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"TOUT !" (1970-1971), quinzomadaire détonant des maos-spontex

Lien publiée le 6 juillet 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/jean-claude-leroy/blog/030718/tout-1970-1971-quinzomadaire-detonant-des-maos-spontex

« Ils avaient une ligne qui était opposée à toute organisation autre qu’immédiate. [...] C’est pourquoi on les appelait les maos-spontanéistes. »

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De cette « quand même heureuse » période post 68, en guise de presse symptomatique, la mémoire retient habituellement ActuelCharlie HebdoLa Gueule ouverte, et bien sûr Libération. Anars, écolos, gauchistes fusent de partout, et sont à la manœuvre. Notamment les maos de la GP, Gauche Prolétarienne, avec Pierre Victor, déjà guide spirituel, exhortant les militants « à ne pas avoir peur de la mort »1, mais aussi, moins funèbres, ceux de la Vive La Révolution (issus de VLC, Vive Le Communisme) qui, après une publication éponyme, créent un « quinzomadaire » détonant en couleurs qui apporte un vent frais et décapant : Tout ! Il vivra 10 mois, de septembre 1970 à juillet 1971, Manus Mc Grogan le ressuscite dans un essai que viennent de publier les éditions L’Échappée.

Les trotskistes regardent ces « mi-maos, mi-libertaires » d’un œil éberlué, Henri Weber, co-fondateur (avec Alain Krivine et Daniel Bensaïd) de la JCR, Jeunesse Communiste Révolutionnaire, ancêtre de la LRC (Ligue Communiste Révolutionnaire), et devenu au fil des ans un social-libéral de choc, se souvient donc : « Ils avaient une ligne qui était opposée à toute organisation autre qu’immédiate. Aucun mouvement ne peut fonctionner comme ça. C’est pourquoi on les appelait les maos-spontanéistes. »2Et bientôt les « maos-spontex ».

Un certain Jean-Paul Sartre a accepté d’être le directeur de publication. L’équipe comprend Roland Castro (co-dirigeant avec Tiennot Grumbach de VLR), futur architecte vedette présentement macroniste, autant dire dégénéré ; Jean-Paul Dollé, philosophe enseignant à l’université de Vincennes ; Guy Hocquenghem, romancier, essayiste, fondateur du FHAR, Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire3. Quand une tribune du FHAR est publié dans Tout !, c’est Sartre qui est jugé responsable et attaqué en justice pour outrage aux bonnes mœurs, mais… « on ne met pas Voltaire en prison ».

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Jean-Paul Dollé déclare que « ‘‘changer la vie’’ c’est ‘‘changer la vie quotidienne’’, c’est-à-dire mettre en pratique la critique de Lefèbvre.4 » Un autre membre de l’équipe, parmi les plus jeunes, Richard Deshaies, confie : […] j’ai commencé à lire la pensée du président Mao, qui était après tout complètement stalinien […] et, de l’autre côté, j’avais les situationnistes ; alors, j’avais le cul entre deux chaises. » En vrai, Tout ! absorbera progressivement les idées situationnistes et s’éloignera de la révolution culturelle.

Sur fond de lutte prolétarienne et d'anti-impérialisme (les Américains ravagent le Vietnam), le combat des Blacks Panthers, celui des féministes, celui des homosexuels, celui des immigrés sont très présents dans Tout ! Et le journal est d’une facture nouvelle pour l’époque. Castro et ses copains des Beaux-Arts ont joué les graphistes, ils lui donnent une allure psychédélique à cette feuille de chou contestataire. La contre-culture s’introduit aux côtés de la politique. VLR, mais aussi une de ces émanations avec le FHAR, le FLJ, Front de Libération des Jeunes, anime le journal.

« Dans l’esprit de mai 68, Castro privilégie l’action autonome de la classe ouvrière, de la jeunesse et des immigrés comme modèle du changement social […]. De son côté, Hocquenghem défend l’art du sabotage et de la paresse, pour amorcer une révolution dans la vie personnelle : On sera poètes, militants, musiciens, érotiques, assoiffés de savoir ce qu’est le monde pour le transformer, destructeur de l’ancien pour promouvoir le nouveau. […] Quelque chose qui ne ressemble ni à l’embrigadement compensatoire par un mouvement de jeunesse comme celui qu’avait construit le PCF, ni à l’emprise directe (limitée) de groupes gauchistes organisés. » 5

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Le sous-titre revient à chaque fois, comme un refrain : « Ce que nous voulons : tout - Journal révolutionnaire ». Dessins, photos, poèmes, collages, tribunes et articles se disputent la place. Le tirage est de 50 000 exemplaires, le nombre de lecteurs évalué au double, quand même ! Cousinage de plus en plus évident avec le journal de Bizot : Actuel. Un autre journal politique vient de naître, Politique hebdo, il consacre une double page centrale à VLR.

En avril 1971, Roland Castro annonce la dissolution de VLR. Si d’autres motifs sont évoqués, il semble que les tensions de genre en soit la cause véritable. Le groupe femmes de VLR étaient sur le point de quitter le mouvement. De son côté, Hocquenghem sème un certain malaise en assumant un peu fort son homosexualité. Comme on le voit, beaucoup de chemin reste à faire, déjà. Le journal Tout ! était un produit de VLR, il continue toutefois quelque temps à paraître. Et s’arrête en juillet.

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Manus Mc grogan fait revivre aussi le contexte de la période quant aux publications underground, bulletins de contre-informations et contre-culture qui naissent dans la foulée de 68 et de Tout ! : Le ParapluieZincActuel, etc.

*

1   Manus McGrogan, Tout !, éditions L’Échappée, 2018, p. 41.
2   Manus McGrogan, Tout !, éditions L’Échappée, 2018, p. 45.
3   Guy Hocquenghem est aussi l'auteur d'un pamphlet fameux sur les renégats de 68 : Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, réédité en dernier lieu chez Agone, en 2003.
4   Cf. Henri Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, 1947, Grasset. Critique de la vie quotidienne II, Fondements d'une sociologie de la quotidienneté, 1961, L'Arche Critique de la vie quotidienne, III. De la modernité au modernisme (Pour une métaphilosophie du quotidien), 1981, L'Arche. La Vie quotidienne dans le monde moderne, 1968, Gallimard.
5   Manus McGrogan, Tout !, éditions L’Échappée, 2018, p. 81.

Manus Mc Grogan, TOUT !, Gauchisme, contre-culture et presse alternative dans l'après-Mai 68, traduit de l'anglais par Jean-Marie Guerlin, éditions L'Échappée, 2016. 19 €

Sur le site de l'éditeur : ici