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La responsabilité de la presse dans la répression de la Commune de Paris

Lien publiée le 5 juin 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

La répression de la Commune est sans conteste le massacre le plus sanglant de l’histoire de Paris. La Semaine Sanglante, qui s’est déroulée du 21 au 28 mai 1871, s’est soldée par la mort de 30.000 Communards. Les massacres ont été suivis d’exécutions systématiques et de déportations massives. Les survivants ont été soumis à des persécutions et des humiliations sans nombre. Cet épisode est relativement méconnu par l’histoire officielle. Le rôle des élites intellectuelles et médiatiques françaises face à ce massacre demeure en particulier très peu connu.

La presse et les intellectuels jouissent en France d’un prestige peu commun. Le refrain est connu : si la démocratie est aussi profondément enracinée en France, c’est grâce au rôle de la presse, de ses intellectuels médiatiques et des personnalités « engagées » à qui elle donne de la visibilité. Cette analyse est acceptée et ressassée à l’envie dans le débat public. Elle prend du plomb dans l’aile si on analyse le rôle des journalistes et « intellectuels » (le terme est anachronique car il apparaît avec l’Affaire Dreyfus) lors de la répression de la Commune de Paris, l’une des crises sociales les plus violentes de l’histoire de France.

La grande presse et les intellectuels font bloc contre la Commune

Adolphe Thiers, qui a dirigé la répression de la Commune, passait, aux yeux d’une partie de la presse, pour un modéré. ©jcosmas, André-Adolphe Eugène Disdéri. L’image est dans le domaine public. 

Dès le commencement du soulèvement, les élites conservatrices appellent le gouvernement d’Adolphe Thiers à châtier durement les Communards. Louis Veuillot, dans le quotidien monarchiste l’Univers, s’en prend à la mollesse supposée d’Adolphe Thiers : « le gouvernement de Paris est pitoyable, il laisse la ville sans défense. Ô, Dieu de nos pères, suscitez-nous un homme ! ». La Comtesse de Ségur écrit : « M. Thiers ne veut rien faire qui contrarie les rouges (…) Saint Thiers a pour ces abominables scélérats des tendresses paternelles ». Le camp monarchiste s’impatiente. Il n’est pas le seul. La presse républicaine « modérée » (par opposition aux républicains « jacobins », favorables à la Commune) rejoint peu à peu le concert des appels à la répression. Dès le 19 mars, un article du quotidien « d’union républicaine » l’Electeur libre condamne le soulèvement de la Commune : « tout homme de coeur se lèvera pour mettre un terme à de semblables forfaits« . On peut lire dans le Drapeau tricolore, quotidien républicain modéré: « dût-on noyer cette insurrection dans le sang, dût-on l’ensevelir sous les ruines de la ville en feu, il n’y a pas de compromis possible« .

« Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et sociale, nous devons traquer comme des bêtes fauves ceux qui se cachent »

Le massacre commence, au grand soulagement de ceux qui l’avaient réclamé pendant des semaines. « Quel honneur ! Notre armée a vengé ses désastres par une victoire inestimable », écrit un rédacteur du Journal des Débats, républicain modéré. « Le règne des scélérats est fini », peut-on lire dans l’Opinion publique, républicain modéré et anticlérical. « Aux armes ! Bruit sinistre qui me remplit de joie et sonne pour Paris l’agonie de l’odieuse tyrannie », avoue Edmond de Goncourt. Certains y voient l’occasion d’en finir avec le péril rouge. « Il faut faire la chasse aux Communeux ! », proclame un journaliste du quotidien libéral Bien public. Un article du Figaro appelle sans détours à un massacre sanglant : « Il reste à M. Thiers une tâche importante : celle de purger Paris. Jamais occasion pareille ne se présentera (…) Allons, honnêtes gens, un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et sociale, nous devons traquer comme des bêtes fauves ceux qui se cachent« . Le poète Leconte de Lisle souhaite « déporter toute la canaille parisienne, mâles, femelles et petits ». Renan, dans ses dialogues philosophiques, en appelle à une « élite de privilégiés, qui régneraient par la terreur absolue ». Emile Zola écrit : « Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres ». Le futur auteur de Germinal, dont la sensibilité à la souffrance ouvrière était indéniable, éprouve alors la crainte d’une insurrection populaire, dont il ne s’est jamais départi.

« Vous avez laissé violer Paris, avouez-le, par haine de la Révolution ! »

George Sand. L’image est dans le domaine public.

Pourquoi une telle fureur contre la Commune ? Désabusés par la Révolution de 1848 à laquelle beaucoup avaient pris part, les intellectuels de 1871 étaient devenus plus conservateurs ; Jules Vallès, communard, et Victor Hugo, conservateur devenu républicain et socialiste, constituent les deux exceptions les plus notables. La plupart n’étaient pas prêts à accepter une révolution aussi radicale. La romancière George Sand, qui avait conservé des sympathies socialistes et républicaines, s’est montrée très hostile à la Commune par crainte de perdre ses biens matériels ; « mon mobilier est sauvé ! », écrit-elle lorsque la répression commence ; « les exécutions vont bon train, c’est justice et nécessité ». Quant à la grande presse subventionnée par les grands capitaux, elle a dans la grande majorité des cas emboîté le pas aux classes dominantes pour des raisons similaires.

Les mesures politiques et sociales mises en place par la Commune ont terrifié mais aussi stupéfié les grands possédants par leur caractère révolutionnaire ; on le constate à la lecture des journaux et des correspondances de l’époque. La réaction de Flaubert aux lois sociales votées par la Commune est symptomatique : « le gouvernement se mêle maintenant du droit naturel ! ». Imposer des réglementations à l’ordre social et économique, cela équivalait pour lui (comme pour tant d’autres) à intervenir dans le droit naturel, à défier les lois immuables de l’économie et de la société. Plus prosaïquement, le Duc de Broglie voyait dans la Commune « le refus de la plèbe d’admettre l’ascendant des classes supérieures » ; en conséquence, la plèbe devait être châtiée. Jules Vallès n’avait pas tort, lorsqu’il écrivait dans son journal le Cri du Peuple : « vous avez laissé violer Paris, avouez-le, par haine de la Révolution ».

La scission entre le peuple et les élites

Jean Jaurès. L’image est dans le domaine public.

La répression de la Commune de Paris signe l’arrêt de mort du jacobinisme, mouvance républicaine issue de la Révolution Française à la fois sociale et populiste. Sociale, parce que l’égalité civique est indissociable de l’égalité sociale  dans la pensée jacobine ; populiste, parce que les jacobins souhaitaient mettre en place une démocratie semi-directe, qui impliquerait directement le peuple dans les affaires publiques et lui donnerait un pouvoir réel. Les républicains « jacobins » s’opposaient aux républicains « modérés », très hostiles à des réformes sociales égalitaires et à toute idée de démocratie directe. Les républicains jacobins ont été exterminés durant la Commune aux côtés de leurs alliés socialistes, anarchistes et collectivistes. C’est le républicanisme « modéré » qui a triomphé et est arrivé à la tête de la France en 1877. Il a fallu tous les efforts colossaux d’un Jean Jaurès pour réconcilier le mouvement ouvrier et la République, le drapeau rouge et le drapeau tricolore.

Le massacre de la Commune a donc instauré une scission durable entre les élites républicaines (modérées), parlementaires, journalistes et intellectuels d’une part, et le mouvement ouvrier et populaire de l’autre. Le rôle de la presse et des intellectuels sous la Commune n’y est pas pour rien. La presse, qualifiée de « figariste », était d’ailleurs l’une des cibles favorites des Communards ; les locaux du Figaro et du Gaulois ont été saccagés par des ouvriers parisiens durant la brève existence de la Commune. Cette scission entre les élites médiatiques et le peuple a-t-elle jamais été résorbée ? Toutes proportions gardées, ne peut-on pas expliquer la défiance actuelle de la population vis-à-vis de la grande presse par la révérence de celle-ci à l’égard du pouvoir, par la violence qu’elle déploie contre les mouvements de contestation ? Le phénomène populiste contemporain, c’est-à-dire le rejet populaire des élites politiques et médiatiques, n’est-il pas largement imputable au rôle de cette presse qui prend, depuis deux siècles, le parti des puissants contre leurs opposants ?

Pour aller plus loin :

  • Histoire de la Commune de 1871, Prosper-Olivier Lissagaray (témoignage d’un Communard)
  • Les écrivains contre la Commune, Paul Lidsky
  • Les origines de la Commune, Henri Guillemin