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Des germes de démocratie sociale, de liberté et d’égalité
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dans son introduction, « Le travail est tissé de rencontres et résurgences », Anne Flottes parle, contre les nominations / réductions du travail aux seuls critères du marché et du libéralisme, du travail comme activité, de demandes sociales, desexpériences utopiques réelles, de tentatives précaires et imparfaites, de manques et de désirs, d’ingéniosité individuelle et collective, de transformations politiques… L’autrice questionne : « pourquoi ce travail, cœur vital de chaque personne et de la société, est-il si inégalitaire ; et comment comprendre que les travailleuses et travailleurs, capables de déployer une ingéniosité merveilleuse pour faire face aux missions impossibles que sont généralement les prescriptions, semblent préférer mettre cette créativité au service du système qui les exploite, plutôt que de la subvertir ? »
La créativité d’un groupe de producteurs/productrices ne saurait être limitée au seul temps d’après celui de la conception technocratique, à des aménagements des constructions antérieures d’expert·e·s. Les souffrances au travail, la prévention de « risques psycho-sociaux » ne peuvent être compris qu’en prenant en compte la souffrance dutravail, les rapports d’exploitation.
L’autrice revient sur ce que lui disent les travaux de Michèle Riot-Sarcey dont Le procès de la liberté. Une histoire souterraine du XIXe siècle en France, linsurrection-ouvre-le-devenir-social-vers-un-possible-inimaginable-jusqualors/.
Cette figure de la liberté, différente de celle de l’ouvrier·e libre (voir la conclusion de cette note) est hautement subversive tant dans les pratiques que dans les chemins traçables des possibles.
« A travers différentes approches, l’objectif de ce nouveau livre est de mettre en scène cette histoire occultée par les dominants, de nous en imprégner, d’éprouver ce que cela transforme dans nos représentations et nos pratiques, de partir à la recherche des résurgences de ce réel de l’utopie dans le monde contemporain »
Et Anne Flottes souligne que la centralité politique du travail est « indissociable de l’émancipation subjective et sociale des travailleuses et des travailleurs »
Le premier chapitre « L’invention de la centralité (politique) du travail » commence par un premier paragraphe « Les droits de l’homme ne sont pas pour tous, et surtout pas pour toutes » et le rappel que la majeure partie de la population – « les ouvriers, les femmes, les esclaves et les colonisés » a été structurellement privée de la citoyenneté par différents régimes issus de la Révolution française. Anne Flottes poursuit avec la révolte des canuts lyonnais, la succession d’insurrections et de grèves, les revendications de pouvoir vivre librement du travail, la suppression du marchandage, la multiplication des clubs et des journaux politiques, cette activité démocratique oubliée ou niée dans le dix-neuvième siècle, le slogan de « République démocratique et sociale » et non de République tout court, la liberté comme pouvoir d’agir et comme manifestation de vie, les utopies mises en œuvre, la capacité à exister « intellectuellement, socialement et politiquement », les expérimentations de « vie collective auto-administrée et égalitaire », les associationnistes, Jeanne Deroin, Pauline Rolland, les constructions pacifiques et ingénieuses, « la radicalité lucide de leur engagement s’accompagne d’une remarquable absence d’emphase et d’illusions, d’une grande tolérance vis-à-vis des divergences et d’une authentique acceptation des tâtonnements », sans oublier l’interdiction des associations après le coup d’Etat de décembre 1851.
Les dominants furent saisi par la peur… aux associations de libres et égales/égaux sera opposé le « gouvernement des experts », des compétents pour diriger les « incompétent·e·s ». Il faut « conduire le peuple » et effacer les « enjeux politiques de la révolution de 1848 ».
Le travail séparé et déshumanisé, le progrès linéaire comme fil à plomb, la moralisation de l’exclusion, la destruction de toute velléité d’auto-gouvernement, la création de « hors-sujets », la nomination en irréaliste de ce qui contrevient à l’ordre prôné…
Le second chapitre est consacré à l’esprit de 1848 « une source d’inspiration pour le présent ? », des travailleuses et des travailleurs sujets actifs de leur travail, la question du droit du travail, « Droit d’un travail dont les travailleurs sont des outils, ou droit de chacun et de tous à co-gouverner le travail ? », la régulation de la subordination, les conditions de vente de la force de travail ou « l’instauration de structures collectives de défenses des subordonnés et l’édiction de normes dont le respect s’impose aux employeurs », le silence du droit du travail concernant les expropriations, les ergonomes et l’expertise méconnue des salarié·e·s, les sujets ingénieux de l’activité, la prise en compte du « réel de l’activité », la psychologisation des maux du travail ou le soutien à « l’élaboration des conflits », la remise au centre du « sujet politique » trop souvent évacué des relations sociales de travail, les germes d’utopie au présent dans le travail au sens plein du terme « c’est-à-dire un bricolage tentant de faire avec les contraintes et les doutes, sans céder sur les divergences d’intérêts et de désirs ; même si ces pierres précieuses côtoient (je ne saurais l’oublier) les pires monstruosités »…
Troisième chapitre : « Des tentatives diverses de vivre et travailler autrement ». Anne Flottes parle, avec chaleur de différentes expériences, de différents bricolages « tolérants au cafouillage, à la perte de temps, aux conflits, à la frugalité et à la fragilité », la Commune de Rojava (lire : Ouvrage coordonné par Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond : La commune de Rojava. L’alternative kurde à l’Etat-nation, une-democratie-sans-actions-est-comme-un-etre-humain-sans-voix/), les zones à défendre (ZAD), les coopératives de productions de biens et services,Ambiance Bois, Pochéco, Scop T.I., (A compléter par des visites sur le site de l’Association Autogestion, https://autogestion.asso.fr)
En conclusion, l’autrice souligne, entre autres, des fonctionnements réellement autogestionnaires et égalitaires, la tolérance aux différences et le souci des ressources de chacune et de chacun, le rapprochement des lieux de décisions des citoyen·e·s, les moyens de s’exprimer en tolérant les conflits, les dispositifs de décisions qui n’écrasent pas les « minoritaires », la requalification de celles et ceux qui sont « disqualifié·e·s » par la société. Bref, des « éclats d’utopie »…
« C’est justement à cause de cette exigence d’engagement créatif, individuel et collectif dans un objectif partagé que le travail produit non seulement des choses, mais des hommes et des sociétés ».
Certaines questions et utopies concrètes me semblent faire l’impasse sur des éléments du fonctionnement du système capitaliste (dont le rôle de l’Etat, le despotisme d’entreprise, le fétichisme de la marchandise et la séparation entre la figure de la travailleuse et du travailleur libre (dépourvu·e des moyens de productions et donc « libre » de vendre sa force de travail, ce qui est totalement différent d’être assigné·e par statut à telle ou telle activité) combinée à celle de la/du citoyen-ne – cette combinaison générant de multiples contradictions porteuses de possible subversion…)
Mais dire cela n’enlève rien aux nécessaires plongées dans les possibles d’hier, dans les futurs déjà inscrits au présent, dans ces expériences d’actualité d’auto-organisation et d’auto-administration plus ou moins égalitaires, pour autant que ces différentes dimensions ne soient pas écrasées par le localisme. Le(s) émancipation(s) se construiront sur des socialisations différentes mais élargies par rapport à celles rabougries par/dans le système capitaliste. Un petit livre pour sortir des morosités impuissantes.
De l’autrice :
Les conflits du travail. Enjeux politiques du quotidien, se-confronter-au-reel-complexe-qui-resiste-a-lidealisation-simplificatrice-et-repolitiser-le-travail/
En compléments possibles, voir des livres chroniqués dans la rubrique Travail : Travail | Entre les lignes entre les mots
Anne Flottes : Travail & utopie
Réinventer des coopérations subversives
Postface de Pascale Molinier
Editions d’une, Paris 2017, 142 pages, 12 euros
Didier Epsztajn