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Les transhumanistes rêvent d’immortalité
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://reporterre.net/Les-transhumanistes-revent-d-immortalite
De la fontaine de Jouvence à la quête du Graal, le désir d’immortalité de l’homme est une vieille histoire que réactive le mouvement transhumaniste. Celui-ci, plaçant ses espoirs dans la technologie, a la conviction que le corps humain sera bientôt remplaçable et que l’homme n’aura plus à mourir.
Cet article est le quatrième volet d’une série en quatre épisodes. Il suit « Mort, on pollue encore », « Après la mort, devenir un arbre » et un entretien avec Tanguy Châtel, « L’écologie naît d’une conscience de la mort : en maltraitant la planète, on se conduit à notre fin ».
Jamais l’espérance de vie de l’être humain n’a été aussi élevée. Dans la guerre qui l’oppose à la vie, la mort fait de la résistance, mais cède chaque jour un peu plus de terrain. Les chiffres sont sans appel : début 2014, la France comptait plus de 20.000 centenaires. Ils pourraient être dix fois plus nombreux à l’horizon de 2060. Quant à l’espérance de vie, elle a presque doublé au XXesiècle dans les pays qu’on dit « développés ». Dans un article du Lancet de février 2017 recoupant 21 études, l’Imperial College of London affirme que l’espérance de vie pourrait venir frôler la barre des 90 ans pour les femmes et 85 ans pour les hommes en 2030. Des prévisions qui, si elles font l’objet d’une bataille de chiffres, témoignent du vieillissement inexorable de la population.
Un vieillissement que certains espèrent sans limite. « En France, 90 % des décès sont dus aux maladies de vieillissement, c’est-à-dire les cancers, les maladies neurodégénératives et cardio-vasculaires. Au niveau mondial, on est autour des deux tiers et c’est une tendance à la progression, dit Didier Coeurnelle, porte-parole de l’Association française de transhumanisme (AFT-Technoprog). Nous souhaiterions qu’il soit possible de vaincre les maladies de vieillissement, afin que la société ait le choix et que l’on puisse mourir uniquement si on le décide. Il est important selon nous d’assurer cette liberté. »
« Nous sommes dans une société du culte de la performance »
Apparu au cours des années 1980, le mouvement transhumaniste est une philosophie prônant le recours à la technologie pour améliorer la condition humaine et venir à bout de sa finitude. Ainsi, selon la Déclaration transhumaniste adoptée par l’Association mondiale transhumaniste en 2002, « les transhumanistes prônent le droit moral de ceux qui le désirent de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie. Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles ». La « foire aux questions » du site de l’association complète cette définition, en précisant que le mouvement encourage le développement et la diffusion des « techniques visant à éliminer le vieillissement ». Pour Daniela Cerqui, anthropologue à l’Université de Lausanne, qui étudie les liens entre les sociétés et les technologies, « l’humain est le dernier patient à conquérir », dans des « sociétés qui n’acceptent plus la finitude et les limites ».
mnemophagiac preydatory (2), de Jef Safi.
Didier Coeurnelle, le porte-parole de l’AFT, s’étonne d’ailleurs que l’intérêt pour le transhumanisme ne soit pas plus général : « Je me demande comment c’est possible dans une telle période d’accélération technologique, alors que tellement de choses sont réalisables. Nous avons un niveau de vie extraordinaire et pourtant, nous sommes limités par la durée de la vie humaine, qui ne dépasse toujours pas les 120 ans », détaille-t-il avec une pointe de regret dans la voix.
Un enthousiasme pour la technologie qui en dit long sur notre époque selon Daniela Cerqui : « Nous vivons dans un monde qui, de théocentré, est devenu technocentré. On a totalement remplacé un système de croyances par un autre et donc, on a l’impression qu’il y a une solution technique pour tout. »
Une adoration qui s’ajoute, ou peut-être plutôt résulte, d’une déchristianisation de notre quotidien, selon la chercheuse. Pour les transhumanistes, pas de « vie après la mort » ou « d’âme ». « La mort a été totalement désacralisée, il n’y a plus de croyance dans un paradis qui récompenserait nos bonnes actions en tant que vivant. Désormais, on veut le paradis sur Terre », continue d’expliquer Daniela Cerqui. Si par immortalité on a pendant très longtemps sous-entendu celle de l’âme, les transhumanistes comptent bel et bien donner la vie éternelle à leur corps et surtout à leur esprit. Et pas question de lésiner sur les moyens pour y arriver : « Nous sommes dans une société du culte de la performance. Et ce qui est sous-jacent, c’est que pour faire mieux, il faut faire plus », conclut l’anthropologue.
« Je voudrais devenir immortel sans avoir à mourir »
Certains sont prêts à tout pour ne pas rater leur chance d’accéder à l’immortalité. Ces adeptes du « plan B » ont fait le choix d’être cryogénisés après leur mort. Le principe ? Être plongé en état de mort clinique, la tête vers le bas, dans une grande cuve remplie d’azote liquide à - 196 °C. L’espoir ? Que la mise au point de techniques et l’avancée de la médecine permettent de les réveiller afin qu’ils poursuivent leur vie, voire de guérir les maladies qui leur avaient été fatales. Contrairement à la légende, la cryogénisation n’implique pas d’être conservé dans un gros bloc de glace. Depuis 2004, la mise au point du processus de vitrification permet d’empêcher la formation de cristaux de glace endommageant les tissus, ce qui permet une meilleure conservation des corps.
Depuis les années 1960 où la technique a commencé à se développer, 344 personnes ont fait ce choix et attendent actuellement au frais dans de gros caissons réfrigérés. 2.000 autres ont déjà souscrit à un contrat auprès des trois entreprises proposant ce service : The Cryonics Institute et Alcor Life Extension aux États-Unis, KrioRus en Russie. Une entreprise australienne prévoit de lancer la même activité prochainement.
Damien Casoni, 35 ans, secrétaire de la Société Cryonics France, a relancé cette société il y a un an et demi, après de longues années d’inactivité. Depuis trois ans, Damien a un contrat avec le Cryonics Institute. La cryogénisation est une « ceinture de sécurité. Ce n’est pas une garantie que ça va me sauver la vie, mais c’est ce qu’on a de mieux. Moi, je n’ai pas envie d’être cryogénisé, je voudrais devenir immortel sans avoir à mourir », explique-t-il.
Un souhait loin d’être gratuit. Au Cryonics Institute, se faire cryogéniser coûte près de 30.000 dollars états-uniens. Mais depuis les années 1990, des assurances-vie spéciales cryogénisation ont été créées. Cela permet à Damien, qui gagne à peine plus d’un Smic, de se rapprocher de son souhait de vie éternelle, pour 35 euros par mois. Depuis, il se dit « plus serein » car il a fait « tout ce qui est en son pouvoir » pour réaliser son rêve. Il regrette cependant que, par peur de la mort, parce qu’on préfère ne pas y penser, aucun autre de ses proches ne se soit engagé dans la même démarche que lui. De plus, « les gens préfèrent la certitude d’être totalement détruit, alors que l’issue de la cryogénisation n’est pas encore sûre », estime Damien. Lui ne veut rien laisser au hasard et maintient une hygiène de vie irréprochable : alimentation, sport, méditation, tout y passe pour vivre le plus longtemps.
À son poignet, il porte en permanence un bracelet indiquant la marche à suivre quand il mourra pour que son corps puisse être cryogénisé. Y sont indiqués son nom, sa date de naissance et le fait qu’il doit être cryogénisé aux États-Unis. Ces instructions sont importantes car, pour pouvoir être cryogénisé avec succès, le corps doit être pris en charge moins de six heures après la mort.
lógos hypomnesis, de Jef Safi.
Damien a fait le choix de cryogéniser tout son corps, « pour la simple raison que la présence de la conscience dans le cerveau n’a pas été prouvée. En plus, on sait depuis quelque temps qu’on a autant de neurones dans le cerveau que dans le ventre. Le corps entier participe à notre identité ». Mais Damien fait figure d’exception. Car d’autres, par manque de moyens probablement, choisissent de ne conserver que leur tête. La neurocryoconservation, proposée par l’entreprise Alcor pour 80.000 dollars (contre 200.000 pour tout le corps), est révélatrice de « la représentation de l’homme qu’on se fait aujourd’hui, estime Daniela Cerqui. Il n’y a plus de croyance en une résurrection du corps et de l’âme, les deux ont complètement disparu de la pensée transhumaniste. Désormais, il y a la certitude que l’identité se trouve dans le cerveau et on en arrive à avoir une représentation du corps comme totalement inutile à la poursuite infinie de la vie ».
« Bientôt, le corps sera remplaçable »
Que la personne choisisse tout le corps ou seulement la tête, Damien admet que ce choix est généralement peu compris, voire mal perçu. « C’est considéré comme égoïste de vouloir vivre, mais si on te met la tête sous l’eau, tu voudras vivre ! Il y a une philosophie moraliste très forte qui fait que, depuis que l’homme a conscience de sa mort, on dit que celle-ci est naturelle, qu’il faut laisser sa place. On est conditionné à mourir pour les autres. Mais la mort, c’est le handicap ultime. Ce qui fait de nous des humains, c’est de vouloir toujours plus de vie. » Une analyse qui n’étonne pas Daniela Cerqui : « Le propre de notre société est d’avoir désacralisé la mort, celle-ci étant vécue comme l’échec suprême de la médecine. »
Le débat est ouvert sur le temps qu’il faudra pour mettre au point les techniques pour réveiller les morts. Damien, lui, n’a aucun doute sur le sujet. « C’est un fait inévitable. On a atteint un niveau technologique où on est capable de manipuler à un niveau moléculaire. Bientôt, le corps sera remplaçable. » Si pour Didier Coeurnelle la cryogénisation n’est pas la solution, il est lui aussi très confiant sur la proximité de l’ère de l’homme immortel. « Rien ne permet d’envisager le réveil à court ou moyen terme. C’est une technique réservée à un petit nombre alors que le transhumanisme serait pour tout le monde », dit-il. Le porte-parole de l’AFT est d’ailleurs très optimiste. L’immortalité, « c’est certain qu’on y arrivera, dans 50 ou 100 ans maximum. Et si c’était une priorité de santé publique, ça pourrait se faire dans quelques décennies, 20 ou 30 ans ! Ça nous paraît impossible, car on n’y est pas arrivé, mais il fut un temps où on disait que l’aviation n’aurait pas d’avenir », s’enthousiasme-t-il.
PersistAnce Post-biotique De La Bêtise Augmentée, de Jef Safi.
Des propos qui font lever les yeux au ciel de la docteure Anne-Laure Boch, neurochirurgienne à la Pitié-Salpêtrière et docteure en philosophie. « Le transhumanisme est une pensée prédatrice et une caricature de la médecine moderne. La plupart des transhumanistes ne sont pas des scientifiques et ont une vision de la science comme réalisatrice de leur fantasme. La technoscience devient un simple prestataire de service, à qui on peut demander tout et n’importe quoi. Un peu naïf comme conception, non ? Le désir d’immortalité est très ancien et très puissant. Cela ne le rend pas pour autant légitime. Les affirmations des transhumanistes s’apparentent à des rêveries d’enfants immatures », affirme-t-elle.
Pour le transhumaniste Didier Coeurnelle, les progrès de la médecine, qui permettent de « réparer l’homme » — prothèses de hanches, stimulateurs cardiaques, implants permettant aux sourds de réentendre — nous placent déjà dans une forme de transhumanisme. Un avis partagé par Daniela Cerqui, qui estime que « les recherches thérapeutiques ne sont pas remises en question, alors que c’est le bon usage qui aboutit au transhumanisme. Les avantages technologiques bénéficient à la santé, mais où est la limite ? » questionne-t-elle.
Les cellules immortelles existent déjà dans la nature : ce sont les cellules cancéreuses
Un point de vue rejeté par la communauté scientifique et médicale. Pour Anne-Laure Boch, les transhumanistes surfent sur un « mensonge » au plan scientifique. « Les transhumanistes ont une vision idéale de la prothèse. Mais celle-ci n’est jamais aussi performante que l’organe naturel. Les implants pour les sourds, ça n’a rien à voir avec la capacité d’une oreille normale. Quand on en a besoin, bien sûr qu’il y a un bénéfice pour la personne, mais pour celles en bonne santé, celui-ci est encore à prouver. » La neurochirurgienne prend un exemple très concret, le cas d’Oscar Pistorius, amputé des deux jambes, qui a couru aux côtés de sportifs valides grâce à des prothèses : « Ces prothèses sont faites pour courir sur un stade, pas pour marcher ou encore moins pour rester debout immobile. La prothèse est loin de l’immense polyvalence de l’organe naturel. » Pour elle, il faut casser l’idée qu’il y a une continuité entre réparation et amélioration. « L’amélioration d’une fonction pratiquée chez des personnes bien portantes implique une exigence de résultat (confort, sécurité, absence d’effets secondaires…) que n’ont pas les malades en attente d’une simple “réparation” d’un organe défaillant. »
L’athlète sud-africain Oscar Pistorius.
Les limites sont réelles. La docteur rappelle que les cellules immortelles existent déjà dans la nature : ce sont les cellules cancéreuses. « Contrairement aux autres cellules, elles comportent une enzyme, la télomérase, qui permet un nombre illimité de divisions cellulaires. Par leur développement infini, “égoïste”, ces lignées cellulaires finissent par menacer l’organisme qui les abrite. Et une fois que l’organisme est mort du cancer, la lignée cancéreuse elle-même finit par mourir. Les transhumanistes devraient méditer cet exemple. »
Les transhumanistes voudraient une mémoire infinie, cela existe également : ce sont les hypermnésiques : « Le fait d’oublier est utile ! Un cerveau hypermnésique est complètement bloqué dans son fonctionnement global. Souvent, il est le fait de personnes autistes. Un autre de leurs fantasmes est de ne plus avoir à dormir. Cela est possible avec des médicaments, et cela se paie souvent par des bouffées délirantes ou des dépressions nerveuses. Tous ces exemples nous font comprendre que ce qu’on taxe de “défauts” dans notre corps sont en fait les conditions d’un fonctionnement harmonieux », estime Anne-Laure Bloch.
L’égoïsme du mouvement transhumaniste
Selon elle, il faut rappeler le véritable rôle de la médecine : « Quand on parle de durée de vie, il ne faut pas confondre l’espérance de vie, qui est une moyenne, et la longévité, qui est l’âge maximum pouvant être atteint par l’espèce — pour les humains, 115 ans. La médecine est là pour permettre au plus grand nombre de se rapprocher de la longévité, dans les meilleures conditions, physiques et morales, possibles, en luttant contre les maladies. »
On peut aussi craindre une médecine à deux vitesses. Didier Coeurnelle, de son côté, reste comme à son habitude, optimiste : « Si demain on trouve la thérapie pour vivre sans limitation de durée, on insisterait pour que ces recherches soient publiques pour tous, pour éviter les privatisations. On imagine toujours le pire pour être prudent sans oser réfléchir au meilleur », regrette-t-il.
« Ma crainte est qu’on réalise un jour que nous ne sommes plus humains et que ce n’était pas ce que nous voulions, prévient Daniela Cerqui. Les grands défenseurs du transhumanisme, comme Ray Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google, affirment plein de choses mais ils n’en savent pas plus que nous. Ils vantent un futur magnifique mais, pour l’instant, ce n’est qu’une promesse. On ne se demande pas comment les gens vont vivre ensemble. »
Anne-Laure Boch condamne l’égoïsme du mouvement transhumaniste, fait d’hyperindividualistes qui ne s’intéressent pas aux conséquences sociales de leurs revendications. Et pointe du doigt leurs contradictions : « Ils affirment que leur mouvement est une révolution et en même temps que c’est en continuité avec ce qu’a toujours fait la médecine ; ils veulent vivre longtemps alors qu’ils n’aiment pas les vieux ; ils prônent la liberté mais vous menacent de devenir esclaves si vous ne vous pliez pas aux nouvelles règles. » Elle termine en citant Thérèse d’Avila : « Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas. »