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Les leaders de Mai-68 sont-ils restés fidèles à leurs idéaux?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
MAI-68 Cohn-Bendit, Goupil, Geismar, Weber… Ces personnalités qui ont battu le pavé en Mai-68 ont-elles « toutes retourné leur veste » aujourd’hui ?
Alain Geismar, Jacques Sauvageot et Daniel Cohn-Bendit, le 11 mai 1968. — DALMAS/SIPA
- Dans son dernier livre Mélenchon Mai oui, Gérard Miller étrille « ses camarades de barricades », devenus « les adorateurs de notre actuel président ».
- « On a tous beaucoup évolué. L’époque n’est plus la même », reconnaît Henri Weber, figure de Mai-68 devenu sénateur socialiste.
- Pour l’écrivain Hervé Hamon, « il n’y a pas eu de leader en 68 ». Ceux qui ont fait Mai-68, « ce sont des anonymes qui ont préféré s’engager dans la société civile et dans la vie associative plutôt que dans la politique ».
« On a connu le dernier des Mohicans, on va bientôt connaître le dernier des soixante-huitards ». C’est par cette petite phrase que débute le dernier livre de Gérard Miller, Mélenchon Mai oui, un pamphlet dans lequel l’écrivain et psychanalyste revendique l’héritage de Mai-68, se félicitant d’être l’un des seuls aujourd'hui à être resté « fidèle à l’esprit contestataire de l’époque ».
Dans cet ouvrage polémique, le co-fondateur du Média étrille de nombreuses figures de Mai-68, « ses camarades de barricades » qu’il accuse d’avoir littéralement viré de bord. « Comment certaines personnalités de Mai-68 peuvent-elles se retrouver en 2018 dans la macronie, le visage présentable du libéralisme ? », s’interroge le psychanalyste. Cohn-Bendit, Goupil, Geismar, Weber, Bruckner… Cinquante ans après, ces figures de Mai-68 sont-elles restées fidèles à leurs idéaux ou ont-elles « retourné leurs vestes » ?
« Beaucoup ont fini par découvrir sous les pavés non pas la plage, mais le marché »
« Plusieurs authentiques contestataires de Mai-68 étant devenus les adorateurs de notre actuel président, je ne veux pas laisser croire que tous les anciens soixante-huitards ont fini par découvrir sous les pavés non pas la plage, mais le marché », assène Gérard Miller. L’écrivain et psychanalyste n’est pas tendre à l’égard de ses anciens camarades. « L’immense majorité des soixante-huitards est restée tout ce qu’il y a de plus fidèle àl’esprit de 68. Ce qui n’est pas le cas des quelques leaders ou personnalités de l’époque, qui eux, ont presque tous viré de bord. Je ne pense pas que ce soit des traîtres. Je pense simplement que nous n’avons sans doute pas vécu les mêmes choses », explique Gérard Miller.
L’écrivain n’hésite pas à jeter des noms en pâture. « Je parle aussi bien de Cohn-Bendit, Weber, Geismar, Finkielkraut, Bruckner ou encore de Goupil… Ils portaient une parole qui n’était pas la leur. Et c’est étonnant de voir à quel point ces gens-là ont émergé sans doute parce que la grande masse des soixante-huitards n’avait pas envie d’être des leaders. Ces gens-là, ceux qui ont pris la parole publiquement, ceux qui se sont illustrés, c’était des gens qui inconsciemment préparaient la suite de leur carrière », affirme le psychanalyste, co-fondateur en janvier dernier du Média, lancé avec les Insoumis.
Gérard Miller ne mâche pas ses mots à l’égard de « son vieil ami » Daniel Cohn-Bendit. « Dany illustre bien la capacité qu’ont certains leaders politiques à se retrouver à l’aise dans la société libérale après avoir pensé un temps la changer. Ce n’est pas de la trahison, c’est certainement de la soumission, de la résignation », analyse aujourd’hui le psychanalyste. « Je préfère être passé de Mao à Mélenchon que d’être passé de la barricade de la rue Soufflot à la porte de l’Élysée. Je trouve que Mélenchon fait légèrement plus honneur à Mai-68 que Macron. A choisir, je préfère être insoumis avec Mélenchon, que soumis à Macron », lâche le psychanaliste.
« Les temps ont changé, et nous aussi »
Les leaders de Mai-68 auraient-ils donc tous retourné leurs vestes ? « Les temps ont changé, et nous aussi. On a tous beaucoup évolué. Eh heureusement, l’époque n’est plus la même, les choses sont très différentes aujourd’hui », explique Henri Weber, figure de 68, cofondateur de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), devenu sénateur fabiusien. « Gérard Miller a lui-même énormément changé. Ah ce que je sache, il n’est plus maoïste, il n’est plus pour la conquête du pouvoir par la violence ? », s’étonne l’ancien élu socialiste.
« Si Gérard considère que le marché est un gros mot et qu’il faut remplacer ça par une administration d’Etat, comme l’exigeait l’idéologie marxiste, s’il en est resté là, je suis triste pour lui », ajoute Henri Weber, qui comme Jean-Pierre Le Dantec et d’autres figures de Mai-68, s’étonnent encore aujourd’hui du ralliement du psychanalyste à Jean-Luc Mélenchon. « Il n’est pas resté fidèle à l’esprit de l’époque, comme il le prétend. Il a changé comme nous tous ».
Les soixante-huitards ne se résument pas « au petit univers mondain parisien »
« Cette querelle sur l’évolution personnelle de quelques types est un faux débat, sans aucun intérêt », s’insurge Hervé Hamon, écrivain et cinéaste, auteur de Génération, un ouvrage de référence sur Mai-68. « Il n’y a jamais eu de leader en Mai-68. Comme l’a très bien raconté la chercheuse américaine Kristin Ross, il y a des postérités qui se sont construites après Mai-68. Aujourd’hui, on nous raconte des histoires comme quoi les représentants ou les incarnations de 68 seraient telle ou telle personne. C’est faux, on se fiche de nous ! », lance l’écrivain, qui a également battu le pavé en 68. « Les Bruckner,Glucksmann, BHL et compagnie…, tout ça c’est une vaste blague ! Aucun historien sérieux ne peut estimer qu’il y avait des leaders en Mai-68. Même les chefs de file syndicalistes, notamment ceux de la CGT, ont été débordés par leurs bases », ajoute Hervé Hamon.
Se demander aujourd’hui si ces soi-disant figures de 68 ne défendent plus les mêmes idées, « on s’en fout littéralement ». « Cet espèce de petit débat mondain parisien n’a strictement aucun intérêt (…) Si Goupil adore aujourd’hui Macron, c’est son affaire à lui. Il n’est le porte-parole de personne d’autre que de lui-même. Il n’incarne en rien, mais alors en rien du tout Mai-68 », explique l’écrivain et cinéaste.
« Ceux qui ont fait Mai-68, ce sont des gens anonymes, des gens que l’on ne connaît pas. Ils sont devenus infirmiers, instituteurs, ouvriers… et ont tous comme point commun d’avoir essayé de faire leur métier différemment. Ils ont préféré s’engager dans la société civile et dans la vie associative plutôt que dans la politique. C’est ça la postérité de Mai-68 », explique l’ancien soixante-huitard.