus pu produire un film aussi esthétique: poétique, symbolique et métaphorique. Personne non plus n’aurait accepté que la ministre de la Culture lance des attaques aussi démentielles contre le film sans même l’avoir vu. Et même si elle l’avait vu, elle ne se serait peut-être pas rendu compte du trésor que représente ce film dans le domaine des relations publiques.

Le collègue de la ministre de la Culture, un général de la guerre contre le boycott (BDS), le ministre de la sécurité publique Gilad Erdan, qui est également ministre de la Sécurité intérieure, des Affaires stratégiques et de l’Information [de l’Hasbara que l’on peut traduire par «explication»], aurait dû immédiatement donner des instructions pour faire distribuer ce film à l’échelle mondiale comme partie de son combat. Il n’y a pas mieux que Foxtrot pour embellir l’image de l’Etat israélien. Regardez comme nous sommes beaux, nous autres Israéliens. Quel beau cinéma nous avons, dans quelles belles demeures nous vivons et combien nos survivants de l’Holocauste sont beaux; même nos check-points si calomniés sont beaux.

Samuel Maoz [le réalisateur] a fait un beau film – et un film trompeur. La dernière chose qu’il mérite est d’être dénoncé comme faisant du tort à l’Etat israélien. Son foxtrot est une danse obscène. Maoz dit que le film est une métaphore pour des questions universelles comme le fatalisme, le choix, le destin et la capacité de l’individu à modeler son avenir. Ce sont des thèmes louables et fascinants.

Samuel Maoz aurait pu les traiter dans une histoire portant sur le diagnostic erroné d’un cancer, sur la rencontre décisive ratée par un couple ou sur quelqu’un qui manque son vol avec des conséquences fatales. Au lieu de cela, il a choisi de focaliser le débat sur le contexte de l’occupation israélienne. Il ne devrait donc pas faire l’idiot et affirmer qu’il s’agit d’un film artistique et imaginaire, sans contexte et sans obligation à respecter la réalité et la vérité.

Dès qu’il a choisi l’occupation comme contexte pour son film, il l’a transformé en un film politique d’actualité. Ce n’est pas ainsi que l’on danse un foxtrot, comme Maoz l’a découvert trop tard, mais en outre ce qu’il dépeint ne ressemble en rien à l’occupation.

Embellir l’occupation n’est pas moins grave que de ternir son image. Appeler les soldats israéliens des nazis est terrible, mais les représenter à des check-points comme Naomi Shemer, auteure-compositrice, décrivait les soldats dans sa chanson emblématique «At the Nahal Outpost» [«Au premier rang devant une colonie], déclarant qu’elle y avait vu «beaucoup de belles choses», en plus de «petits ouvrages de poésie sur des étagères» – n’est pas moins grave. Un mensonge est un mensonge, quelle que soit son orientation.

Il n’y a pas beaucoup de belles choses à un check-point, il n’y a rien de beau. Maoz a décidé de l’embellir. Il a le droit artistique de décrire la réalité telle qu’il la voit, mais il ne peut ignorer les implications de ses hallucinations.

Lorsqu’un check-point de l’armée israélienne ressemble à une belle scène surréaliste d’un vieux film italien, les spectateurs auront peut-être l’impression que cela se passe à Venise. En tout cas cela n’est pas possible ici, en Israël. Il n’existe pas de beaux check-points de ce genre, avec un chameau qui passe en silence et un camion de glaces décoré de l’image d’une fille blonde!

Le cinéaste ne peut pas non plus s’exonérer de la responsabilité du message ou du fait que les Palestiniens sont représentés comme des supplétifs momentanés et que même dans ce contexte, leur description diffère totalement de la réalité.

Dans Foxtrot, ils conduisent une Chevrolet de collection portant des plaques d’immatriculation israéliennes, ils portent leurs plus beaux atours en route pour un mariage ou de retour d’une fête, chantant avec un joyeux entrain. (Article publié dans le quotidien Haaretz en date du 1er octobre 2017; traduction par A l’Encontre)

____

[1] Dans Le Figaro daté du 21 septembre 2017, il est écrit: «Un film israélien candidat aux Oscars a suscité mercredi l’indignation de la ministre de la Culture Miri Regev pour qui cette œuvre prête le flanc à une accusation de «meurtre rituel» à l’encontre de soldats israéliens. Foxtrot, qui a obtenu cette année le Lion d’argent, Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise, raconte une histoire de deuil avec pour toile de fond deux générations traumatisées par le service militaire et traite notamment de l’occupation israélienne des territoires palestiniens… Reconnaissant ne pas avoir vu le film, la ministre s’est insurgée contre une scène du film qui montre des soldats israéliens tuant un Palestinien innocent dans un moment de panique. Un officier masque alors la bavure: «Il s’agit d’une terrible accusation de meurtre rituel», s’est indignée Miri Regev dans une vidéo sur sa page Facebook. Avant d’ajouter: «En tant que ministre et mère d’enfants qui ont servi au sein de Tsahal (l’armée de défense israélienne) j’ai honte qu’un tel film ait obtenu une récompense aussi prestigieuse…» Elle a également prévenu que la politique de subventions publiques accordées aux films «allait changer», laissant ainsi entendre que les films jugés «anti-israéliens» ne recevraient plus d’aide. Samuel Maoz avait déjà triomphé en 2009 à Venise avec Lebanon, son premier film autobiographique «écrit avec ses tripes», qui montre les horreurs de la guerre à travers le viseur d’un char lors de la première guerre du Liban en 1982.

Miri Regev a fait sensation sur le tapis rouge du dernier Festival de Cannes en montant les marches dans une robe longue ivoire représentant un vaste panorama de Jérusalem. Il s’agissait pour elle de justifier l’annexion de Jérusalem-Est qui n’a jamais été reconnue par la communauté internationale.» (Réd. A l’Encontre)