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Les dévots de la République

Lien publiée le 23 janvier 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/devots-republique-le-cour-grandmaison/

L’idolâtrie républicaine gagne la France comme autrefois la vérole, lorsqu’elle s’abattait sur le bas-clergé qui n’en pouvait mais. Pour être différent, assurément, ce premier mal n’en est pas moins grave au regard de ses conséquences sur les individus atteints et sur ceux qui tentent de le combattre.

Olivier Le Cour Grandmaison est maître de conférences en science politique à l’université  l’auteur de nombreux ouvrages, en particulier L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies (Fayard, 2014), De l’indigénat. Anatomie d’un «monstre» juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’empire français (Zones/La Découverte, 2010), La République impériale : politique et racisme d’État (Fayard, 2009) et Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’État colonial (Fayard, 2005). Ce texte a d’abord été publié sur son blog hébergé par Médiapart.

Fort divers, venus d’horizons politiques distincts, parfois adversaires résolus qui n’ont pas de mots assez durs pour s’opposer les uns aux autres, ces nouveaux zélotes de la République forment aujourd’hui une coalition hétéroclite et souvent hargneuse dont les membres se prosternent devant leur Déesse : Marianne. A leurs yeux, elle est grande, belle, généreuse, libre, égale et fraternelle, bien sûr. En un mot, sublime, forcément sublime. A l’instar de tous ceux qui adorent un ou plusieurs êtres imaginaires, dont l’existence est pourtant improbable, ils lui trouvent des qualités et des vertus extraordinaires. A les entendre, elle guide de ses pas fermes et de son bras vigoureux le peuple et la nation vers un avenir radieux. Un éternel printemps républicain, prétendent certains qui ont juré de la servir et de la défendre toujours. Que dis-je, il est déjà possible d’observer les effets de ses pouvoirs augustes ; l’Histoire et le présent portent les marques de ses exploits multiples et tous se souviennent des batailles remportées contre des ennemis, quelquefois aidés par la main odieuse de l’étranger. « Aux armes citoyens ! »

De l’exceptionnelle révolution qui l’a vue naître, grandir et prospérer jusqu’à nos jours, en dépit d’épreuves nombreuses, qu’elle a toujours surmontées avec courage et ténacité, Marianne n’a eu de cesse de veiller sur ses enfants. Elle les couvre de soins maternels afin que tous puissent s’épanouir et vivre dignement, librement et fraternellement dans ce pays à nul autre pareil qui se nomme la France ; celle-là même où elle s’est établie pour le plus grand bonheur de ses habitants et de l’humanité toute entière. Marianne, en effet, étend ses bienfaits au-delà des frontières de l’Hexagone harmonieux, patiemment façonné par les mains d’un peuple fier, vaillant et laborieux. La République est universelle, et l’humanité souffrante a toujours bénéficié de ses lumières, de sa culture immense, de ses sciences triomphantes, de son amour dispensé sur tous les continents, et, enfin, de sa fidélité constante aux principes qui la guident depuis qu’elle a vu le jour au milieu des fracas de l’Histoire. Gloire à toi, oh Marianne qui, debout sur la barricade dressée contre la tyrannie, fièrement coiffée de ton bonnet phrygien, bravant la mitraille, tous les dangers et toutes les morts promises, a défait les despotes pour défendre ce peuple que tu aimes comme il t’aime !

Aux dires unanimes des spécialistes es-prophètes, divinités et mystères, il en est un qui fit reculer la mer pour libérer ses ouailles d’une impitoyable oppression, un autre qui, sous les yeux attendris de sa mère toujours vierge, marcha sur les eaux tumultueuses à la rencontre de ses disciples. N’oublions pas celui qui, par une chaude et claire nuit d’Arabie, a fendu la lune devant des mecquois médusés. Certains sont dotés de quatre bras, d’autres encore ont les oreilles allongées, une protubérance sur le crâne, qui dit leur sagesse infinie, et un troisième œil au milieu du front. Marianne a n’a point de ces fantaisies fantastiques mais la puissance de ses pouvoirs ne laisse pas de surprendre et ses miracles sont aussi nombreux que fameux. Comme les alchimistes qui changeaient le vil plomb en or, elle transforme les guerres de conquête en aventures glorieuses au service de la liberté, d’impitoyables généraux, qui ont sacrifié des milliers d’hommes sur l’autel de leurs ambitions, en héros pensionnés, couverts de médailles et d’honneurs. Quant à la brutale colonisation, elle se mue en une paisible et admirable civilisation, et l’écrasement impitoyable des classes pauvres en triomphe de la paix civile, du progrès et du droit. Jamais Marianne n’attaque, toujours elle se défend et son hospitalité légendaire a fait de la France une douce terre d’accueil. Sur tous les continents, le nom de cette République résonne comme la promesse d’une aube nouvelle offerte aux miséreux et aux persécutés qu’elle étreint de ses bras généreux.

Admirable ! Français, soyez fiers ! Immarcescibles beautés du passé qu’il faut aimer, admirer et conter afin que nul n’ignore la marche triomphale de Marianne, tant de fois abattue mais jamais vaincue. Depuis longtemps établie, elle continue d’avancer et de prospérer vaillamment pour le plus grand bonheur des citoyens. Fort nombreux, ses admirateurs transis narrent avec docilité sa gloire et ses victoires en croyant, pas ces récits pompeux, livrer une nouvelle histoire. Jusqu’à la rue du quai de Conti, dans la française académie, on applaudit à ces mièvres écrits.

Ces dévots ont aussi leurs lieux de culte, leurs cérémonies et leur signe de ralliement : un drapeau bleu, blanc, rouge qu’ils adorent et protègent des outrages qui pourraient le souiller. Gare à celui qui s’en rit, en mésuse ou, pire encore, le brûle. « Odieux blasphème » tonnent alors ceux qui prétendent se réjouir de la disparition de ce crime attaché à l’Ancien régime abattu en 1789. Ces fétichistes républicains, dont les ancêtres se gaussaient des “noirs sauvages” d’Afrique et de l’adoration aveugle qu’ils portaient à d’étranges créatures et objets, deviennent féroces lorsque cet étendard est attaqué. Mise au ban de la société, scandale et condamnation, telles sont les peines promises à ceux qui osent flétrir cette bannière devant laquelle ses pieux adorateurs s’inclinent comme d’autres s’agenouillent au pied de leur divinité. Sainte relique de la République. Parfois certains baisent ce drapeau avant de l’élever majestueux vers les cieux dans un silence religieux. Plus singulier encore, les mêmes parfois adorent un fier gallinacé à la crête rouge et dentelée ; le coq est leur emblème et il décore, monnaies, insignes, monuments et palais. Que de coutumes étranges !

Pour mieux se retrouver, communier et dire d’une même voix la passion qu’ils vouent à la sublime Marianne, ces dévots ont un chant de ralliement, martial et mâle. De droite ou de gauche, quels que soient leur obédience, les clans et les sociétés diverses auxquels ils appartiennent, tous l’entonnent en maintes occasions. Cet hymne, chacun doit le connaître et, lors de cérémonies solennelles, l’entonner à tue-tête, en public et en chœur sauf à passer pour un traitre. Que la honte s’abatte sur celui qui l’ignore. « La République est la République, et Marianne est sa déesse » ; telle est profession de foi de ces sectateurs zélés qui se poussent du col pour dire, plus fort et mieux que les autres, leur amour de Marianne. Ils rivalisent de déclarations enflammées en clamant urbi et orbi leur volonté de la servir et de combattre ses adversaires qui, dangereusement, vitupèrent et prospèrent. N’osez aucune critique, le courroux et l’indignation de ces dévots braillards sont à la mesure de leur aveuglante passion ; tous deux sont terribles, de même leurs collectives accusations. « Ennemis, traitres, collaborateurs, islamo-gauchistes, communautaristes, droits-de-l’hommistes, etc. ». Sinistre mais féconde est leur imagination qui appelle de nouvelles proscriptions.

Divin marquis, réveille-toi, ils sont devenus fous. Je t’abandonne la plume :

« Tenons donc aujourd’hui dans le même mépris et le dieu vain que des imposteurs ont prêché, et toutes les subtilités religieuses qui découlent de sa ridicule adoption ; ce n’est plus avec ce hochet qu’on peut amuser des hommes libres. (…) Ne nous contentons pas de briser les sceptres ; pulvérisons à jamais les idoles ! ».