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«Les cheminots: de véritables collègues» pour les «gilets bleus»
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Juliette Pietraszewski
Gare Paris-Montparnasse, lendemain de grève (12 avril). On se bouscule sur les quais. Dans la foule de voyageurs, quelques gilets bleus apparaissent près des voies. Une présence discrète et habituelle que les passagers pressés ne semblent pas remarquer. Les employeurs de ces agents de nettoyage? Des sociétés privées auxquelles la SNCF fait appel pour assurer la propreté de ses gares et de ses rames. Ces salarié·e·s, peu payés, doivent eux aussi faire avec la grève des cheminots.
«J’ai mis quatre heures pour rentrer chez moi hier, j’habite dans l’Essonne», explique Slimane (1), 41 ans, employé de la société USP Nettoyage (groupe Atalian – qui selon le Figaro du 15 décembre 2016 employait 90’000 salarié·e·s dans 27 pays, chiffre d’affaires alors: 1,8 milliard d’euros). Ce salarié s’occupe, comme ses collègues de la gare Montparnasse, de la propreté des rames des Intercités.
Malgré sa mésaventure de la veille, la rancune ne fait pas partie de son vocabulaire: «Je pense que les cheminots sont dans leur bon droit. La grève, c’est pour faire entendre leur colère. Et s’ils manifestent, c’est parce qu’ils doivent avoir de bonnes raisons.» Pendant les grèves, Slimane confirme que les gilets bleus chargés du nettoyage des rames ont moins de travail sur le «chantier Montparnasse». Des trains supprimés qui n’ont pourtant de conséquences ni son salaire ni son poste d’agent de nettoyage: «Sauf si tout le pays se met à l’arrêt comme en 1968, on a toujours quelque chose à faire. Si la grève prend plus d’ampleur, la direction nous enverra sur d’autres chantiers : bus, tramway, métro… Mais je doute que ça aille jusque-là.»
«Collègues». A ses côtés, son collègue Jacques, 52 ans, attend la prochaine rame à nettoyer. Comme beaucoup d’autres gilets bleus, il considère les cheminots comme de véritables collègues: «On n’a pas le même employeur et on n’a pas non plus le même métier, mais on se côtoie tous les jours.» Un peu plus éloignée des voies, dans les escaliers de la gare, Amandine, smicarde de 25 ans, passe un dernier coup de chiffon sur les rampes. Elle travaille depuis quatre ans pour le Groupe Nicollin [5000 salarié·e·s, avant tout en France] un sous-traitant qui s’occupe entre autres des sols et des poubelles des gares. Elle aussi dit comprendre les revendications des cheminots. Et refuse la caricature d’une «grève de riches»: «Leur statut et leurs acquis vont disparaître, c’est normal qu’ils fassent grève.» Concernant leurs «avantages», Amandine se défend de ranger les cheminots dans la catégorie des privilégiés : «Je ne pense pas qu’on puisse parler de privilèges au vu de la pénibilité de leur métier.» Comme beaucoup d’autres de ses collègues qui n’habitent pas à Paris, elle a dû se débrouiller pour venir travailler lors des jours de grève précédents. «Je ne leur en veux pas», précise-t-elle.
Près du local des agents de nettoyage situé sur le quai 24, Mounir, 43 ans, s’apprête à rejoindre son équipe. Cet agent de maîtrise est employé chez USP Nettoyage. Il se dit pessimiste quant à l’aboutissement de la grève SNCF : «C’est malheureux, mais même si je les soutiens, je pense que leurs revendications ne vont pas aboutir à du concret. Le gouvernement ne pliera pas.»
«Mauvaise foi». Malgré tout, la compassion des gilets bleus persiste. Mounir travaille depuis dix-huit ans dans le nettoyage, il gagne 2300 euros net. Un salaire proche des revenus des cheminots selon lui : «Certains gagnent moins que moi. Je le sais parce qu’on en a déjà parlé ensemble. Ces histoires de “grève de riches”, c’est de la mauvaise foi. Les vrais riches ne manifestent jamais.»
Ce responsable confie aussi s’inquiéter de la mise en concurrence de la SNCF: «Si ça diminue le nombre d’agents, ça va sûrement augmenter le taux de chômage et la précarité.» Une précarité déjà omniprésente, autant chez les cheminots que chez les gilets bleus : «On fait partie des Français les plus modestes, la classe pauvre. Alors défendre le peu d’avantages qui leur restent, c’est plus que légitime.» (Article publié dans Libération en date du 13 avril 2018)
(1) Les prénoms ont été changés