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Le délit imaginaire de la rébellion catalane

Catalogne

Lien publiée le 14 avril 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/europe/espagne/la-repression-de-letat-et-le-delit-imaginaire-de-la-rebellion-catalane.html

Par Daniel Raventos et Miguel Salas 

Des politiciens catalans emprisonnés et d’autres exilés en exil en Suisse, en Allemagne, en Belgique et en Ecosse. Tous légalement élus selon la législation actuelle «Autonomies», sous la Monarchie espagnole. Sans avoir utilisé aucune violence. Ils appartiennent à des pensées politiques différentes allant de la droite à la gauche et à l’extrême gauche. Mais avec une chose en commun: leur accord sur le droit du peuple catalan de décider des relations qu’il veut entretenir avec les autres peuples et nations du monde. Au vu des événements, ceux qui ont préféré l’exil semblent avoir eu raison: ce qui a ainsi favorisé la grande internationalisation de la situation catalane, laquelle, à son tour, a mis en évidence le caractère de l’actuel système judiciaire espagnol hérité du régime franquiste: «Le Parquet général de l’Etat, la Cour nationale de justice et le Tribunal suprême ne se comportent pas comme des organes de l’administration de la justice d’un Etat de droit social et démocratique, mais comme ce qu’ils étaient sous le régime des Lois fondamentales.» Un aspect et non l’unique du régime de la restauration monarchique des Bourbons – ou de la constitution de 1978 – qui va bien au-delà de ce que laisse entendre la rhétorique.

La décision du tribunal du Schleswig-Holstein de libérer Carles Puigdemont (6 avril 2018) et de rejeter l’accusation de crime de rébellion représente un coup direct porté à tous les arguments judiciaires et répressifs de la justice espagnole. Le château de cartes échafaudé sur les prétendues violences de la rébellion catalane s’est effondré sous le constat de la cour allemande. Le gouvernement de Mariano Rajoy subit un autre sérieux revers dans sa politique répressive, la justice espagnole est remise en question et la boue couvre toute la campagne médiatique des partisans de l’article 155 [qui donne le pouvoir sur la Catalogne au gouvernement].

Carles Puigdemont, donnant une conférence de presse, en Allemagne, après sa libération

Parmi les réponses les plus cavernicoles et réactionnaires, la couverture du journal l’ABC du 6 avril 2018 en est l’une des plus représentatives: «La justice européenne donne de l’air au coup d’Etat». Autrement dit, ce sont les tribunaux européens maintenant qui, en défendant, selon eux, le prétendu putsch catalan, n’auraient d’autre but que celui de discréditer «l’Espagne» et, ajoutent-ils, le fantastique gouvernement présidé par Rajoy, «notre» souverain Felipe VI ainsi que le pouvoir judiciaire qui a emprisonné les dirigeants catalans. Quelques jours auparavant, cette même campagne médiatique se réjouissait, avec une haine vindicative évidente pour toute personne dont la capacité cognitive n’est pas sérieusement détériorée, que la police allemande ait arrêté C. Puigdemont et célébrait déjà le fait de le voir bientôt dans les prisons espagnoles.

Ces choses se produisent lorsque les décisions vindicatives des hautes cours de justice espagnoles sont confrontées à la réglementation judiciaire européenne. Il ne s’agit pas de «magnifier la justice européenne», mais de la comparer avec une autre justice extrêmement discréditée. Cela permet une réflexion approfondie sur le niveau démocratique de l’Etat espagnol. Récemment, un constitutionnaliste espagnol chevronné a écrit:

«Le délit de rébellion que le juge d’instruction voit dans le comportement des ex-membres du Gouvernement ou du Bureau du Parlement catalan ou dans celui des présidents des associations culturelles, l’Assemblée Nationale de Catalogne (ANC) et l’Omnium, n’est vu par aucun juge européen. Et il ne le voit pas, car il n’existe pas, comme l’ont déjà écrit plus d’une centaine de professeurs de droit pénal des universités espagnoles. Le crime de rébellion dans les actes d’accusation et dans le mandat d’arrêt européen du juge Pablo Llarena, est un crime imaginaire, c’est-à-dire un crime qui n’existe que dans l’imagination du juge.»

Pour l’instant, les seuls «succès» obtenus par le gouvernement espagnol ont été la mise en œuvre de l’article 155, la suspension de «l’autonomie» catalane et l’emprisonnement ou l’exil de certains des dirigeants les plus visibles du droit à l’autodétermination. Au niveau international, la tentative de présenter certains de ces chefs de la lutte pour l’autodétermination catalane comme des rebelles violents a échoué lamentablement. Le juge Llarena a dû retirer un premier mandat d’arrêt et d’extradition européen lorsqu’il a été informé que la justice belge n’accepterait pas l’extradition des exilés dans ce pays. La Commission des droits de l’homme de l’ONU a exigé que les droits politiques de Jordi Sánchez [de l’ANC et candidat à la présidence de la Catalogne] – l’un des élus emprisonnés et qui n’a pas été autorisé à participer aux sessions parlementaires [un «permis de sortie», pour assister aux délibérations du Parlament, a été à nouveau refusé le 12 avril] – soient reconnus. Une recommandation de ce genre n’est pas discutable, bien que la justice espagnole ne l’accepte toujours pas, avec l’excuse qu’elle a 6 mois pour l’accomplir.

Au second mandat d’arrêt et d’extradition européen, la Belgique a réagi en libérant les trois conseillers de la Generalitat, l’ex-gouvernement de l’autonomie catalane, en exil. Il semble que la justice écossaise puisse répondre dans le même sens en ce qui concerne la conseillère Clara Ponsatí [ex-conseillère à l’enseignement de la Generalitat, membre de l’ANC]. Ce mandat d’arrêt européen a également demandé l’extradition de Marta Rovira, la leader de l’ERC (Gauche républicaine catalane), exilée en Suisse. L’Etat suisse a répondu également qu’il n’extrade pas les gens pour des raisons politiques. Pour tenter de faire pression, la police espagnole a arrêté Hervé Falciani, l’employé de banque (HSBC Suisse) qui a dénoncé l’évasion fiscale, en récupérant un mandat d’arrêt datant d’il y a un an! La tentative grossière (l’Audiencia nacional avait déjà rejeté son extradition) a conduit les représentants suisses à déclarer que Falciani ne serait pas une monnaie d’échange. Bref, une tactique judiciaire qui ne trouve pas d’écho dans la législation européenne. Peut-être que l’héritage franquiste est un facteur à prendre en compte dans l’explication.

Nous avons écrit dans un article précédent que cela va durer longtemps. Nous devons donc considérer l’épisode actuel comme un assaut gagné dans un long combat dont la fin est incertaine; tout reste encore à décider et ne dépend pas seulement des aspects judiciaires. Il y a et il y aura d’autres éléments qui détermineront l’issue: la capacité de riposte et de protestation de la société catalane et espagnole, celle de l’évolution politique dans l’Etat espagnol ainsi que ses répercussions en Europe.

Le Royaume d’Espagne et son système judiciaire, qui dépend du pouvoir exécutif, vont contre-attaquer, chercher de nouveaux arguments juridiques, imposer des interprétations juridiques, etc. parce que tous les partis du «régime de 1978» (PP, PSOE et l’héritier: Ciudadanos) sont déterminés à écraser la rébellion catalane. Ceci n’est ni nouveau, ni ne devrait étonner personne. C’est une constante qui doit être prise en compte de manière permanente. Après le référendum du 1er octobre et les grèves et manifestations du 3 octobre, ils ont pris conscience que le processus d’autodétermination – même avec ses nombreux problèmes, hésitations et erreurs – était sérieux, que la République était possible, et tous les pouvoirs de l’Etat, à commencer par le Roi, en ont pris bonne note. Il convient que, de l’autre côté de la barricade, on en soit également très conscient.

D’où vient la violence?

Ce qui a défini le contenu de la campagne médiatique contre la rébellion catalane a été l’accusation des juges selon laquelle un processus violent s’est développé. Il aurait abouti à des crimes de sédition et de rébellion. La question fondamentale est, sans aucun doute, de tenter de discréditer la mobilisation massive et pacifique développée durant ces dernières années. C’est une vieille manœuvre qui n’a pas toujours été répétée avec succès à différents moments historiques.

Le juge Pablo Llarena

Il y a aussi un autre élément important. L’Etat considère qu’il possède, en tant que tel, la seule légitimité sur la violence. Dès lors, la répression du référendum du 1er octobre lui semble normale, au même titre que les centaines de personnes poursuivies pour avoir participé à des actes de protestation. Ce régime a également démontré qu’il accusera de violence ceux qui se battent simplement pour défendre et exiger des droits. Par la peur, les partisans du régime veulent démobiliser, et avec la démobilisation ils veulent punir ceux qui ont osé exiger ce qui est le plus incompatible avec le régime de 1978: le droit à l’autodétermination. Faut-il rappeler l’entretien de Juan Carlos, père de l’actuel Bourbon, roi d’Espagne, donné à une chaîne de télévision française? «Quelques jours avant sa mort, Franco a pris ma main et m’a dit: “Altesse, la seule chose que je demande c’est que vous préserviez l’unité de l’Espagne. Il ne m’a pas dit “faites une chose ou une autre”, non: l’unité de l’Espagne, le reste … Si vous y pensez, cela signifie beaucoup de choses.»

Le «a por ellos», (achevons-les!), est en cours de mise en œuvre, entre autres étapes, par le «a por los CDR» (sus aux CDR!). Les CDR (Comités de Défense de la République) sont des organismes unitaires, ouverts à ceux qui veulent participer, issus de la préparation du référendum du 1er octobre et développés après la tentative ratée de proclamation de la République Catalane, le 27 octobre. Ce sont des organismes répartis dans toute la Catalogne, très actifs pour l’organisation d’actions exigeant la libération des prisonniers, mais qui ils débattent aussi et réfléchissent également sur les problèmes constituants d’une future république [voir à ce propos sur ce site l’article: Cinq questions élémentaires sur ce que sont les CDR].

La coupure de certaines routes, la levée de certains péages d’autoroutes et des charges des Mossos (force de police propre à l’«Autonomie») ont permis de relancer la campagne médiatique accusant les CDR d’organiser un nouveau kale-borroka (agitations de rue organisées au Pays Basque par les jeunesses nationalistes radicales basques). Ceci est bien loin de la réalité. Les actions des CDR sont généralement massives, convoquées et organisées publiquement et de résistance passive; généralement quand il y a des incidents ceux-ci sont généralement causés par l’intervention de la police, parce que c’est l’Etat et ses forces de sécurité qui disposent de la légitimité de la violence. C’est là que se trouve la source de la violence. De la même manière que le tribunal allemand a rejeté l’accusation de rébellion contre Carles Puigdemont, entre autres choses parce qu’il n’y a pas eu de violence dans la rébellion catalane, il faudra démonter les campagnes médiatiques qui tentent d’identifier les actions pour la liberté des prisonniers avec le «kale borroka». Les CDR l’ont dit très clairement: nous utilisons des méthodes traditionnelles comme celles des grèves des travailleurs, mais notre lutte est non-violente.

Quel gouvernement

Plus de trois mois se sont écoulés depuis les élections et le Parlament n’a pas élu de président pour le gouvernement de Catalogne. Il ne fait aucun doute que la responsabilité principale incombe aux juges qui ont empêché Puigdemont d’être élu, puis ne l’ont pas permis à Jordi Sánchez (autre candidat de remplacement), et Jordi Turull qui a été emprisonné pour éviter sa possible élection. La maxime des partisans de Mariano Rajoy et du 155 est: il faudra choisir un président qui nous plaira.

Au cours de ces mois il a été possible de vérifier l’inefficacité politique et la volonté ultranationaliste espagnole de Ciudadanos et de son leader Inés Arrimadas. Ciudadanos a été la première force en termes de suffrages, mais sans soutien social et avec nombre insuffisant de parlementaires pour former un gouvernement. Ces dirigeants ont été incapables de produire une idée ou une proposition pour sortir de la situation. Il est évident qu’ils préfèrent la démagogie plutôt qu’un programme gouvernemental ou des propositions politiques. Leur unique «politique» consiste en ce que tout relève de la faute du mouvement indépendantiste et de «l’illégalité» permanente qu’implique la revendication du droit à l’autodétermination.

La coalition Catalogne en Comú – qui inclut des partisans de la mairesse de Barcelone et Podem (branche catalane de Podemos) – a proposé un gouvernement transversal d’indépendants présidé par quelqu’un de progressiste. La proposition de Xavier Domènech (son responsable) pose comme objectif celui de récupérer les institutions, d’abroger l’article 155, de libérer les prisonniers politiques et d’établir des mesures sociales d’urgence. Pour le moment, il ne semble pas avoir eu beaucoup d’échos, puisque cette proposition stipule que le Président ne peut pas appartenir à Junts per Catalunya (la deuxième force politique au Parlement et la première force indépendantiste) et devrait inclure les socialistes qui continuent à soutenir l’application de l’article 155 et à accepter la répression contre les emprisonnés et les exilés. Une quadrature du cercle difficile à réaliser ou une véritable démonstration d’impuissance quand on veut nager entre deux courants très puissants: celui de la répression du «régime de 1978» et celui de la volonté de briser et d’affronter ce régime. Et cela avec des faits, et pas avec des déclarations. C’est une proposition qui continue à placer le débat uniquement comme un problème de gauche ou de droite, sans donner suffisamment d’importance à la situation d’urgence démocratique et au poids des exigences nationales dans l’ensemble de la population. Comme si les problèmes sociaux étaient, d’un côté, et les problèmes nationaux. de l’autre.

Cependant, malgré tous les obstacles imposés par les juges, la majorité parlementaire indépendantiste ne parvient pas à obtenir un consensus suffisant pour former un gouvernement. De plus, elle n’arrive même pas à définir les contenus de son programme de gouvernement. Le résultat en est une paralysie politique qui dure et qui, bien que personne ne semble le vouloir, pourrait aboutir à de nouvelles élections au mois de juillet.

Plusieurs débats sont en cours. L’un est de savoir s’il serait suffisant de récupérer les institutions catalanes, avec le doute de savoir s’il sera possible de revenir à la situation antérieure à l’application du 155; ou si le gouvernement devrait se constituer sur la base d’une construction de la République, sans savoir très bien en quoi cela consisterait concrètement. L’autre débat est celui des politiques sociales du gouvernement. Parmi les forces indépendantistes coexistent les positions néolibérales de personnes provenant de l’ancienne Convergence et les positions anticapitalistes de la CUP. Une coexistence difficile. De la part de Junts per Catalunya et de ERC, on ne voit pas quelles politiques sociales et économiques ils pourraient promouvoir. Cependant, cette semaine ils ont décidé de retirer de l’approbation parlementaire le recouvrement d’une partie de la rémunération supplémentaire due aux employé·e·s du secteur public. Mauvaise décision s’il s’agit d’élargir la base sociale favorable à l’exercice du droit à l’autodétermination.

C’est vrai: la situation complexe n’a pas de solution aisée. Il faudrait une majorité aussi large que possible pour répondre aux demandes soulevées les 1er et 3 octobre derniers, afin d’avancer vers la République avec des mesures sociales d’urgence. Une solution républicaine, avec les médiations et le soutien social nécessaires, est la possibilité de sortir de la paralysie. Le contraire c’est la continuité, d’une manière ou d’une autre, du 155 ou d’une autonomie placée sous «intervention». Il ne s’agit pas d’opposer les mesures sociales aux mesures nationales. Nous l’avons écrit à plus d’une occasion:

«Une erreur grave est d’opposer “le social” au “national”, pour le dire en quelques mots. Comme si les classes populaires ne devaient avoir en tête que les aspects parfois trop rapidement associés uniquement à la politique sociale: salaires, santé, éducation, protection sociale … Le “national” serait un problème qui “détourne” de l’essentiel ou de la seule chose qui devrait inquiéter les classes populaires, le “social”. Comme s’il y avait des espaces sociaux qui dans le capitalisme contemporain échappaient à la lutte des classes. L’indifférence, l’incompréhension ou, pire encore, l’hostilité aux demandes démocratiques d’autodétermination nationale se transforment en un appui direct, indirect, explicite ou implicite aux classes dirigeantes de la nation dominante.»

Le 15 avril

Au lendemain du 87e anniversaire de la Deuxième République, une manifestation organisée par l’entité Democràcia i Convivència a été organisée à Barcelone, réunissant les syndicats ouvriers, l’ANC et Omnium et de nombreuses associations, partis et diverses structures [1]. C’est un appel large et transversal visant à exiger la libération des prisonniers politiques. Ce sera l’occasion de manifester le sentiment majoritaire de protestation contre la politique répressive de l’État espagnol et de calibrer les possibilités de confluence des différentes sensibilités et positions politiques qui permettent de rassembler les efforts pour sortir du blocage actuel, en commençant par libérer les prisonniers et abroger l’article 155. Des revendications qui commencent à avoir un certain écho solidaire dans d’autres parties de l’Etat. Aux manifestations déjà massives au Pays basque ou en Galice, il faut ajouter la manifestation estimable à Madrid, le 7 avril dernier, et la solidarité de ceux de Murcie qui subissent la répression dans leur lutte contre le train à grande vitesse – AVE. (Article publié sur le site Sin Permiso le 8 avril 2018; traduction J. Puyade et site A l’Encontre)

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Daniel Raventos est le rédacteur de la revue et du site Sin Permiso. Professeur d’économie à l’Université de Barcelone. Miguel Salas, syndicaliste et membre du Comité de rédaction de Sin Permiso

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[1] La force motrice de l’Espai Democràcia i Convivència est formée par les entités et organisations suivantes: Association des Acteurs et Directeurs Professionnels de Catalogne (AADPC), Assemblée Nationale Catalane (ANC), Conseil National de la Jeunesse de Catalogne (CNJC), CCOO (Commissions ouvrières) de Catalunya, Confédération des Associations de Voisins de Catalogne (CONFAVC), Lafede.cat–Organisations pour la justice mondiale, Omnium Culturel, Union des Fédérations Sportives de Catalunya (UFEC), Union de Paysans et UGT de Catalunya.