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À propos des mouvements sociaux actuels en Algérie

Algérie

Lien publiée le 2 mai 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/algerie-mouvement-sociaux-entretien-bouderba/

Nouredine Bouderba est spécialiste du travail et du management des entreprises, ancien membre du conseil d’administration de la CNAS (Caisse nationale des assurances sociales des travailleurs salariés) et udu bureau de la FNTPGC-UGTA. Cet entretien a été réalisé par Samira Imadalou, journaliste à El Watan, et publié sur le site Afriques en Lutte.

Algérie : Les mouvements sociaux actuels expriment les frustrations de la population face à l’impasse néolibérale

Depuis des semaines, on assiste à la multiplication des mouvements sociaux enclenchés par les syndicats autonomes. Quels points communs entre toutes ces revendications exprimées en pleine période de crise ?

Ces mouvements sociaux étaient prévisibles et expriment les frustrations accumulées par des larges couches de la population, conséquences de la politique néolibérale en vigueur qui ne propose que l’impasse sur le plan économique et l’austérité sur le plan social. Ils ne sont pas le propre de l’Algérie. Regardez ce qui se passe dans les pays de la région. En Tunisie, au Maroc, au Tchad, en Egypte, en Iran etc. Partout les populations se mobilisent et manifestent pour rejeter cette austérité suggérée par le FMI et la Banque mondiale.

Les médecins et les enseignants par exemple manifestent aussi en Tunisie et en Iran pour défendre leur statut et demander plus de moyens de travail. Toutes les populations de la région refusent de faire les frais de l’impasse néolibérale et veulent défendre leurs droits à une vie digne, à la santé, à l’éducation, à l’énergie et au progrès.

En Algérie les protestations en cours expriment le mal être des médecins résidents, des enseignants de l’éducation et du supérieur, des travailleurs du secteur du transport, des parapétroliers, des paramédicaux, etc. Cela exprime le refus des travailleurs de supporter les effets injustes d’une austérité dont ils ne sont pas responsables. La particularité aujourd’hui est que ces protestations ne se limitent plus aux catégories sociales défavorisées, à l’exemple des travailleurs de BCR Sétif ou les travailleurs des corps communs de la fonction publique qui revendiquent des augmentations de salaires et la défense de leur outil de travail mais concernent de plus en plus les classes moyennes qui veulent préserver leur statut dans la société et leur niveau de vie mis à mal par l’austérité en cours.

La deuxième particularité est l’absence d’un dialogue social effectif et réel qui ne permet pas la prévention des conflits et leur résolution par la négociation et la médiation. Paradoxalement au moment où le rejet de la politique officielle et les aspirations au changement ont pris de l’ampleur les espaces d’organisation et d’expression démocratiques sont en train de fondre comme peau de chagrin. On parle de 40 000 associations disparues depuis la nouvelle loi sur les associations de 2012 et ce n’est pas fini puisqu’on assiste en 2018 à la mise sous scellés de sièges d’associations agréées et actives. Les atteintes multiformes au droit syndical sont, elles aussi, légion et touchent tous les secteurs, y compris les magistrats de la cour des comptes. D’où le déficit de confiance entre partenaires et le dialogue de sourds lorsque dialogue il y a.

Ailleurs la seule menace d’une grève pousse les partenaires à négocier réellement et à dégager des consensus alors que chez nous une période pré conflictuelle de deux mois n’inquiète aucun responsable et ne donne lieu à aucune négociation pour résoudre le conflit. Ces derniers temps on a observé une tendance générale chez les pouvoirs publics de recourir systématiquement à la justice pour déclarer les grèves illégales au lieu de prendre en charge les aspirations des travailleurs dans le cadre d’un dialogue réel axé sur le fond des revendications au lieu d’une focalisation sur ses formes.

On sait qu’en matière de droit de grève que la loi algérienne contient plusieurs dispositions très restrictives de ce droit constitutionnel et contraires aux conventions internationales ratifiées par l’Algérie et qui font l’objet régulièrement de dénonciation par les organisations syndicales et par l’OIT. Ces dispositions permettent facilement à l’administration de faire interdire les grèves par la justice. Non contente d’abuser de ces restrictions, l’administration ne se gêne nullement de faire fi de la loi dans sa gestion de la grève à l’exemple du ministère de l’éducation qui avait refusé de négocier durant la période du préavis de la grève et après son déclenchement comme l’y oblige la loi. Il n’a pas hésité par la suite de faire appel à des contractuels pour remplacer les grévistes au mépris de la législation en vigueur. Cette même administration qui ignore loi lorsqu’il s’agit d’appliquer les décisions de justice rendues en faveur des travailleurs et des syndicalistes. Bien sûr que force doit rester à la loi mais l’intérêt de l’école, de la santé publique et le bon sens doivent l’emporter comme semblent l’indiquer les dernières évolutions de la grève du CNAPESTE.

La troisième particularité est liée à la nature des revendications qui dépassent, souvent, les attributions des tutelles respectives des protestataires et interpellent le gouvernement et sa politique socioéconomique. Leur prise en charge exige une autre politique et une autre répartition des ressources et des richesses. Avec la chute des prix du pétrole le gouvernement ne pourra plus satisfaire, en même temps, les besoins essentiels de la population en matière de santé, d’éducation, d’énergie et de protéines d’un coté et l’appétit féroce de l’oligarchie et des nouveaux riches de l’autre. Il devra faire un choix. La part des salaires qui représentait 40 % du PIB dans les années 1980 en représente moins que 27 % en 2018 contre plus de 50 % pour les pays de l’OCDE et plus de 35 % pour la Maroc et la Tunisie.

L’Algérie consacre moins de 10 % de ses dépenses publiques à la santé contre plus de 13 % en Jordanie et en Tunisie et plus de 17 % en l’Iran et à Cuba. Elle dédie moins de 0.01 dollars par habitant à la recherche médicale contre 0.19 $/hab en Tunisie, 0.31$ au Maroc et 3.72 $ en Jordanie pays vers lequel l’Algérie transfert ses malades. La même chose pour le secteur de l’éducation ou on constate un rétrécissement des ressources consacrées à ce secteur suite à la politique d’austérité. Idem pour les travailleurs des collectivités locales qui font les frais des coupes budgétaires depuis que l’état a décidé de réduire la TAP, payée par les entreprises qui constituait 80 % des ressources des collectivités locales.

Une autre particularité à souligner est l’absence totale de l’UGTA dans cette dynamique de revendication et de protestation.

Enfin il faut souligner le caractère citoyen et pacifique de toutes ces manifestations. Caractère qu’il y a lieu de préserver et de consolider pour l’avenir.

L’absence d’une politique salariale explique-t-elle à elle seule une telle situation ?

Comme je l’ai souligné la baisse du pouvoir d’achat y est pour beaucoup. Elle découle d’un côté de l’absence de politiques salariale et fiscale justes. L’évolution des salaires et de l’impôt a obéi ces 10 dernières années au jeu du rapport de forces. Les groupes sociaux qui ont une capacité de négociation ou de nuisances ont toujours été privilégiés. Au final on a une discrimination salariale et de revenus inacceptable. C’est l’état qui a encouragé les revendications corporatistes pour avoir la paix. Le SNMG est bloqué depuis sept (07) ans au moment où chacune des quatre dernières lois de finances a apporté son lot de mesures d’austérité. La TVA a été élargie aux produits de large consommation et son taux augmenté. Les prix de l’eau, de l’électricité, de l’alimentation, des médicaments, du transport ont augmenté, ceux des carburants ont pratiquement doublé depuis 2015 alors que le prix du Brent a été divisé par deux sur cette période. Le niveau de remboursement des médicaments par la sécurité sociale a été revu à la baisse.

Comparativement à 2012 le montant des transferts sociaux en 2018, en valeur réelle, a, été réduit de 36.5 % et celui consacré aux subventions alimentaires réduit de plus de 42.7 %. Il ne représente plus, que 8.4 % du PIB contre 11.5 % en 2012. La part des subventions alimentaires ne représentent plus que 0.88 % du PIB alors qu’en 2012 elle en représentait 1.33 %. Et c’est ce 0.88 % du PIB qui font courir experts libéraux et du gouvernement. La récupération des impôts non payés soulevés par la cour des comptes représente l’équivalent de soixante (60) ans de subventions alimentaires et le montant estimé des surfacturations aux importations en représente l’équivalent de sept (07) ans. On peut continuer avec le montant des prêts bancaires non remboursés qui représente l’équivalent de huit (08) ans de subventions énergétiques etc.

Quid du poids de l’UGTA dans cette conjoncture d’austérité et de grogne sociale ?

Cela fait deux décennies que l’UGTA a commencé à tourner le dos aux travailleurs. Elle a adhéré au programme d’ajustement structurel imposé par le FMI (1994-1998) et aux privatisations qui l’ont suivi. C’est elle qui a proposé la remise en cause des protections des travailleurs en vigueur en proposant, lors de la tripartite de 2005, la révision de la législation du travail pour « mieux insérer l’Algérie dans l’économie de marché ». C’est toujours l’UGTA qui a demandé la suppression de la retraite sans condition d’âge et qui a soutenu la dernière tentative de dilapidation du secteur publique et des ressources collectives de la nation à travers le partenariat public privé. L’UGTA est absente des luttes sociales menées par les travailleurs auxquels elle a tourné le dos suite à son alliance stratégique avec le patronat qui, pourtant ne respecte ni le droit syndical, ni celui de la sécurité sociale et rarement le SNMG.

Minoritaire dans la Fonction publique et inexistante dans le secteur privé l’UGTA n’est majoritaire que dans le secteur économique public grâce à la volonté des pouvoirs publics qui ne tolèrent pas l’émergence de syndicats libres. C’est ce qui explique l’absence totale de l’UGTA des luttes sociales actuelles qui sont menées essentiellement dans la fonction publique ou par certains syndicats autonomes qui ont pu s’imposer dans le secteur économique public.

Sauf mutation miracle l’UGTA sera absente des futures luttes qui seront inévitables dans le secteur économique au vu de la politique d’austérité actuelle. Le mouvement de redressement de l’UGTA observé ces jours n’est, en réalité, qu’une guerre de positionnement d’apparatchiks de l’UGTA qui ont dépassé dans leur majorité l’âge de 70 ans, voir 75 ans. Or le véritable redressement exige que l’UGTA soit restituée aux travailleurs qui ne se reconnaissent nullement dans les instances actuelles qui se retrouvent en position d’hors-jeu par rapport à la vie sociale du pays, exception faite de certaines structures et instances de base qui résistent bon gré mal gré..

Quelles sont les solutions à adopter pour apaiser ce climat social et quelles sont les marges de manœuvres pour le gouvernement ?

Je pense qu’il est urgent que le dialogue soit réinstauré et que des mesures d’apaisement soient prises pour rétablir la confiance. Le gouvernement ne doit pas chercher à humilier les syndicats et les travailleurs pour les faire plier. L’accumulation des frustrations constituera un mélange explosif avec les ingrédients de l’austérité en cours. L’apaisement dans le secteur de l’éducation passe par l’annulation des radiations et le rétablissement du dialogue social réel avec le syndicat.

Dans le secteur de la santé l’apaisement dicte le retrait du projet de loi relatif à la santé qui ne vise que la privatisation des soins et leur marchandisation. La satisfaction des revendications légitimes, d’ordre pédagogique, professionnel et social, des médecins résidents est possible si le gouvernement y met les moyens nécessaires à la réhabilitation du secteur.

Dans ce cadre, mon avis est que la solution à l’absence de matériel médical et de consommables ainsi que des moyens d’accueil, de travail et de vie des médecins au sud et dans les hauts plateaux doit obliger l’état à les rendre disponibles et non pas aboutir à la suppression du service civil. Cette dernière éventualité aura sans aucun doute des résultats catastrophiques. Sur un autre plan la réinstauration de l’activité complémentaire, qui semble être une option retenue par le ministère, n’aura pour effet que d’anéantir ce qui reste de la santé publique. Enfin le gouvernement doit engager un débat national sur la réforme de la santé un débat qui ne doit pas se limiter à un face à face gouvernement-corps médical mais concerner toute la population. Sur un plan général une augmentation du SNMG permettra de compenser la perte de pouvoir d’achat subie par les travailleurs et les retraités ces dernières années.

L’état doit prendre les mesures nécessaires pour collecter les impôts non recouvrés et mettre fin aux surfacturations et aux transferts de devises indus. Il doit appliquer le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant l’impôt et lutter effectivement contre les évasions fiscales et sociales ainsi que contre l’économie informelle. S’il le fait, il aura assez de ressources pour doubler les budgets de l’éducation et de la santé, financer développement local qui est en panne de ressources et financer l’augmentation du SNMG.

Le système des retraites, le chômage et le code du travail font aussi partie des questions en attente de prise en charge…

Le taux de chômage repart à la hausse. Il concerne particulièrement un jeune sur trois (1/3) selon l’ONS et un jeune sur deux (1/2) selon mes propres estimations. Un universitaire sur cinq est concerné par ce fléau qui est caractérisé surtout par sa longue durée. Par ailleurs il faut noter la précarité de la majorité des emplois des jeunes caractérisés par leur temporalité et leur non affiliation à la sécurité sociale. L’augmentation du taux de chômage a été favorisée par la décision de l’état d’annuler certains projets de développement, de ne remplacer qu’un départ en retraite sur cinq et de réduire les budgets consacrés à l’emploi aidé. Il est le résultat aussi de l’échec de la politique d’appui à l’emploi telle que menée à ce jour. Ce chômage est une autre facette de l’impasse néolibérale et de l’austérité à laquelle elle a abouti.

La suppression de la retraite sans condition d’âge n’était pas appropriée ni justifiée puisqu’elle n’a pas permis de rétablir l’équilibre de la CNR comme promis par l’ex ministre du travail. Cette suppression a pénalisé avant tout ceux qui ont commencé à travailler tôt, les séniors qui sont au chômage sans avoir atteint l’âge légal de départ à la retraite ainsi que ceux qui ont eu une carrière pénible.

Le dossier pénibilité n’a pas été finalisé en aout 2016 comme promis par le gouvernement et l’UGTA et n’aboutira, au vu du cheminement pris, qu’à l’instauration de discriminations supplémentaires. La pérennité du système de retraite ne sera assurée que par une politique basée sur une stratégie de mobilisation des ressources, une volonté de lutte contre l’évasion sociale dans toutes ses formes, l’arrêt des dépenses indues mis sur le compte des caisses de sécurité sociale et une clarification de la relation entre le système (contributif) de la sécurité sociale et la politique de protection sociale de l’état (dépenses de solidarité nationale financées par le budget de l’état).

Dans l’attente, la réinstauration de la retraite sans condition d’âge après 32 ans d’activité et la retraite proportionnelle (moyennant, pour cette dernière, des réajustements sur les conditions d’âge et/ou de durée de cotisation) pourra dans une large mesure contribuer à l’apaisement du climat social.

Pour ce qui est de l’avant projet du code de travail, la précarité annoncée à travers la flexibilité de l’emploi, des recrutements et des licenciements projetée n’est justifiée ni économiquement ni socialement. Aucune des études réalisées ces 15 dernières années par des institutions aussi bien nationales qu’internationales n’a mis en évidence une rigidité de la réglementation du travail qui serait un frein au développement de l’entreprise, à la croissance économique ou à la baisse du chômage. Les atteintes à la protection des travailleurs, au droit syndical et au droit de grève, contenues, dans l’avant-projet constituent une préoccupation justifiée des syndicats. Elles sont au cœur des protestations exprimées par ces syndicats depuis deux (02) années. Aussi l’apaisement social dicte une révision globale de la mouture actuelle avec la participation active de tous les syndicats présents sur la scène sociale.