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Autopsie des techniques pour maquiller les violences policières

Violences-Policières

Lien publiée le 17 février 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://paris-luttes.info/autopsie-des-techniques-policieres-9334

La récurrence des violences policières a obligé les policiers et certaines rédactions journalistiques à la botte de la préfecture à développer des techniques pour masquer la violence manifeste des pandores. Voici quelques-unes de ces techniques.

Depuis sa création en France sous Louis XIV, la police possède une longue tradition de répression des classes laborieuses (donc perçues par le pouvoir comme dangereuses). Cette répression se fait historiquement dans la violence doublée d’une communication étatique hors pair pour justifier l’emploi de celle-ci (répression des mouvements révolutionnaires de 1789, répression des mouvements ouvriers au XIXe et au début du XXe siècle qui font souvent de nombreux morts, sans oublier la participation active de celle-ci à l’arrestation, l’enfermement (comme au camps de concentration de Drancy) et la déportation des populations persécutées par le régime nazi et l’État de Vichy).

Qu’il s’agisse de réprimer des individus ou des mouvements collectifs — à ce titre les Crimes d’octobre 1961 sont un exemple édifiant — la communication préfectorale autour de la légitimation de l’usage de la violence par les forces de l’ordre dites républicaines à l’encontre des populations demeure assez constante. Si en 1982 l’accumulation de ces violences à l’encontre d’individus avait fait naître une grande réaction collective (la marche pour l’égalité et la justice) il semble qu’en plus de 30 ans rien n’ait changé.

Vital Michalon, Malik Oussekine, Zyed Benna et Bouna Traoré, Lamine Dieng, Amine Bentoussi, Rémi Fraisse, Adama Traoré... Voilà quelques unes des personnes tuées par la police dont les noms sont devenus connus suite aux mobilisations qui se sont formés autour de ces assassinats. Or, il ne se passe pas une semaine sans que la nouvelle d’une "bavure" policière ne nous parvienne. À chaque fois, de communiqués de la préfecture de police en article de la presse réactionnaire, tout se passe comme si la légitimité des actions policières ne pouvait jamais être remise en question et que la victime était toujours coupable. C’est toujours le même scénario bien rodé pour couvrir les violences policières.

Si le phénomène n’a rien de nouveau, la multiplication des affaires en 2017 et le passage de lois toujours plus permissives quant à la légitimation de ces violences policières méritent qu’on s’arrête un peu sur ce mécanisme bien rodé pour couvrir les violences de la police.
Ainsi lorsqu’une "bavure" a lieu le même schéma se répète souvent :

A - La réaction policière
A.1 - Jeter le discrédit sur les victimes
A.1.1 - Criminaliser le territoire
A.1.2 - La victime est peu recommandable
A.2 - Distiller peu d’informations sur la victime
B - Le volet médiatique
B.3 - La situation était dangereuse, les flics n’avaient pas le choix
B.3.1 - Les policier.e.s ont été attaqué.e.s
B.3.2 - La victime était un coupable idéal
B.3.3 - Utiliser des éléments de langage tels que « bavure »
B.4 - Discréditer toute forme de soutien
B.4.1 - La victime et sa famille sont des gens peu recommandables

A - La réaction policière

1. Discréditer les victimes et criminaliser le territoire aux yeux de l’opinion publique pour éviter les soutiens

1.1 Criminaliser le territoire
En premier lieu, il s’agit pour les flics et les journalistes qui travaillent en étroite collaboration avec les syndicats policiers de dépeindre un territoire en guerre pour pouvoir justifier les pires pratiques des flics. « Quartier sensible » « zone de non droit » « quartier difficile ». Les qualificatifs sont nombreux pour indiquer les endroits où ont lieu la plupart du temps des violences policières. Les violences des flics sont d’ores et déjà nuancées par les « conditions d’intervention difficiles ». Et souvent les journalistes s’appuient sur les revendications... des syndicats policiers comme à Viry-Châtillon.

Ce n’est néanmoins pas possible lorsqu’un paysan est tué en Saône-et-Loire.

1.2 La victime est une personne peu recommandable et il est vraiment de mauvais goût de la défendre.
C’est l’étape supérieure, quand ça commence à faire un peu de bruit. Cet argument sort très vite à partir du moment où l’affaire s’ébruite. Ainsi on apprend que la personne était « bien connue des services de police ». Il arrive même que cette personne ait un casier judiciaire. Les flics appuient donc à fond sur la « mauvaise réputation du garçon ». Cette personne est également souvent en état de démence. Elle trempe dans des trafics louches et était à l’occasion des faits "sous l’emprise de stupéfiants". C’était le cas de Lamine Dieng par exemple qui aurait consommé de la cocaïne (Jean Luc Delarue aussi et on ne l’a pas tué).

2. Absence d’informations concernant la victime

En cas de décès la famille et les soutiens sont dans le flou le plus total et n’ont pas accès au corps ou à des informations concernant la victime : est-elle en garde à vue ? À l’hôpital ? Quelles ont été les circonstances de son interpellation ? Lorsque la victime est blessée on la maintient à l’isolement afin que celle-ci ne puisse pas communiquer, bien souvent les enquêtes après coup démontrent que les droits de la victime à avoir accès à une visite médicale ou à un avocat ont été bafoués.

Désinformer pour éviter les questions, les réactions, semble une arme bien efficace et bien souvent les proches de la victime doivent s’armer de détermination et de patience pour obtenir la moindre information.

Une autre technique bien rodée consiste à affirmer que la victime souffrait de graves problèmes de santé qui ont conduit à son décès quand bien même aucun antécédent médical ne soit connu pour la victime ou ne vienne étayer cette thèse.

B - Le volet Médiatique

3. Communiquer par voie de presse pour faire croire que la situation était simple et dangereuse et que les flics n’avaient pas le choix

La préfecture va alors écrire un communiqué repris avec le moins de conscience journalistique possible par des médias avides de sensations fortes et de faits divers sordides pour expliquer les circonstances "du drame" ou de "l’intervention dans des circonstances difficiles" des forces du désordre. La base de cette rhétorique s’organise comme suit :

3.1 Les policiers ont été attaqués par la victime / le quartier / de dangereux délinquants / des gens radicalisés

C’est la base de la rhétorique policière : les policiers se sont fait attaquer. Quelles que soient les circonstances, les flics doivent avoir l’air de victimes qui ont simplement riposté et n’avaient pas le choix : ils seraient donc a priori en état de légitime défense (Aulnay).

D’ailleurs la situation est toujours extrêmement claire selon les policiers et les journalistes. Tellement claire qu’on peut quasi systématiquement reprendre le même schéma : « en entrant dans le quartier X, la police a été prise à partie et a du faire usage de son pistolet / flashball / arrestation avec violence ». Le fait qu’ils aient tué ou blessé grièvement une personne est donc là encore minimisé et mis à distance. Néanmoins il est possible que quelques éléments (témoignages trop flagrants ou vidéo) viennent contester cette version. Il faudra donc développer une nouvelle trame narrative.

3.2 Communiquer sur le fait que la victime est coupable de beaucoup de choses illégales que cela ait un rapport ou non avec les circonstances de la bavure

Oubliée donc la présomption d’innocence (c’est à dire que tant qu’on a pas été jugé pour un crime et reconnu coupable on en est pas coupable, et ce quelles que soient les preuves à charge ou décharge apportées par l’institution policière) ! Il s’agit d’accuser la victime de tout et n’importe quoi à la fois, quand bien même cela ne serait pas cohérent avec l’histoire racontée par les flics sur l’intervention. (Malik Oussekine, Amine Bentousi).

3.3 Utiliser des éléments de langage comme "bavure", "drame", "dérapage".

Lors d’une affaire de violence policière, les mots employés dans les médias sont systématiquement les mêmes : "bavure", "dérapage". Ces mots soulignent tacitement que les faits qui se sont produits sont exceptionnels. Ce alors même que les affaires de violence policière ont souvent des déroulements similaires (un contrôle de police qui aboutit à la mort par étouffement, une course-poursuite qui se termine en accident de la route...). Ces mots permettent, si la version policière se trouve malmenée par la suite, de ne faire porter la responsabilité que sur un.e individu.e, voire une brigade. Cela permet de psychologiser les violences policières : elles seraient uniquement la conséquence de comportements individuels, d’un.e agent.e particulièrement violent.e.
Si, effectivement, il y a une composante individuelle dans toute violence, le fait de réduire les violences policières à ce simple trait permet de ne pas réfléchir sur le caractère systématique et systémique des violences et des humiliations exercées par la police en général. Il n’y a alors aucune remise en question de l’ordre policier, les éléments de langage en font un fait divers.

4 discréditer toutes les formes de soutien à la victime (famille/amis/comités de soutiens/syndicats etc.)

4.1 La victime (et sa famille) sont des gens peu recommandables ou manipulateurs
C’est la dernière carte utilisée par les flics dans ce cas. La famille serait à la tête d’un réseau mafieux, ou radicalisé ou serait dysfonctionnelle. En attaquant les familles on sous-entend donc que la victime devait bien avoir quelque chose à se reprocher qui justifierait le dérapage policier.
Les gens qui formeraient les comités de soutiens seraient au choix : malhonnêtes/manipulateurs/auraient des visées politiques partisanes ou peu claires, bref tout est bon pour encourager l’opinion publique à se distancier de la victime et de ses soutiens.

S’ensuivront alors plus tard d’autres formes d’humiliations pour la victime et sa famille : l’acharnement judiciaire via des plaintes pour outrage et rébellion, le maintien en préventive même dans des cas très inhabituels, le contrôle judiciaire, ou d’autres moyens de pression pour que la victime et ses soutiens cessent de porter une parole publique discordante de la version policière : perquisitions, interrogatoires de la victime ou de ses proches pour des motifs divers. En ce sens l’acharnement judiciaire à l’encontre de la famille Traoré relève du cas d’école.

Mais il y a également la possibilité de réprimer d’éventuelles manifestations publiques de soutien en discréditant les de celles-ci comme ce fut le cas des manifestations (trop rares) pour réclamer la punition des gendarmes ayant tué Rémi Fraisse.

Enfin, reporter aux calendes grecques un éventuel procès contre les flics et minimiser la publicité autour de celui-ci ou multiplier les renvois et appels histoire que cela tombe dans les limbes de l’oubli est une technique également bien rodée pour éviter toute condamnation de ces formes de répression.

Une bavure a souvent l’air d’être le fait isolé de quelques cow-boys de la police, mais la méthode mise en place pour l’étouffer, montre toujours le soutien de l’institution judiciaire et policière qui relève d’une stratégie de répression des classes populaires et des franges en lutte de la population. Sur le terrain la police agit seule, mais légitimer son action violente et l’entériner via une communication bien orchestrée rappelle qu’elle n’est que le bras armé de l’État et que c’est bien celui-ci qu’il faut tenir pour responsable de ces violences.

Pour aller plus loin :

  1. Maurice Rajsfus, La police hors la loi – Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968, Le Cherche midi, 1996
  2. Laurent Bonelli : « Le traitement médiatique de l’insécurité » vidéos d’un Jeudi d’Acrimed (1/2)
    par Mauvaise Herbe http://www.acrimed.org/Le-traitement-mediatique-de-l-insecurite-videos-d-un-Jeudi-d-Acrimed-avec
  3. Collectif Angles morts, Permis de tuer, Syllepse, 2014
  4. Mathieu Rigouste, La domination policière, La Fabrique, 2012
  5. Collectif Cases Rebelles, 100 portraits contre l’État policier, Syllepses, 2017