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Interview de Beynel (Solidaires)
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L’Union syndicale Solidaires s’est associée à la journée d’action du 19 octobre contre la loi travail appelée par la CGT. Elle compte l’utiliser comme un tremplin vers une mobilisation interprofessionnelle la plus unitaire possible, accompagnée de grèves inscrites dans la durée, au mois de novembre.
Après les deux journées interprofessionnelles de grèves et de manifestations du mois de septembre appelées par la CGT, Solidaires et la FSU, la mobilisation contre les ordonnances s’est repliée sur des mobilisations plus sectorielles. Les fédérations CGT et FO du transport ont lancé une grève reconductible le 25 septembre contre les ordonnances. Le mouvement d’une ampleur relative ne s’est pas étendu à d’autres secteurs. Les routiers ont cependant obtenu un accord spécifique les protégeant d’accords d’entreprises défavorables. Un accord similaire a été signé préventivement pour les dockers. Le 28 septembre, les retraités ont battu le pavé, suivis le 10 octobre par les fonctionnaires.
Parallèlement, l’ensemble des organisations syndicales se sont retrouvées pour une première réunion le 9 octobre au siège de la CGT, sans réussir à se mettre d’accord sur un appel unitaire pour une nouvelle journée de mobilisation. La CGT a appelé unilatéralement à une journée d’action le 19 octobre, suivie depuis par Solidaires. Une nouvelle intersyndicale aura lieu le 24 octobre. Eric Beynel, porte-parole de Solidaires, revient pour Rapports de force sur l’état de la mobilisation et sur la stratégie de son Union syndicale dans les semaines à venir.
Comment Solidaires a-t-elle abordé la mobilisation contre les ordonnances ?
Eric Beynel (Solidaires) : Compte tenu du programme du président Macron, nous n’avions pas d’illusions sur le contenu des ordonnances. Pour nous, elles seraient au seul bénéfice du patronat et du capital. Par conséquent, nous nous sommes placés tout de suite dans la construction d’un rapport de force. Depuis le mois de juin, nous cherchons à construire un front unitaire le plus large possible. Malheureusement, nos invitations à se réunir en intersyndicale n’ont pas eu d’effet jusqu’à la réunion bien tardive du 9 octobre au siège de la CGT.
Notre volonté depuis le début est de construire un mouvement appuyé sur des grèves massives qui puissent se reconduire dans un certain nombre de secteurs stratégiques. Nous insistons sur « un certain nombre », pour éviter les grèves par délégation s’appuyant sur un seul ou deux secteurs, comme nous avons connu par le passé. Nous souhaitons nous appuyer sur un nombre conséquent de secteurs pour qu’il y ait une vraie solidarité entre les grévistes.
Comment évaluez-vous l’état de la mobilisation ?
Eric Beynel (Solidaires) : D’abord, il y a quelques progrès dans l’unité. Les débats internes au sein de Force Ouvrière ont conduit ses instances à dénoncer les ordonnances et à appeler à la construction d’une mobilisation. Nous notons aussi l’opposition aux ordonnances de la CFE-CGC et espérons qu’elle aboutisse à un appel à manifestation et à grève. Enfin, lors des mobilisations du mois de septembre, nous avons aussi vu des équipes syndicales de la CFDT, de la CFTC et parfois de l’UNSA. C’est un point positif qu’il faut maintenant traduire dans les actes.
Ensuite, la journée de mobilisation dans la fonction publique a été réussie, avec des grèves extrêmement importantes dans l’éducation, les finances publiques, mais aussi dans un certain nombre de collectivités territoriales. Les fédérations syndicales de fonctionnaires doivent se revoir la semaine du 24 octobre, après la rencontre avec le ministre des Comptes publics. Nous espérons que l’unité va perdurer et ira plus loin dans la construction du rapport de force. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une seule date. Mais ce rapport de force dans le public doit s’articuler avec celui que nous essayons de construire dans le privé.
Enfin, nous voyons bien que le gouvernement cherche à passer au dossier suivant. Pour nous, il s’agit bien de rester sur la mobilisation contre les ordonnances en lien avec les autres éléments de la politique menée par le gouvernement. Il s’agit d’un tout cohérent : de la baisse des APL, au plan de loi de finances allant dans le sens de donner plus au capital et moins aux salariés et citoyens.
L’intersyndicale du 9 octobre aboutit à un appel de la CGT à une journée d’action le 19 octobre. N’est-ce pas un échec pour vous ?
Eric Beynel (Solidaires) : Nous regrettons que la réunion du 9 octobre n’ait pas permis un appel unitaire et qu’il faille attendre la suivante, le 24 octobre. C’est l’aspect toujours mystérieux des intersyndicales. Plus elles sont larges, plus cet aspect est important, avec des intérêts et des stratégies différentes. Il y avait longtemps que nous ne nous étions pas rencontrés. Pour nous, c’est un premier tour de table où chacun a pu dire ses objectifs et ses volontés de construction de la mobilisation ou pas.
Maintenant, il s’agit de partir dans le dur. Nous appelons de nos vœux la construction d’un mouvement social de masse avec le plus d’organisations syndicales possible. La réunion du 24 octobre sera déterminante. Ce sera le moment de vérité. Là, nous pourrons dire qui veut ou ne veut pas construire la mobilisation qui est demandée par nos bases respectives.
Notre objectif est d’en sortir avec un appel le plus large possible, sur un texte clair, laissant assez de temps pour préparer un mouvement d’ampleur. L’idée est d’avoir au mois de novembre, non pas une succession de dates, mais une journée agrégeant les mécontentements du privé et du public, pour emporter l’adhésion d’une masse de salariés.
À quoi va servir la journée de mobilisation du 19 octobre ?
Eric Beynel (Solidaires) : Nous sommes lucides sur ce que pourra être cette journée à laquelle nous appelons à participer. Cela sera en fonction de ce que nos équipes syndicales locales pourront faire avec les autres équipes dans les secteurs. Le 19 octobre sera une journée d’action avec beaucoup de diversité selon les départements, villes et secteurs. Nous y voyons un pas supplémentaire dans l’unification d’un mouvement du public et du privé. Nous avions déjà appelé à faire du 10 octobre une journée interprofessionnelle. Malgré la présence de cortèges de l’industrie, de la chimie ou du nettoyage dans certains départements, cela est resté de l’ordre du symbole.
Mais cet appel aurait pu avoir plus de force et de sens s’il avait pu être plus large au soir du 9 octobre. Les conditions n’étaient pas encore remplies pour le faire. Des organisations demandaient plus de temps de travail et de réflexion. Nous sommes plutôt dans la construction d’un appel unitaire pour novembre. Nous pensons qu’un temps important d’explication auprès des salariés est nécessaire pour leur présenter une stratégie cohérente pour gagner. Nous voyons que des salariés sont prêts pour un mouvement. Mais ils nous demandent d’arrêter les grèves d’une journée. Le mouvement syndical doit donner des réponses et des perspectives.
Voyez-vous des secteurs prêts à s’engager dans la grève ?
Eric Beynel (Solidaires) : Cela ne s’est pas encore cristallisé, mais à la SNCF des organisations syndicales sont mobilisées. Le 10 octobre, il y avait des appels de Sud-Rail, de la CFDT, de FO et de l’Unsa. Le 19 octobre est porté par la CGT-cheminot. Le secteur du rail a du poids, surtout si la grève est reconductible. À la RATP, certaines organisations sont disponibles. Dans la fonction publique, la grève a été forte aux finances ou dans l’éducation. Depuis plusieurs jours, il y a une grève dans une centrale nucléaire. Cette grève va-t-elle s’étendre à d’autres centrales ou plus largement dans le secteur de l’énergie ? En réalité, aucun mouvement ne ressemble au précédent. Ce n’est pas forcement dans les secteurs imaginés en premier que se cristallisent les grèves dans la durée. C’est aux organisations syndicales de leur donner les moyens de se cristalliser en mettant à leur disposition des dates et une stratégie lisible.
Novembre, n’est-ce pas trop tardif pour une mobilisation ?
Eric Beynel (Solidaires) : Le temps est à la fois court tout en permettant de proposer une stratégie avant la ratification des ordonnances. Mais cela dépend de la capacité à sortir de la réunion du 24 octobre avec un appel unitaire et une volonté de construire un mouvement reconductible.
Ensuite, la loi travail n’est pas le seul sujet. Nous savons qu’un texte sur la sélection dans les universités doit être présenté début novembre. Par ailleurs, il y a le projet de loi de finances et celui sur le financement de la sécurité sociale. Les dossiers sont nombreux : le logement, l’assurance chômage, la formation professionnelle ou les retraites. L’enjeu sera de continuer à se mobiliser si nous n’obtenons pas satisfaction sur les ordonnances. Il faudra capitaliser sur ce mouvement pour la suite en évitant le découragement si nous n’obtenons pas la victoire. Nous ne cachons pas que tout cela n’est pas facile.