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Ludivine Bantigny: "Le monde ouvrier n’a pas disparu des radars de la mémoire"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Plus on est jeune, plus on occulte la dimension ouvrière des manifestations de mai-juin 68, note Ludivine Bantigny, qui analyse les réponses de notre sondage Harris Interacrive. Le résultat d'un travail de reconstruction de la mémoire opéré par certaines figures emblématiques du mouvement.
Ludivine Bantigny : En première approche, cette réponse ne surprend pas, évidemment. L’événement a marqué les générations qui l’ont directement connu, même celles et ceux qui étaient à l’époque enfants : c’était un moment en suspens, au sens strict extra-ordinaire, par les grèves, les occupations d’usines, de bureaux, de magasins, de ports, d’écoles, de lycées et d’universités, de théâtres et de maisons de la culture… Des personnes qui ne se connaissaient pas se sont mises à se parler. Il y avait des comités de grève, des comités d’action et de quartier. L’économie était bloquée. La joie parcourait les manifestations. Elle se mêlait aussi de peur chez celles et ceux qui ne voyaient dans la contestation qu’un chaos : le pouvoir brandissait d’ailleurs le spectre du totalitarisme et la hantise de la guerre civile. Ensuite, pendant des décennies et spécialement à chaque anniversaire, 68 est revenu en mémoire, en général pour comparer les nouvelles générations à celles qui avaient « fait Mai ». En 1986, lors du grand mouvement des lycées et des étudiants contre le projet de loi Devaquet, ou en 2006, lors de la grève contre le CPE (Contrat Première Embauche) défendu par Jacques Chirac et Dominique de Villepin, les commentateurs les plus sceptiques ou dubitatifs ont eu tendance à rabaisser ou dénigrer ces mouvements sociaux importants en avançant qu’ils n’avaient pas la flamboyance de 1968. On peut regretter que les plus jeunes n’aient pas une connaissance claire de ce qui s’est passé alors en France mais aussi un peu partout dans le monde, de Tokyo à Berkeley, de Milan à Berlin, d’Istanbul à Tunis et de Nantes à Strasbourg en passant par Paris et Nanterre ; on peut déplorer que cet événement si important, qui à certains égards a eu des retombées structurelles, profondes, soit si peu enseigné. Mais il faut nuancer. D’abord en se disant qu’après tout, mieux vaut que les jeunes d’aujourd’hui aient été épargnés par toutes les caricatures et les clichés qui ont défiguré 1968 et lui ont associé des conséquences supposées à mille lieues de ce qu’a été l’événement (le néolibéralisme, l’individualisme ou bien encore une petite révolte de « fils à papa ») : pour celles et ceux qui ont vécu cette grève générale, ce doit être douloureux de se voir ainsi dépossédé·e·s par quelques commentateurs ou même quelques anciens de 1968 qui tiennent aujourd’hui, si l’on peut dire, le haut du pavé politique et médiatique. Il n’est pas plus mal que les jeunes se fassent désormais leur propre opinion en lisant des articles ou des livres d’histoire. Et de surcroît, bien des jeunes engagés dans notre présent le plus brûlant sont avides de comprendre ce qui s’est passé et quels étaient les projets nés en 1968 pour réellement « changer la vie ».
L. B. : Quand on regarde attentivement le « nuage de mots » constitué des réponses à cette question, on est d’abord frappé·e par une certaine justesse. Les manifestations et les barricades sont bien sûr présentes, mais aussi les grèves : c’est important et rassurant quant à la mémoire de l’événement. Pendant des années, et surtout à compter de la décennie 1980, un certain discours sur les événements a négligé absolument la grève générale alors que près de dix millions de personnes en France ont tout simplement décidé de s’arrêter, à un moment, de travailler, pour réfléchir à leur vie, à leur travail, à leur ville et leur quartier, à la manière dont ces vies pourraient changer, s’émanciper des carcans qui pesaient alors sur la société. « Ouvriers » est un mot largement supplanté par le mot « étudiants », mais il est tout de même présent ce qui est réconfortant quand, là aussi pendant des années, le monde ouvrier semblait avoir disparu des radars de la mémoire. « Révolte » et « révolution » apparaissent aussi en bonne place, ce qui semble adéquat à l’événement : ses participantes et participants avaient vraiment l’espoir de changements profonds, entre réformes et révolution. On travaillait beaucoup à cette époque, en moyenne 46 voire 48 à 50 heures par semaine et on ne voulait plus perdre sa vie à la gagner. On rejetait une sorte de mécanique de l’existence et les salariés qui, dès 1967, avaient fait grève dans les usines Rhodia aspiraient à être « des hommes, pas des robots ». Des chrétiens, catholiques notamment, et parmi eux des prêtres ont participé à l’événement et soutenu les grévistes en rejetant le critère de l’argent-roi dans une société de plus en plus tournée vers la productivité à outrance, le consumérisme et la publicité. Certaines et certains avaient, au-delà, l’espoir d’en finir avec une société du capitalisme et du marché : il est donc logique que « révolution » figure en bonne place dans ce « nuage ».
À y regarder de plus près cependant, si l’on peut comprendre que le mot « étudiants » figure en si bonne place – centrale, dans cette composition de mots –, on se dit qu’il y a encore beaucoup à faire pour souligner que les étudiantes et étudiants étaient alors une petite minorité (12 % de leur classe d’âge seulement). En réalité, non seulement les premières grandes grèves, les premières barricades et les premiers lancers de pavés, dès l’automne 1967 et le début de l’année 1968, étaient le fait d’ouvriers et de paysans, à Redon, Quimper ou Caen, mais encore les étudiants de Nanterre et du Quartier latin ont été rejoints dès les premiers jours de mai par des jeunes de toutes conditions, beaucoup d’ouvriers, d’employés, de techniciens, de jeunes boulangers, bouchers, coursiers, plongeurs de restaurant ou encore garçons de café… Il y a eu très tôt un brassage social dont les mots retenus ici ne rendent pas compte.
Un autre fait frappant est que le mot « occupations » n’apparaît pas ; c’est pourtant une singularité profonde de l’événement, ce qui le rapproche du Front populaire. Enfin, il est question de la « Sorbonne » et de « Paris », et pourtant, tout le pays a été traversé par le mouvement. Partout il se passe quelque chose, des grèves même dans de toutes petites entreprises, de manifestations et des rassemblements. L’événement 1968 est tout à la fois très local, national et mondial.
L. B. : Cette réponse est très étonnante et mérite qu’on s’y arrête. Si les responsables politiques ont peu à peu perdu la confiance des citoyens, c’est en raison des politiques menées et non pas « à cause » de 68. Si cette confiance s’est « dégradée », c’est parce que bien des promesses n’ont pas été tenues et bien des espoirs ont été déçus. Parmi les protagonistes de l’événement 1968, certaines et certains ont cherché à repenser la démocratie et à lui retrouver de nouvelles formes, comme avaient pu le faire des révolutionnaires au XIXe siècle : assemblées générales, comités d’entreprises et de quartiers, démocratie directe, idée que tout un chacun est légitime à s’occuper de la chose politique, de ce qui fait du commun et de ce qui fait la « cité » (la polis grecque qui donne notre mot « politique »). Cette conception n’a jusqu’à présent pas été mise en œuvre, pas davantage qu’elle ne l’a été en 1848 quand la République a été instaurée et que des ouvriers avaient imaginé alors une république fondée sur la démocratie directe. Mais rien ne dit que cette idée soit obsolète et rien ne dit qu’elle ne reviendra pas en force, étant donnée l’immensité du désenchantement à l’égard de « représentants » qui parfois ne représentent que leurs intérêts…
Propos recueillis par Simon Blin
Infographie par Sandrine Samii
À lire :
1968, de grands soirs en petits matins, Ludivine Bantigny, Seuil, 464 p., 25 €