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Le macronisme, cette idéologie de l’individualisme béat et indigne

Lien publiée le 8 mars 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.huffingtonpost.fr/hadrien-bureau/le-macronisme-cette-ideologie-de-l-individualisme-beat-et-indigne-qui-ne-dit-pas-son-nom_a_23375283/

Hadrien Bureau

Enseignant en économie, membre de la coordination politique du mouvement Génération.s de Benoît Hamon

Prétendre ne véhiculer aucune idéologie et œuvrer au seul service de l'efficacité, voilà le mensonge qui participa à l'élection de Macron et qui contribue sans doute à sa chute dans les enquêtes d'opinion.

Le macronisme repose tout entier sur une mystification: il serait apolitique. Dans cette époque complexe et troublée, il faudrait abandonner toute idéologie, perçue comme une vieille querelle futile et absurde. Le choix politique ne serait plus un choix moral. Seuls l'efficacité, le pragmatisme et le bon sens auraient droit de cité.

Dire cela, c'est prétendre en creux qu'il n'est qu'une seule route possible, qu'en somme ceux qui gouvernent connaissent la vérité et qu'y opposer une pensée contraire relève par principe de l'erreur. Si la recherche de la vérité est louable, tout dirigeant qui prétendrait détenir la vérité et agir en son nom méconnaîtrait nos plus élémentaires principes démocratiques. Seuls les régimes totalitaires ne doutent jamais d'eux-mêmes et c'est pourquoi toute prétention à gouverner avec la vérité masque le début d'une dérive autoritaire. La démocratie est par essence et par vocation le régime du doute. De là vient sa faiblesse et sa grandeur.

Le choix politique ne serait plus un choix moral. Seuls l'efficacité, le pragmatisme et le bon sens auraient droit de cité. A quoi bon le vote, si la vérité apparaissait là, toute entière, comme le soleil en été ?

A quoi bon le vote, si la vérité apparaissait là, toute entière, comme le soleil en été ? S'il existe peut-être une vérité, la démocratie a l'humilité d'admettre qu'elle n'est que sur son chemin et c'est pourquoi elle accepte et protège les opinions diverses et contradictoires, la multitude joyeuse et passionnée des idéologies, la foule des croyances et des rêves. Cela, Emmanuel Macron le sait. Et c'est pourquoi, même si le Président aurait bon nombre d'efforts à faire en matière démocratique, il ne s'agit pas d'affirmer ici qu'Emmanuel Macron voudrait faire de la France un État autocratique. Il s'agit de relever l'imposture du macronisme qui prétend ne véhiculer aucune idéologie et œuvrer au seul service de l'efficacité. Voilà le mensonge qui participa à l'élection d'Emmanuel Macron et qui contribue sans doute aussi à sa chute soudaine dans les enquêtes d'opinion. Presque un an après son arrivée au pouvoir, il devient clair pour tous qu'Emmanuel Macron gouverne la France à droite et agit au nom d'une idéologie libérale et individualiste.

Oui, le macronisme est un individualisme. Emmanuel Macron transforme tout problème social en problème individuel. Le chômage de masse ne constitue pas un problème social. Il relève avant tout de la responsabilité de l'individu qui refuse de se former, de mettre tout en œuvre pour trouver un emploi, qui préfère, en un mot, être fainéant, et choisit son canapé aux files d'attente de Pôle emploi. Il faut donc encadrer davantage les chômeurs, renforcer leur contrôle et leurs sanctions. Voilà la réponse du macronisme au chômage. Mais de l'automatisation croissante de la production, de la financiarisation de l'économie, de la faiblesse des investissements, du partage inégalitaire de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, de tout cela, le gouvernement ne dit mot.

Macron transforme tout problème social en problème individuel. Le chômage de masse relève avant tout de la responsabilité de l'individu qui refuse de mettre tout en œuvre pour trouver un emploi.

Le mal-logement n'est pas non plus un problème social. Il n'est pas le produit d'un sous-investissement cruel en logements sociaux et le fait de communes qui préfèrent payer une amende plutôt que de recevoir la pauvreté chez elles. Non, la faute en est aux sans-abri qui, "dans leur immense majorité", préfèrent, selon le député Sylvain Maillard (LREM), dormir à la rue plutôt que de se réfugier dans un centre d'urgence. Comme le disait François Mitterrand, "la démocratie c'est aussi le droit institutionnel à dire des bêtises". La bêtise pourrait prêter à sourire si elle n'avait pas la couleur de l'indécence lorsque le secrétaire d'État au logement, Julien Denormandie, prétend que l'Île-de-France ne compte que 50 SDF alors que nous savons grâce à une initiative de la Mairie de Paris qu'ils sont plus de 3000 rien qu'à Paris. Il faut réformer la SNCF? L'entreprise ne souffre pas, là encore, d'un manque d'investissement public. Non, l'entreprise est en souffrance du fait de la montagne de privilèges qu'accapare une petite bande de cheminots corporatistes. A chaque fois, la responsabilité sociale est niée et tout repose désormais sur l'individu, isolé et stigmatisé. Là encore, il ne s'agit pas d'enlever à l'individu sa responsabilité et de tomber dans la caricature dans laquelle les libéraux enferment souvent la gauche.

Ce serait nier sa liberté. Il s'agit de dénoncer l'excès individualiste du macronisme. Affirmer que tout repose sur l'individu, c'est insidieusement affirmer que le gouvernement et l'État ne sont plus responsables de rien.

Macron mythifie les succès individuels. Oui, pour lui, certains sont tout et d'autres ne sont rien. Et parce que le riche aurait choisi le succès et la richesse, le pauvre aurait choisi l'échec et la misère. Tout serait affaire de volonté, de choix et de courage.

A l'autre bout de la corde, Emmanuel Macron mythifie les succès individuels. Quelle figure a davantage inspiré et fondé son projet politique si ce n'est celle de l'entrepreneur? Et quelle figure plus individualiste que le mythe de l'entrepreneur, sorte de génie individuel, self-made man, capable seul de déplacer les montagnes? Oui, pour Emmanuel Macron, certains sont tout et d'autres ne sont rien. Et parce que le riche aurait choisi le succès et la richesse, le pauvre aurait choisi l'échec et la misère. Tout serait affaire de volonté, de choix et de courage. L'individualisme de Macron est béat et indigne. Béat, parce qu'il néglige complètement tout phénomène social, tout déterminisme et refuse de s'attaquer aux racines profondes des inégalités au nom d'une fable libérale. Indigne, parce qu'il stigmatise les plus fragiles de notre société qui, dans leur écrasante majorité, ne sont pas comptables de leur sort, et parce qu'il sur-privilégie les mieux lotis alors qu'ils ne sont que partiellement responsables de leurs succès. Est-ce un hasard si, contrairement au mythe, la majeure partie des entrepreneurs à succès sont issus de milieux socialement et financièrement favorisés? Est-ce un hasard si les grandes écoles sont aujourd'hui le lieu de la reproduction des élites? Qui peut affirmer ici qu'une fille d'agriculteur ou d'ouvrier a les mêmes chances dans la vie qu'un fils de cadre dirigeant, de médecin ou de professeur des universités?

Il ne faut pas confondre le mouvement et le progrès. Cette imposture levée, il nous revient de réconcilier l'émancipation individuelle avec la nécessité du collectif. La gauche ne dit pas: "l'individu est à mépriser", elle dit "il n'est pas de liberté individuelle pleine et entière sans mécanismes puissants de solidarité". Au culte de l'individu, la gauche doit préférer une éthique de la solidarité. Et à chaque fois que ce gouvernement voudra désarmer les services publics et affaiblir ce qu'il nous reste d'État providence, elle devra rappeler avec la plus grande force que la République n'est pas née du hasard. Que sa naissance relève d'un patient combat et que, si sa devise si belle débute avec le mot "liberté", elle s'empresse d'ajouter dans un souffle, et comme pour prévenir des menaces de demain, l'égalité et la fraternité.