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Goupil mains sales
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http://clubpolitiquebastille.org/spip.php?article207
Goupil mains sales
Le 8 avril 2018, Romain Goupil, sur France 5, au détour d’une intervention pour défendre la réforme de la SNCF et donc stigmatiser les grévistes a pris Mélenchon à partie en ces termes :
« Mélenchon était à l’OCI [Organisation communiste internationaliste, ndlr], et ils étaient contre Mai 68. Ce sont les premiers pavés que nous avons lancés, le 10 mai. Ils nous traitaient de petit-bourgeois merdeux déjà à l’époque, ils n’ont pas manifesté le 10 mai, et les premiers pavés qu’on a dépavés, c’est sur lui, c’est sur eux, c’est sur son groupe de l’OCI”
Mélenchon se défendra très bien lui-même d’autant plus qu’il n’était ni à l’OCI ni à Paris à cette époque.
Mais tout en se demandant ce que ces polémiques factuelles et énervées, digne de piliers de bar avinés à la langue pâteuse et à l’esprit brumeux, viennent faire dans une discussion sérieuse sur la défense du service public, il convient quand même de remettre les événements du passé à leur place.
Militants de l’OCI en 68, nous tenions un meeting à la Mutualité le 10 mai au soir. L’objectif de ce meeting était de préparer une manifestation de grande ampleur au Quartier Latin en soutien aux étudiants. « 500 000 travailleurs au Quartier Latin ».
A l’issue du meeting, sur le parvis de la Mutualité, la direction de l’organisation a cru bon d’intervenir en voyant que les participants au meeting s’apprêtaient à remonter le boulevard pour rejoindre les barricades. C’est Clément (pseudonyme d’un des moins connus du bureau politique de l’OCI) qui prit le mégaphone. Il rappela l’objectif, une grande manifestation pour « mettre les étudiants sous la protection de la classe ouvrière » et appela à retourner dans les usines et les banlieues pour organiser la mobilisation. L’assemblée était convaincue du bien fondé de l’objectif mais ne se dissolvait pas. Alors, dans un élan d’éloquence, Clément s’en prit « aux jardiniers de la lutte des classes » et appela les militants à remonter le Boulevard Saint Michel aux cris de « 500 000 travailleurs au quartier latin ». La manifestation remonta jusqu’à la hauteur de Cluny, les barricades étaient déjà montées plus loin vers Luxembourg. La manifestation se noya au milieu de la foule. Une discussion, certes vive, s’engagea par mégaphone interposé entre Claude Chisserey et Nicolas Baby, militant pabliste, futur dirigeant de l’Alliance Marxiste Révolutionnaire. Aucun pavé ne vola alors, aucun horion ne fut échangé. Un désaccord politique évident, une discussion vive et une indécision compréhensible dans le feu de l’action. Le cortège de la FER s’éparpilla mais tous ces membres ne rentrèrent pas immédiatement diffuser le tract en banlieue. Beaucoup se sont fondus dans la masse des jeunes étudiants et ouvriers qui tenaient les barricades.
Il est devenu de bon ton de tourner en farce les événements d’il y a 50 ans, d’appuyer d’un ton rigolard sur les différences entre organisations et de mettre en exergue des positions et des expressions qui semblent aujourd’hui bien datées. Si l’on veut voir l’apport de 68 dans les luttes et les mobilisations actuelles, il convient de contextualiser, d’analyser et d’éviter de reprendre les invectives et les injures de l’époque. On est tous le petit-bourgeois de quelqu’un mais on n’est pas tous devenus des thuriféraires de Macron, lequel expose ses anciens soixante-huitards comme des trophées de l’ »ancien monde ».
Romain Goupil a certes les idées brouillées mais il n’a pas de chance car cet épisode de 68 reste dans la mémoire des militants de l’OCI d’alors car il a largement contribué à partager cette organisation. Sur le moment la direction était divisée :Claude Chisserey, Charles Berg, Martin voulaient participer au combat des étudiants, Stéphane Just, François de Massot, Clément s’y opposaient (Pierre Lambert était en province à un congrès de FO comme souvent). C’est Stéphane Just qui a pris la décision de se différencier radicalement du mouvement de ce soir là. Depuis le 3 mai, la FER était dans toutes les actions. Jusqu’en juin l’OCI et la FER participeront à toutes les manifestations. Dire que l’OCI était contre 68, c’est non seulement une contre-vérité énorme mais c’est surtout une grande stupidité. A moins qu’en voulant ridiculiser l’histoire, l’objectif assigné à monsieur Goupil est de ridiculiser toute révolte, toute grève, toute affirmation d’un espoir révolutionnaire. Il va de soi que la « révolution de 68 » est l’exact opposé de celle que son mentor préconise dans « Révolution ».
Dire cet événement du 10 mai est politiquement important nul ne le contestera. De quoi s’agit-il en fait ? D’un problème auquel nous nous heurtons encore aujourd’hui, celui de la convergence des luttes. L’OCI de 68 connaissait les récits et les théories révolutionnaires de Trotski, de Lénine. Et quand les étudiants prirent la rue au nom de « libérez nos camarades » (les camarades en question étaient membres de la FER), la direction, les militants ont été pris de cours et ont opposé à l’explosion de vitalité, de révolte et d’espoir, une théorie qui était devenu un dogme. Ce problème pesa lourdement dans l’histoire de l’OCI. Il ne fut jamais abordé ouvertement car il ne pouvait que se transformer en problème de pouvoir. Les problèmes refoulés restent sur l’estomac des militants, beaucoup ne s’en sont pas remis comme Claude Chisserey, d’autres se sont éloignés, un renouvellement de plus en plus ténu s’est opéré. Le dogme s’est alourdi.
Mais cela est vrai pour toute organisation qui privilégie son régime intérieur à l’irruption de la vie.
C’est pourquoi nous nous interrogeons toujours, souvent loin des organisations, non pas sur le fait de savoir si la vie sociale et politique correspond bien à la théorie, non pas sur le fait de savoir si la lutte appelle la lutte mais nous cherchons toujours le point de convergence pour ensemble abolir l’ordre existant et construire enfin la société de nos rêves toujours renouvelés.
En conclusion, Monsieur Goupil Romain, nous sommes toujours vivants, nous. Loin des ors et des projecteurs mais libres et jamais imposés dans les média par le pouvoir, jamais aux ordres.
Plaignons Emmanuel Macron, qui voudrait une loi contre les « fake news », d’avoir à son service un valet comme Goupil Mains Sales qui arrange le passé à sa guise.
Michel Lanson
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