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Le Juin 1968 yougoslave : la « bourgeoisie rouge » dénoncée
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://npa2009.org/idees/histoire/le-juin-1968-yougoslave-la-bourgeoisie-rouge-denoncee
1968 fut une bifurcation du système issu de la révolution yougoslave. Le Parti communiste, sous l’égide de Tito, avait dirigé la lutte de libération contre les hitlériens et leur alliés locaux en liant celle-ci à la transformation de la société et à un projet d’égalité entre les peuples présents sur le territoire yougoslave. Parce que cette révolution ne respectait pas la « construction du socialisme dans un seul pays » et fut très populaire dans tous les Balkans, Staline décida en 1948 de l’isoler par une « excommunication » des « titistes » devenus des « agents de l’impérialisme ». Les dirigeants yougoslaves expliquèrent ce comportement de la « Patrie du socialisme » par son étatisme bureaucratique. Pour s’en dissocier et consolider leur base sociale, ils décidèrent en 1950 de généraliser un système d’autogestion, en se réclamant de Marx et de la Commune de Paris, contre Staline. Ce n’était pas rien, même si ce n’était pas une remise en cause du parti unique en tant que tel mais de son rôle dirigiste dans une planification -administrative.
Les droits de gestion des conseils ouvriers étaient initialement limités par le maintien de fonds centraux d’investissement, reflétant les choix stratégiques redistributifs du parti entre 1950 et 1965. Au début des années 1960, les républiques riches revendiquaient le contrôle de leur production, les autogestionnaires réclamaient de gérer le surplus social, et une part des économistes défendait contre « l’arbitraire politique » de respecter la « loi de la valeur » (le marché) dans la construction du socialisme – dès lors que le système empêchait l’accumulation capitaliste et assurait la domination de la propriété sociale.
D’où l’introduction du « socialisme de marché » en 1965 : les ressources des fonds d’investissement sont versées aux entreprises autogérées et à un système bancaire supposé « neutre » pendant que le système se confédéralise. La décentralisation creusa les inégalités et sapa toute cohérence des choix autogestionnaires. Les grèves se multiplièrent. On dénonçait le remplacement du principe « à chacun selon son travail » par « à chacun selon le marché ». Stimulés par les conférences de la gauche marxiste de la revue Praxis critiquant l’aliénation de l’autogestion par l’étatisme et par le marché, un mouvement indépendant d’étudiants occupa les facultés en juin 1968, dénonçant la « bourgeoisie rouge », réclamant « l’autogestion de bas en haut » et une planification autogestionnaire – sous des posters de Che Guevara...
Sous pression des critiques de gauche du « socialisme de marché » en même temps que des revendications nationales des républiques riches (exigeant de garder les devises de leur commerce extérieur) et des Albanais du Kosovo, la direction titiste soutint certaines des revendications en opérant un nouveau tournant : les droits autogestionnaires et nationaux furent augmentés en même temps que tout mouvement indépendant était démantelé. Le « rôle dirigeant » du parti fut réaffirmé alors qu’il était rongé par la corruption et le nationalisme. Les grosses entreprises et le système bancaire furent démantelés pour renforcer les droits et le contrôle des « organisations de base du travail associé » Mais la « planification contractuelle » (désormais encouragée) et un système plus égalitaire ne pouvaient émerger d’unités atomisées par le marché, et sous pression des turbulences mondiales.
Catherine Samary