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1907, la révolte du Midi

histoire

Lien publiée le 12 mai 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.lariposte.org/2018/05/1907-la-revolte-du-midi/

« Era l’an 1907, los paures manifestavan »…
C’était l’an 1907, les pauvres manifestaient…

Pourquoi n’a- t-on pas oublié, Entre Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales et au-delà, l’insurrection du midi viticole de 1907 ? La mémoire collective conserve au coin du feu de génération en génération le souvenir de cette épopée, qui pendant deux mois a fait trembler la France.

Il y a 111 ans, de mars à juin, dans tout le Midi viticole en crise, nos frères catalans du Languedoc, ceux qui s’appelaient « los que crevan de fam », « ceux qui crèvent de faim », se jettent chauffés à blanc dans les rues, et affrontent l’armée au son du tocsin (Journal de Marcellin Albert)…

Et cette image qui a fait le tour du monde, celle de nos « piou-piou », crosses en l’air, mutinés du 17e RI, refusant de tirer sur la foule criant en occitan « perque pòble e soldats eran fraires »: « parce que peuple et soldats étaient frères » comme disait la chanson !

Les raisins de la colère

La crainte de l’excédent, de la mévente, est pour le Midi viticole, à la fin du XIX° siècle, déjà, une obsession, une question de survie.

Pourquoi cette colère ? Après la crise du Phylloxera des années 1890, la viticulture est désormais soumise aux lois du marché capitaliste. La replante de nouveaux ceps, les moyens nécessaires, ont poussé à la concentration des terres, l’exode rural… De plus, se développe une spécialisation dans le « vignoble de masse », monoculture tournée vers l’exportation. La surproduction fait diviser par trois le prix de l’hectolitre de vin, le marché reste saturé par des produits de qualité douteuse, trafiqués via l’utilisation massive de sucre des betteraviers du Nord, qui enrichissent plus l’industriel que le viticulteur.

Dans ces conditions, il faut vendre pour faire des profits, mais le producteur ne définit plus le prix, il le subit. Le petit propriétaire n’est plus que le maillon au centre d’une chaîne, entre banquier et négociant.

Ce qui amplifie la crise, c’est la structure, la nature même de la propriété privée, dominée par le petit exploitant qui assume avec sa famille et la communauté villageoise, en rapport d’entraide, l’ensemble du travail de la vigne. Dans la plaine languedocienne le fier cultivateur reste très majoritaire. Il vit de son bien, symbole de cette « République au village » d’après 1848, indépendante des grands notables. A ses côtés l’ouvrier agricole, accroché à quelques ares, loue ses bras « aux gros » pour compléter ses revenus, tous deux sont solidaires, car menacés par la faillite et la prolétarisation.

Au village, dans cet espace de liberté politique, rien d’étonnant que dans le « Midi Rouge », les idées républicaines avancées de type radical-socialiste voire socialistes soient majoritaires. Nul n’oubliait sans doute la Commune de Narbonne de 1871 et la main donnée par les ouvriers à leurs frères paysans…

Il ne suffit pas que les conditions nécessaires d’une révolte existent pour que celle-ci éclate. Il faut aussi l’élément déclencheur… Là s’inscrit la personnalité de Marcellin Albert, modeste cabaretier et ses « 87 amis du comité de défense viticole d’Argelliers » qui mettent le feu à la plaine au son du tocsin et aux cris de « non au sucre », « non à la fraude » !

L’insurrection : de la justice pour le vin à la justice en général…

Partis une poignée de « fous », ils arrivèrent des centaines de milliers…

Au nom de la « Justice pour le vin », tout commence le 14 mars 1907. Ce jour-là, le journal de Marcellin Albert appelle à manifester… Ils sont quelques centaines entre Béziers et Narbonne à revendiquer leur droit à vivre de leur travail… Mais rien désormais ne pourra arrêter l’escalade. L’Histoire qui sait donner des vertiges va s’accélérer, processus rassurant quant à l’avenir de l’humanité et à notre idéal révolutionnaire…

Tous les dimanches du mois de mars à juin, les manifestations vont crescendo et s’enflent. Le 9 juin, uniquement à Montpellier, ils sont plus de 500 000, soit plus d’habitants que n’en contenait la ville à l’époque…

Les municipalités accueillent de partout les révoltés, les églises et cathédrales s’ouvrent pour la nuit et accueillent femmes et enfants. C’est notre midi chaleureux pris d’un coup de sang, solidaire dans la lutte, qui s’organise, se radicalise… Les cheminots font des prix à tous ceux qui en train spéciaux convergent vers nos métropoles… Les conseils municipaux en bloc démissionnent, des drapeaux noirs sont plantés sur les frontons des mairies par centaines, on boycotte l’impôt. La mobilisation touche les villes, les villages en entier, derrière les maires, les curés, les instituteurs et même les notables, pour exiger « le vin naturel »… Nous l’exigeons encore…

A ce moment le gouvernement a choisi sa tactique, laisser pourrir la situation, attendre… Pour écraser ensuite… Cette politique délibérée de Clemenceau qui exaspère nos méridionaux va entraîner le mouvement sur un terrain où personne ne l’attendait…

Le 5 mai 1907, devant un public monstre, Ernest Ferroul, le socialiste, l’ami de Jaurès, le maire de Narbonne devient le second grand personnage de cette lutte… Il dénonce « les barons de l’industrie du Nord, qui nous ont envahis et ruinés, qu’il ne faut plus les supporter », et qui rappellent selon lui « les nobles chevaliers de jadis, venant réduire les cathares ». Cet orateur exceptionnel exalte « l’occitan contre le négociant » parisien, en appelle même à Frédéric Mistral, un écrivain originaire du pays d’Oc et prix Nobel de littérature en 1904.

C’est en occitan que le peuple hurle, on voit sur les affiches et pancartes : « La França laissara mouri ta vigna » (« la France laissera mourir ta vigne »), « la triquo se preparo » (« la trique se prépare »), « l’armada dels estranglats, arrestas vos ou vous farem calà » (« l’armée des étrangleurs, arrêtez-vous ou nous vous ferons taire »)… Tout cela annonce le retour fracassant de notre passé, d’une passion si longtemps refoulée…


Quand l’Etat montre sa nature policière

La violence qui débuta en juin secouera le Midi. Elle fut le résultat de la volonté délibérée du « premier flic de France », Georges Clemenceau, qui décida d’envoyer la troupe pour écraser les manifestations, au lieu de prendre les mesures concrètes exigées, comme la taxation du sucre ou la réponse à la chambre aux propositions de Jaurès.

Pour empêcher les manifestations, on arrête les meneurs, on les salit publiquement. On assiste à une occupation militaire systématique, la région est placée sous la menace du sabre et du chassepot, le pays est quadrillé, en état de guerre.

Là devant la provocation, la répression injuste, la colère du peuple devient fureur…C’est l’embrasement général… le 20 juin à Narbonne, c’est partout la chasse au gendarme, aux indics, aux journalistes, on insulte l’armée, on jette dans le canal l’inspecteur de police, l’armée tire à bout portant sur cinq manifestants. Le sang du peuple occitan a coulé !

En réponse à cette horreur, partout les villages se barricadent, à Narbonne on voit ressortir le drapeau de la Commune caché depuis 37 ans. Du 20 au 21 juin, la préfecture de Perpignan est incendiée, on dépave, de Béziers à Paulhan. A Montpellier on brise les réverbères, on dresse des fils de fer dans les rues, pour faire chuter les charges de dragons… Tous savent pour Narbonne, « vengeance », « on assassine nos frères, nous voulons les défendre ».

A ce cri, les soldats du17e régiment d’infanterie se mutinent dans la nuit du 20, armés jusqu’aux dents, décidés à protéger les leurs, et montent sur Béziers… Cet évènement exceptionnel a une raison, l’immense majorité des recrues sont de la région, ils étaient cultivateurs eux aussi, ruraux déclassés. C’est leurs parents qui manifestent et qu’on exécute…

Quelles leçons peut-on tirer de cette insurrection du Midi en 1907 ?

Classiquement, c’est l’état bourgeois, par sa brutalité, qui par le nombre de ses soldats, la force pure et l’hypocrisie, a écrasé sans état d’âme l’insurrection. Jamais les Méridionaux n’ont manqué de vigueur, d’audace, de courage…

Sans vouloir paraître anachronique on peut dire, dans ses perspectives, son organisation, que le mouvement n’a jamais été pan-occitan, même s’il a révélé une fois de plus l’amitié, la solidarité, occitano-catalane, l’action dans quatre départements ce n’était pas suffisant.

Ce ne sont pas les propos régionalistes, dans les meetings, qui auraient pu mettre en pratique des perspectives nouvelles. Aucune organisation politique structurée, ouvrière ou paysanne, révolutionnaire, n’était en mesure de faire sortir le mouvement de l’ornière strictement catégorielle, en avançant un projet de société global intégrant les difficultés viticoles. Sans compter qu’avec la répression, rien, n’était « militairement » disposé pour opposer à une armée professionnelle une quelconque résistance efficace.

De plus, alors que le mouvement ouvrier aurait pu se solidariser, et plus encore avancer des perspectives, les socialistes ont paru perdus dans cette lutte « interclassiste ».

Seul Jaurès, à la va-vite, proposera à la chambre un projet autogestionnaire. Dans la « Dépêche » du 26 mai 1907, il explique qu’il faut « sauvegarder l’unité du Midi », « développer une organisation solidaire, de la production et de la vente avec la participation des prolétaires du Midi ». Il parle même quelques jours plus tard, « d’une nationalisation des domaines viticoles qui devront être exploités, par une association des travailleurs de la vigne ». Tout cela était trop éloigné, encore, des aspirations des petits exploitants, attachés à la propriété privée, et d’une rupture avec un capitalisme dont les règles du jeu n’étaient pas remises en cause.

En tout cas, il faut quand même retenir que Jaurès n’hésitera pas à s’attaquer à la monoculture, précisant « qu’il est dangereux pour un pays de laisser porter par un seul produit toute sa fortune ».

Numériquement, le mouvement fut dominé par des non-viticulteurs. Artisans, commerçants, salariés, déclassés, monde rural et urbain réunis dans les comités de défense viticole. Se retrouvent dans ce mouvement toutes les couches sociales, des formes de démocratie directe de « décidir e viure al pais », de « décider et vivre au pays », où l’intérêt personnel était dépassé par celui du “país” dont la viticulture restait l’élément-clef.

Par sa nature, ce mouvement porte du début à la fin la marque d’une lutte catégorielle, la défense viticole, contre le marché, la surproduction, l’industriel betteravier, soit une forme d’anticapitalisme, contre les profiteurs. Cependant entre l’anticapitalisme tripal et la proposition consciente, d’autres règles du jeu, en rupture radicale, s’ouvrant socialement, politiquement, à d’autres pans de la société, vers la classe ouvrière, à l’époque, déjà qualifiée dangereuse, bref, entre révolte et révolution, il y a un monde que le mouvement de 1907 n’a jamais dépassé.

Laurent Gutierrez du PCF de Côte d’Or

Bibliographie indicative 

A) Sources

Archives de la guerre : Registres matricules du recrutement, Béziers, 1903, 1904, 1905.

B) Ouvrage et article scientifique

Jean SAGNES : “Le mouvement de 1907 en Languedoc – Roussillon” : De la révolte viticole à la révolte régionale. Le mouvement social n°104, année 1978

Jean SAGNES : “Jean Jaurès et le Languedoc viticole”, Presse du Languedoc / Max Chaleil, mai 1988, 127 pages.

Yvette et Jules MAURIN, “L’insurrection du Midi”, l’Histoire n° 20, février 1980, pages 23 à 31.

Témoignage de François – Joseph RABAT dans le Midi Libre du 24/06/1979 (dernier survivant, des mutins du 17°RI)

Laura FRADER : Paysannerie e syndicalisme : Les ouvriers viticoles de Coursan (1850-1914), Cahier d’histoire et d’étude Maurice Thorez, n°28, 4° trimestre 1978 pages 11 à 38.

C) Bande dessinée

Paul ASTRUC, La révolte des vignerons, “Un coquelicot dans la vendange”. Editions la Loubatières Toulouse, 1984.

E) poème

“Défense viticole et solidarité Occitano – Catalane.”Els Focs D’aquest Sant Joan (juny 1907) J. Maragall, Poesia completa, Editorial Empuries, Barcelona, 1986, pp 205-207

F) Document sonore

Chanson/Canson : Lengadoc Roge, paraulas de Marti, dins, Lo païs que vol viure, edicion Ventadorn, IEO Béziers.

Chanson : Gloire au 17°, Paroles : Montéhus, musique : J. Chantegret et P. Doubis