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RSF et Critique des médias: Aude Lancelin accuse
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Je souhaiterais revenir sur le dernier rapport de la fameuse ONG, ou plutôt sur l’usage curieux qui en est fait depuis quelques semaines par les dirigeants de Reporters sans frontières eux-mêmes, et par certains de nos confrères. Le 25 avril, paraissait donc le rapport annuel de l’organisation, censée observer l’état de la liberté de la presse dans le monde. La France y apparaît une fois encore en mauvaise posture, entre la Slovénie et le Chili cette année, en 33e position. Une légère remontée tout de même, de 6 places par rapport à l’an dernier, mais une remontée qui n’est en réalité qu’une correction mécanique, du fait de la dégradation générale de la situation des médias dans le monde, au sein de l’Union européenne notamment où deux journalistes ont été assassinés l’an dernier dans le cadre de leurs enquêtes sur la corruption et les paradis fiscaux.
LA LIBERTÉ DE LA PRESSE EN DANGER
Les causes de cette altération de la liberté des médias en France, on les connaît depuis des années déjà, ces causes qui précipitent régulièrement notre pays dans les profondeurs du classement. Je me contenterais du reste de citer le rapport 2016 du même “Reporter sans frontières” sur ce point: si la France est si mal classée c’est à cause « d’une poignée (je cite) d’hommes d’affaires ayant des intérêts extérieurs au champ des médias qui ont fini par posséder la grande majorité des médias privés à vocation nationale. » Donc, vous l’avez compris, on parle ici des Vincent Bolloré, des Xavier Niel, des François Pinault, des Bernard Arnault, des Patrick Drahi, qui possèdent 90% des médias en France, une situation sans précédent depuis les lendemains de la seconde guerre mondiale.
Mais bizarrement, ce ne sont pas ces géants du CAC 40 qui ont fait main basse sur l’information que le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, et le président de l’association, Pierre Haski, toujours salarié au sein d’un de ces groupes, ont choisi de cibler. Cette année, ces vigies du journalisme français ont choisi de « s’alarmer » dans les médias, tenez-vous bien, du danger que représente le leader de la FI, Jean-Luc Mélenchon. Eh oui… c’est original: le problème des médias en France ce ne sont pas les incursions du pouvoir et de l’argent dans les rédactions, le problème c’est l’opposition. Du reste, Les Décodeurs du Monde, propriété de Xavier Niel et Matthieu Pigasse, comme la station Europe 1, propriété d’Arnaud Lagardère, comme les Inrockuptibles, propriété du même Matthieu Pigasse, ont donné un large écho à ces « inquiétudes » des dirigeants de RSF.
Jean-Luc Mélenchon se serait en effet rendu coupable de propos innommables à l’égard du journalisme français. Il installerait un climat délétère pour la liberté d’expression dans le pays, à l’instar de dictateurs en poste comme Recep Erdogan ou du président Donald Trump. Je citerai les propos très véhéments de Christophe Deloire sur ce point: « La libération de la haine contre les journalistes est l’une des pires menaces pour les démocraties. Les dirigeants politiques qui alimentent la détestation du journalisme portent une lourde responsabilité, car remettre en cause la vision d’un débat public fondé sur la libre recherche des faits favorise l’avènement d’une société de propagande. »
Je dois dire qu’en lisant cela, je me suis sentie extrêmement inquiète. Pas tant pour la menace que ferait peser Jean-Luc Mélenchon sur les libertés publiques, parce que ça tout le monde a compris que c’était une blague. Non, inquiète de voir que l’organisme ciblait dans son rapport la seule opposition parlementaire qui réussisse encore à se faire un peu entendre aujourd’hui face au pouvoir d’Emmanuel Macron. Inquiète aussi pour tous ceux qui mènent depuis des années une critique rigoureuse et entièrement justifiée de la dévoration des médias français par les intérêts privés et qui voient donc leurs efforts qualifiés par la plus importante instance de représentation du journalisme de « pires menaces pour les démocraties ».
Alors puisque vous faites semblant de ne pas comprendre, monsieur Deloire, messieurs les dirigeants de RSF, ce que nous essayons de faire depuis des années, je vais rappeler ce soir sur le plateau du Média quelques points importants.
QUATRE POINTS IMPORTANTS
Premier point. Critiquer la mise sous tutelle financière des médias par des actionnaires du CAC 40, ce n’est alimenter la haine du journalisme. Au contraire, critiquer cette mise sous tutelle, c’est rendre aux futurs journalistes l’espoir d’exercer un jour à nouveau leur métier dans des conditions dignes, des conditions de liberté retrouvée.
Deuxième point, il est scandaleux de faire mine de confondre le sort réservé aux journalistes dans des dictatures comme la Turquie ou l’Egypte, avec l’indispensable critique des médias menée depuis une vingtaine d’années par des penseurs comme Noam Chomsky ou Pierre Bourdieu, des journalistes comme Serge Halimi ou plus récemment François Ruffin, des politiques comme Jean-Luc Mélenchon, Bernie Sanders, ou Jeremy Corbin, autant de leaders d’opposition régulièrement confrontés à de violentes campagnes de dénigrement de la part de médias mainstream possédés par les groupes industriels et financiers qui veulent leur barrer la route vers le pouvoir.
Troisième point, c’est précisément dans les pays où l’on a laissé la culture démocratique se dégrader constamment, que l’on voit un jour les journalistes emprisonnés, victimes d’agressions ou d’assassinats. C’est dans les pays où le despotisme de l’argent, et sa collusion avec l’Etat, ont à ce point gagné la bataille qu’ils n’ont plus rien à craindre de la justice, qu’on peut voir, comme à Malte récemment, une journaliste enquêtant sur la corruption gangrénant l’île lâchement assassinée aux yeux du monde entier. Et c’est précisément parce que nous ne voulons jamais voir ça en France que nous nous battons aujourd’hui.
Dernier point, monsieur Deloire, vous seriez sans doute plus fidèle à votre mission en protégeant notre pays des incursions de l’argent et de la puissance publique dans nos médias nationaux, plutôt qu’en proclamant bruyamment votre satisfaction de collaborer avec l’Elysée au sujet d’une loi sur les “fake news” prévue pour juin prochain. Une loi que de très nombreux professionnels du journalisme s’accordent à juger comme inquiétante, sinon franchement liberticide. De même que la directive sur le secret des affaires qui s’annonce, et qui ne rassure pas sur les intentions de ce pouvoir à l’égard des enquêteurs et des gêneurs.
A l’inverse de ce qu’on nous raconte aujourd’hui pour dissuader toute remise en question des médias, c’est précisément pour garantir à l’avenir la sécurité des journalistes français qu’il faut se battre aujourd’hui pour sauver l’indépendance des médias.