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À Kolbsheim, villageois et zadistes sont solidaires
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://reporterre.net/Le-tour-de-France-des-Zad-A-Kolbsheim-villageois-et-zadistes-sont-solidaires
« Le Dieu des zadistes existe ! » Ce mercredi 27 juin au soir, une ambiance détendue et chaleureuse règne sur la Zone à défendre (Zad) du Moulin. Quelques habitants se donnent des accolades, des sourires, sans trop en faire. En fin de journée, l’ultime enquête publique sur le Grand Contournement ouest (GCO) de Strasbourg a rendu un avis défavorable. C’est l’une des dernières cartouches des opposants sur le plan des procédures. Car si la Zad est la partie immergée du front anti-GCO, d’autres militants agissent côté coulisses. Et les uns et les autres maintiennent des relations étroites. Cet avis négatif semble donner un surcroît de légitimité aux opposants, un petit sursis et encore un nouvel espoir que le projet soit suspendu, voire abandonné.
Depuis le 14 juillet 2017, une poignée de personnes se sont installées dans cette clairière en contrebas de Kolbsheim, petit village aux portes de Strasbourg. Il s’agit d’un point névralgique du tracé de l’autoroute payante de 24 kilomètres, un des rares qui traverse une forêt. La Zad en est à sa « troisième ou quatrième génération d’occupants », remarque non sans émotion Baptiste (la plupart des prénoms ont été changés), quand il voit l’essor récent. Militant de terrain qui habite au nord de Strasbourg, il a résidé sur place à l’automne 2017 et reste l’un des soutiens les plus actifs.
Les zadistes ont des parcours multiples. Les uns, bas-rhinois, peuvent être précaires et avoir suivi des parcours de vie chahutés, d’autres sont des militants écologistes qui ont été d’une Zad à l’autre (Notre-Dame-des-Landes, Sivens, EuropaCity, Roybon, Bure, Saint-Avold ou Garzweiler en Allemagne). Ils se côtoient depuis le début, au gré des allées et venues de chacun. Des Allemands et Belges ont aussi fait un passage. Les plus jeunes ne veulent pas trop s’exposer.
Du village voisin ou de Strasbourg, des habitants viennent souvent prêter main-forte.
Passée la barricade à l’entrée, certains villageois viennent en journée participer aux différents travaux, mais profitent du confort de leur maison à quelques centaines de mètres. À terme se pose aussi la question d’héberger de futurs soutiens de passage. D’autres jeunes adultes sont venus en couple. L’un d’eux, Claire et Martin, Alsaciens et éducateurs d’une trentaine d’années, s’était enchaîné sous une foreuse lors de travaux préparatoires en mars. Ils ont été condamnés par le tribunal correctionnel à une amende et à 2.600 euros de dommages et intérêts. La somme a été récupérée en 24 heures via une cagnotte en ligne. Le couple est depuis parti, après 9 mois sur place, à la suit d’une occasion de formation pour l’un deux. Quant à Manu, grutière intérimaire, elle est venue de Lorraine, inspirée par la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Il y a aussi Georges, père de famille strasbourgeois, très impliqué à Nuit debout en 2016, qui a laissé une tente où il n’arrive qu’après le dîner en famille et repart peu avant 7 h pour être là au réveil de son fils.
La cuisine collective est bien approvisionnée.
Pour se restaurer, une partie de la nourriture de la cuisine collective provient de dons des villages voisins. Dans deux poulaillers, des poules produisent quelques œufs. Bientôt, les poussins nés à la Zad pourront aussi produire. La question d’agrandir les deux poulaillers se pose, mais certains plaident pour maintenir la liberté totale. Quelques brasseries locales font aussi don d’une petite part de leur production. Dans le village, dont le maire, Dany Karcher, a toujours été un opposant au projet, il est possible d’accéder aux douches d’un club sportif et à un espace avec internet. Un ramassage des poubelles à l’entrée du site est aussi mis en place. Un point d’eau est accessible à côté de l’ancien moulin à eau, inhabité depuis que le projet se concrétise. Les terrains appartenaient à la famille Grunelius, dont le château surplombe la forêt. Le châtelain, qui réside sur place, a donné l’autorisation d’occuper ses terrains. Cabane dans les arbres, tente, grande, roulotte, caravane, chacun trouve son logement.
La Zad est régie par une assemblée, dont les délibérations restent confidentielles. Reporterre a pu assister à l’une d’entre elles. S’y côtoient habitants, soutiens et militants engagés sur les aspects juridiques. Actualité, vie de la Zad et actions militantes y sont débattues. Développer de la permaculture, avoir un parc animalier font partie des idées. Deux chèvres, Manu et Brigitte, se promènent déjà autour du feu. L’un des coqs s’appelle Berlusconi.
Avec l’été, les opposants s’attendent à plus d’activité et de monde sur place, en journée ou pour dormir. Si bien qu’il faut organiser les lieux de vie. Il y a un espace d’accueil et pour se restaurer, et un endroit plus calme dans une grange où se reposer, et enfin un nouvel espace, Zad Lanta, plus festif.
Daniel : « Si le village est solidaire avec nous, c’est parce qu’on a toujours été dans la non violence. »
Daniel, artiste et « militant de la “désargentisation” » depuis les années 2000, habite depuis janvier sur place : « Si le village est solidaire avec nous, c’est parce qu’on a toujours été dans un principe non violent. On est sur une terre très religieuse et c’est à prendre en considération. Convaincre les gens de participer à l’enquête publique a été difficile, car il y a beaucoup de résignation. Mais symboliquement, cet avis négatif, c’est comme si les zadistes avaient mis sur la gueule des porteurs du projet. On a aussi réussi à faire comprendre la distinction entre les chemises claires (gendarmes locaux, présent à de nombreuses reprises), qui ont jusqu’ici été correctes avec nous, et les chemises foncées (les forces d’intervention). »
Pour Jack, venu d’une autre région de France, « se confronter au système, c’est difficile, mais créer un maillage entre les lieux parallèles, c’est possible. Petit à petit, il faut faire le lien entre les Zad, des lieux de vie hors de la compétition. On est dans une société de la spécialisation, or la démarche de la Zad, c’est un transfert de compétences. Si quelqu’un part, sa compétence reste. »
Son ami Marc, Strasbourgeois et ancien boulanger, « cherche depuis 10 ans une vie en forêt. Et si c’est avec une lutte, c’est encore mieux. Je ne savais même pas qu’il y avait une Zad près de Strasbourg. Une amie m’a dit qu’elle y allait, je l’ai suivie et on a débarqué ici. Deux semaines après, je me suis installé. » La « compétence » qu’il apporte et veut développer, c’est la culture de plantes, dont il a apporté des graines depuis un jardin partagé où il a ses habitudes à côté de son appartement à Strasbourg. Ce qui l’attire le plus à Kolbsheim ? Tendre vers un lieu « autogéré et en autosuffisance ».
Pour Daniel, son engagement est aussi l’aboutissement de combats passés
« Cela fait des années que je tente de convaincre les élus à Strasbourg, qu’il faut un lieu pour les gens qui sont dans l’itinérance, qui ne soit pas dédié à la consommation. Un espace où les gens peuvent se poser quelques temps. Ici, c’est une opportunité. »
La menace de l’expulsion
Malgré l’avis défavorable de l’enquête défavorable, une menace d’expulsion pèse depuis le 20 juin. Onze habitants ont été sommés de quitter les lieux par le tribunal administratif. Même si la notification « à effet immédiat » ne leur a toujours pas été remise en main propre, la décision autorise le constructeur et exploitant, Vinci via sa filiale Arcos, à se faire aider des forces de l’ordre pour expulser les terrains dont il est désormais propriétaire. Des travaux de déboisement sont en théorie prévus à partir du 1er septembre, avec des repérages préalables. Fin juin, quelques écologues sont d’ailleurs venus faire un tour des lieux sous le regard impuissant de zadistes, trop peu nombreux à ce moment-là. Car en journée, une partie des habitants travaille. Et, malgré des messages d’alerte, il est parfois compliqué de mobiliser d’autres opposants si la menace n’est pas vitale. Mais les autorités peuvent-elles s’asseoir sur l’avis négatif de l’enquête publique ?