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Puigdemont out, y aura-t-il un virage à droite des indépendantistes ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Puigdemont barré, Elsa Artadi, était pressentie pour candidater à la présidence de la Généralité. "Economiste, disciple enthousiaste de l'économiste le plus ultralibéral en Catalogne, en Espagne et en Europe, défenseur des politiques publiques reaganiennes, Xavier Sala i Martín, dont elle a traduit les livres en catalan." (Vicenç Navarro), elle a cependant été écartée au profit d'un inconnu...
Avertissement
Le point de vue ci-dessous était en cours de rédaction quand la nouvelle est tombée : Elsa Artadi ne sera pas la candidate proposée pour succéder à Puigdemont. C'est le nom du député Quim Torra, un très proche de celui-ci qui est sorti du chapeau : il est présenté comme un dur de l'indépendantisme, très éloigné donc de ce que je décris ci-dessous comme étant le positionnement du PDeCAT [Parti Démocrate Européen Catalan] qui était envisagé en bonne position pour que l'un, en l'occurrence l'une, des sien-nes occupe cette fonction présidentielle. Visiblement, comme je l'écris aussi ci-dessous, l'ancien président de la Généralité, a maintenu ses préventions envers le PDeCAT. On notera cependant l'expresse réserve de la puissante association ANC [Assemblée Nationale Catalane] qui défendait qu'il fallait passer outre l'invalidation de la candidature à l'investiture de Puigdemont et qui tient à dire qu'elle ne soutiendra le nouvel aspirant à ce poste que s'il respecte le mandat du référendum d'autodétermination du 1er octobre. L'avertissement est clair. Podemos, pour sa part, par son porte-parole Pablo Echenique, critique des propos passés de Quim Torra, contre les Espagnols, tous mis dans le même sac, présentés comme antidémocrates, portés à spolier les Catalans, etc. Ce que le bloc indépendantiste avait réussi à éviter jusqu'ici. Enfin, la CUP [Candidature d'Unité Populaire] maintenant son abstention, Quim Torra ne pourra être investi qu'en seconde votation par majorité simple. L'objectif de déjouer une obstruction espagnoliste à l'investiture présidentielle, qui aurait préludé à de nouvelles élections au Parlament, est en passe d'être atteint : Quim Torra semble inattaquable judiciairement. Le 155 pourrait être levé mais quel sera le cours politique suivi par la nouvelle présidence ? Cap décidé sur l'indépendance , quitte à en moduler le processus pour reconquérir du rapport de force, ou repli sur une gentille gestion autonomique, qui semble avoir les faveurs de l'ERC [Gauche Républicaine de Catalogne] ? Puigdemont bat, lui, le chaud et le froid sur les deux options. A suivre...
Je laisse en l'état le billet ci-dessous qui pose un certain nombre de repères sur le jeu des forces (et des faiblesses) en présence dans le camp indépendantiste. Il n'est pas dit que la mise à l'écart de la personnalité représentative du courant ultralibéral du PDeCAT, préfigure pour autant que le virage à droite du secteur majoritaire de l'indépendantisme ait perdu de son actualité. Avec moins d'ultralibéralisme et peut-être plus une tendance au chauvinisme ? Deux écueils qui, jusqu'ici, heureusement avaient été évités, ce qui avait permis l'unité du catalanisme. Mais n'allons pas trop vite en besogne, voyons comment tout ceci évolue...
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Turbulences dans l'indépendantisme...
Les pièges de l'institutionnalisme
La politique d'obstruction politique menée par le Gouvernement de Madrid, depuis son putsch du 155 contre l'indépendantisme catalan, pourrait marquer des points si celui-ci décidait de prendre la ligne de pente imposée par cette guerre d'usure : à savoir la mise à l'écart de celui qui incarnait, malgré bien des faiblesses politiques, la légitimité du référendum d'autodétermination du 1er octobre et la volonté populaire qui s'y est exprimée en faveur de la République, volonté confirmée, par majorité absolue en sièges, aux élections législatives (voulues par Madrid pour « tuer » le catalanisme !) du 21 décembre.
Commençons par le début : Puigdemont suscite, à gauche, bien des réserves, souvent justifiées. Membre d'une CiU [Convergence et Union] (exactement de sa composante CDC [Convergence Démocratique de Catalogne]), historiquement placée sous la houlette tacticienne de Jordi Pujol, gouvernant la Catalogne, pendant 23 ans, sur le mode d’un autonomisme gestionnaire, niché dans l’ordre constitutionnel monarchique-capitaliste, Carles P est comptable du choix de l'austérité néolibérale, qu'à l'unisson du gouvernement de Madrid, son parti a imposé, sur fond de corruption, aux Catalan-es en réponse à la "crise" ouverte en 2008 . La répression que les Mossos [les policiers catalans] ont alors infligé aux trublions indignés témoigne de la radicalité de cet engagement en faveur du système. Mais la logique même de la radicalisation populaire en faveur de l'indépendance combinée à l'affaiblissement électoral de ce parti pour ses choix antisociaux et sa corruption, l'ont exposé à devoir envisager, pour sa survie en tant que parti de gouvernement, de s'allier avec la gauche indépendantiste, celle social-démocratisante de l'ERC mais surtout, malgré sa position minoritaire mais incontournable pour faire majorité, celle, clairement antisystème, de la CUP
C'est ce tournant politique qu'il faut prendre en considération pour apprécier la place qu'occupe aujourd'hui Carles Puigdemont dans le processus indépendantiste, précisément cela, indépendantiste et non plus autonomique : forcé par les évènements, il a rompu avec l'autonomisme foncièrement prosystème de CDC et de CiU, plus nettement que n’avait commencé à le faire l’héritier du pujolisme, Artur Mas. Pour échapper au discrédit de la corruption (lire ici), CDC a fait peau neuve en devenant le PDeCat mais, dans ce processus de ravalement de façade partidaire, Puigdemont a pris ses distances avec le nouveau parti avec la création de Junts per Sí, puis Junts per Cat. Ces coalitions électorales lui ont permis, dans son engagement dans le processus indépendantiste l'obligeant à s'exiler, de se créer un noyau de fidèles lui permettant de "maîtriser" le PDeCat.
Sans entrer ici dans trop de détails, on retiendra, contre ceux qui écrasent la complexité de la situation en ramenant, sans plus, Puigdemont, à son appartenance passée à CDC et à CiU, les lois sociales (1) que le Parlament "indépendantiste" a été amené à prendre, sous la pression d'une CUP décidée à ce que l'unité pour la république avec la droite catalaniste se paye d'un prix politique clairement social. Insuffisamment social pour se gagner les couches ouvrières catalanes non ou anti-indépendantistes, mais clairement social pour que l'on ne reconnaisse plus la patte néolibérale de CDC et CiU !
Ceci étant posé, il faut prendre la mesure de la nouvelle donne politique : celle de la défaite de l'indépendantisme qui a, paradoxalement à la fois sous-estimé et surestimé la capacité de réaction du régime monarchique face au "procés" [le processus indépendantiste]. Sous-estimé le jusqu'au-boutisme répressif d'une caste politicienne cernée par le scandale des "affaires" et cherchant à faire diversion espagnoliste par le haro sur "ces salauds de Catalans séparatistes"; surestimé sa capacité à résister à un front d'opposition au régime, qui, délibérément et plus radicalement antiaustérité qu'exprimé par les mesures parlementaires évoquées antérieurement, se serait levé contre ledit régime; un front où la revendication nationale d'une République catalane se serait énoncée, en son cœur, républicaine sociale percutant les mesures antisociales et procapitalistes de Madrid.
On pourra toujours discuter de l'hypothétique recomposition indépendantiste (ou confédérale) vers une majorité de gauche, et donc passant par des cassures du côté de la droite catalaniste, à compenser par un élargissement électoral et social de cette gauche, qu'une telle démarche aurait induite... Cette question reste ouverte pour la réorientation à envisager pour que l'indépendantisme tire les leçons de sa défaite.
Ce qu'il importe de retenir en ce jour où l'Etat espagnol a réussi définitivement à barrer la route de l'investiture présidentielle à Carles Puigdemont, c'est qu'il est en passe de faire coup double : 1/ écarter celui qui potentiellement était encore compatible avec un positionnement de l'indépendantisme, pouvant intégrer un relatif cours social, et 2/ faire mettre sur orbite, par les éléments les plus droitiers du PDeCat, la personnalité qui incarne le plus ce qu'a été CDC-CiU dont Puigdemont, répétons-le, par la force des choses, s'est éloigné, je veux parler de Elsa Artadi. Tous les politologues s'accordent à dire qu'elle tient la corde pour recevoir cette investiture à la Présidence de la Généralité qui est refusée à Puigdemont. Or, nous y reviendrons plus amplement si cette hypothèse se confirme, disons pour aujourd’hui qui est Elsa Artadi, en reprenant les termes de l'économiste membre de Unidos Podemos (ce qui n'enlève rien à la pertinence de son propos sans que l'on soit obligé de le suivre dans son suivisme envers Pablo Iglesias !), Vicenç Navarro : "Elsa Artadi est une économiste, disciple enthousiaste de l'économiste le plus ultralibéral en Catalogne, en Espagne et en Europe, défenseur des politiques publiques reaganiennes, Xavier Sala i Martín, dont elle a traduit les livres en catalan." Et pour que l'on comprenne bien, Vicenç Navarro n'hésite pas à ajouter "En réalité, il n'y a rien de plus semblable (d'un point de vue économique) à un néolibéral de Ciudadanos [Citoyens] qu'un néolibéral du groupe de Sala i Martín." (lire en espagnol ici, article de février dernier)
Le fait est que l'indépendantisme catalan est à la veille d'un tournant décisif dont il restera à vérifier si, dans ses profondeurs populaires, il serait disposé à entériner une défaite pour longtemps des prémices portées par le référendum du 1er octobre, défaite sur laquelle, à mon avis, Elsa Artadi surferait pour réintégrer la Catalogne au règne des affaires (et des affairistes ?) qui s’accommode si mal des « désordres » politiques du « procés » !
(1) Pendant la précédente législature, le Parlament catalan avait voté les mesures suivantes que le Tribunal Constitutionnel, gardien sourcilleux d'un état des choses qui fait de l'Espagne l'un des pays les plus handicapés pour ce qui est des inégalités sociales (7e après la Chine, l'Inde, le Costa Rica, le Brésil, la Turquie et le Mexique pour la proportion de travailleurs pauvres, classement de l'OCDE), s'est empressé de casser :
- la loi sur la pauvreté énergique visant à garantir l'accès à l'eau, l'électricité et le gaz,
- l'interdiction des expulsions de leur logement des familles vivant en dessous de 900 € par mois
- des réductions de dette pour celles comprises entre 900 et 1 200 € par mois,
- la loi sur l'accueil, la formation et l'intégration des migrantEs,
- la loi sur le changement climatique,
- celle sur l'imposition des profits des entreprises du nucléaire
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Un dessin qui résume le hiatus actuel entre le haut et le bas de l'indépendantisme
Au balcon du Parlament catalan, derrière, Roger Torrent (ERC), le président de l'institution, et, au premier plan, Elsa Artadi (PDeCAT) tendant le portable aux manifestant-es en bas, qui portent la estelada et le ruban jaune de soutien aux prisonniers politiques. Sur l'écran Puigdemont s'adresse à ces manifestant-es en ces termes "Après de longues délibérations, il semble qu'il pourra y avoir un accord entre nous (indépendantistes) et que l'on pourra annoncer sous peu une investiture", "ça vous dirait d'aller maintenant vous faire matraquer pour nous permettre de reprendre la main sur la situation ?". La présence, à droite, derrière l'arbre, d'une escouade de policiers prêts à en découdre, suggère qu'il en faudrait peu pour que la proposition de Puigdemont se concrétise... Ce peu, serait le dévouement aveugle du bon peuple à la cause politicienne indépendantiste. Peut-être pas gagné... Cliquer ici