[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Aurore (sur le climat)

écologie

Lien publiée le 12 août 2018

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.wordpress.com/2018/08/10/aurore-sur-le-climat/

L’année 2018 et son été dans l’hémisphère Nord (dans le Sud aussi d’ailleurs), plus chaude année et plus chaud été jamais vus depuis l’année 2017, eux mêmes les plus chauds connus depuis ceux de l’année 2016, ont probablement vu la quantité commencer à se changer en qualité.

Je ne parle pas ici du réchauffement climatique lui-même, dont l’aggravation a commencé voici quelques années déjà, mais de la conscience et de l’angoisse collectives.

Les incendies massifs de la Californie à la Grèce en passant par le Portugal, en même temps que les régions polaires de la Scandinavie à l’Alaska ont couramment atteint les 30 degrés centigrades, les vagues de chaleur à 50 degrés violentant les populations des vallées de l’Indus et du Gange, bref la conjonction de situations catastrophiques à la fois sur des régions très peuplées de l’hémisphère Nord et sur les régions polaires, ont produit un choc collectif qui va au delà de la pénibilité immédiate et concerne l’inquiétude pour l’avenir proche et pour celui de nos enfants.

Le point précis où, en la matière, s’effectua le basculement qualitatif, peut sans doute être daté précisément : le 6 août, fut publié un important article collectif de scientifiques par la PNAS (1) qui abordait franchement l’hypothèse forte de l’autre franchissement de seuil, celui du climat lui-même, en envisageant les réactions en chaine provoquées par l’effet de serre proprement dit, celui causé par le dioxyde de carbone, mais s’y ajoutant : dégazage du méthane des régions arctiques, chute de la réverbération consécutive à la fonte des glaces, amplification de l’effet de serre par la nébulosité accrue, saturation des capacités végétales de captation massive du dioxyde de carbone, facteurs qui conduiraient à une accélération qui nous ferait connaître maintenant ce que les prévisions pessimistes envisageaient pour la fin du XXI° siècle, cela de façon rapide, et sans possibilité certaine d’affirmer que l’emballement puisse déboucher sur une décélération et se calmer.

Ce que l’AFP et à sa suite la presse régionale ont traduit par : Le monde pourrait devenir rapidement une étuve ou La crainte d’une terre « étuve » (2).

Le sens précis de cette idée d' »étuve » doit d’ailleurs être bien compris. Il signifie une combinaison de terribles chaleurs estivales et d’humidité conduisant, littéralement, à la « cuisson » de l’organisme des gros mammifères. Inutile de préciser quelle est la principale espèce de gros mammifères sur cette planète, n’est-ce pas. Ceux-ci pour survivre devraient s’enterrer ou se cacher dans des édifices protégés, ce que la majorité ne pourra pas faire.

A ce stade, il faut être clair. Rien ne sert de citer Marx, qui certes avait bien raison en disant que le capital détruit la terre et le travailleur (Capital, livre I, fin de la quatrième section), si c’est pour « se garder de trancher » entre les 99,99% de chercheurs, c’est-à-dire l’intellect collectif scientifique, pour qui le réchauffement est avéré et est anthropique, et les 0,001% de soi-disant dissidents. La nécessité de mesures de survie et de précaution, des mesures rompant avec les exigences de l’accumulation illimitée du capital, ne relève pas d’un pari pascalien, mais d’un savoir objectif (3). La météo et le climat ne sont des objets scientifiques différents qu’en tant qu’ils sont des objets scientifiques liées l’un à l’autre, de la même façon que les fluctuations des prix et des salaires sont, dans leur contingence elle-même, la manifestation des cycles de l’accumulation du capital. Ce qui veut dire que la chaleur étouffante des premiers jours d’août 2018 en France, souffrance qui a d’ailleurs dans notre pays été bien plus modérée que pour la majorité des habitants de la planète durant les mêmes semaines, n’est pas un phénomène « météorologique » qui serait sans rapport scientifiquement avéré avec l’évolution « climatique ».

C’est le contraire qui est vrai : nous en sommes clairement, brutalement, violemment, au stade où notre météo quotidienne traduit dans ses aléas le réchauffement climatique. L’effet de serre est connu et expliqué depuis les travaux de John Tyndall à la fin du XIX° siècle et dés cette époque le savant suédois Arrhénius estimait que la combustion massive du charbon risquait de provoquer un échauffement moyen de 4 degrés centigrades (4).

La hausse de la température moyenne traduit clairement, brutalement, violemment, l’effet de serre massif provoqué par la combustion systématique des hydrocarbures en premier lieu, aggravé, de plus, par l’élevage bovin intensif et par les incendies de forêts directement induits par l’exploitation des matières premières, et, pour couronner le tout, en voie d’amplification par les dégazages de méthane et les incendies « spontanés » favorisés par cette situation.

Tous phénomènes qui, à leur tour, traduisent clairement, brutalement, violemment, une activité humaine ayant échappé à tout contrôle social, alors précisément que les humains sont des animaux sociaux : l’accumulation du capital, toujours plus efficace en termes de productivité du travail, mais par conséquent toujours moins performante en termes de rentabilité plus-value/investissements (5), et devant du coup toujours accélérer, la combustion des hydrocarbures et, d’une façon générale, le pillage des ressources durables, aidant puissamment à cette accélération.

Il va falloir faire quelque chose, il va même falloir faire beaucoup, et vite.

Un symptôme éloquent, et digne, de la prise de conscience en cours est par exemple la prise de position de l’humaniste réformiste Paul Jorion, dont le blog est célèbre pour avoir anticipé le déroulement de la crise dite des subprimes en 2007-2008 (6). Paul Jorion ne se prétend pas marxiste ou marxien mais il se fonde raisonnablement sur les certitudes que nous procurent tant notre vie quotidienne que le consensus scientifique effectif.

Cela l’avait rendu radicalement pessimiste, car, pour lui comme pour la plupart des observateurs sérieux, les mauvaises nouvelles rendues publiques le 6 août étaient déjà acquises. L’invivabilité de la surface terrestre pour les gros mammifères est depuis plusieurs années l’une de ses grandes préoccupations, au point de lui faire envisager l’extinction de l’espèce, avec en lot éventuel de consolation la conservation de son capital culturel via les robots et l’intelligence artificielle – notons d’ailleurs que même cette modalité, peu réjouissante pour les êtres charnels que nous sommes, de congélation possible, si l’on peut dire, du souvenir culturel de la nature prenant conscience d’elle-même en nous, est exclue en l’état actuel, non pas techniquement sans doute, mais parce qu’elle n’assure pas la poursuite indéfinie de l’accumulation du capital !

Nous sommes cuits, nous disait-il.

Il le dit d’ailleurs toujours, pessimisme de l’intelligence.

Mais la raison et l’humanité se révoltent et son cri du 8 août pourrait se résumer ainsi : nous sommes cuit, tout commence !

On va se battre, et le résultat de la lutte sera donné par la lutte, et si on ne gagne pas il n’empêche que la réalité de notre combat fera partie du monde réel. Dans tous les cas, il en vaut la peine.

Les canuts le disaient dans leur chanson, et Oleg Sentsov, à son 89° jour de grève de la faim quand sont écrite ces lignes, nous le dit chaque seconde : mourir en combattant n’est pas une défaite mais peut être une nécessité. Mais il est, pour lui, pour eux, et pour nous, mieux encore que le combat assure la vie.

Qu’il soit permis de dire que cet optimisme de la volonté n’a rien d’irrationnel et est même la seule orientation rationnelle pour les sujets humains. Et aussi de voir dans les propos de Paul Jorion le symptôme éloquent et vivant de la volonté de se dresser et de faire face.

La cuisson arrive. Elle résulte de l’accumulation du capital, elle n’arrive nullement en terrain neutre. Le tournant de l’été 2018 va consister en ce que la question climatique va rapidement être saisie par les forces sociales et politiques qui s’affrontent.

Ne nous y trompons pas, les négationnistes l’ont saisie eux aussi, déjà, à leur façon. Quand Trump tweete que si la Californie brûle c’est parce qu’il y a trop d’arbres (7), indépendamment de ce qu’on ne saurait appeler autrement que sa connerie (8), il combat : pour qu’aucun obstacle ne soit mis à la combustion de tous les hydrocarbures possibles, cette poule aux œufs d’or pour la poursuite de l’accumulation illimitée du capital.

Mais quand Agnès Buzyn, ministre de la Santé en France, dans le gouvernement Macron qui veut détruire les droits sociaux, assène « Je pense que notre société commence à s’adapter à la canicule », au delà, là encore, du ridicule, que fait-elle si ce n’est faire pression sur la population pour qu’elle s’adapte à la cuisson, cette cuisson que les grands de ce monde, ceux que l’accumulation illimitée du capital gonfle et maintient, vouent à la grande majorité ?

Enfin, quand le ministre de l’Environnement – pardon de la « transition écologique et solidaire » !! – du même gouvernement, Nicolas Hulot, nous explique que la situation est grave et que donc il ne faut surtout pas « se diviser », que fait-il, sinon ajouter sa partition pour que l’on se tienne tranquilles au lieu de combattre ?

Car le combat qui s’annonce n’a pas pour adversaire « le climat », et ne vise pas à « sauver la planète », qui survivra à tout cela.

C’est un combat social, suite logique de tous les combats précédents, un affrontement interne à l’humanité.

Car quelles mesures élémentaires, immédiates, demanderaient les vagues de chaleur ?

D’abord des mesures de protection mettant à l’abri tous les sans-abris, n’est-ce pas ?

Ensuite des mesures contre le travail dans l’étuve. Il ne faut pas écouter ce chef d’équipe qui racontait sur une radio régionale voici quelques jours que la chaleur, ce n’est pas si terrible, en tout cas moins que la pluie, dans le bâtiment, et qu’ainsi, on bronze ! Ces rodomontades grossières sont celles d’un petit préposé à l’accumulation du capital. Qu’une profession où une grande partie de la paye se fait de la main à la main et donc à la pièce, où le travail au noir tient une grande place, où dans les grosses boites où de tels usages sont, hors sous-traitance, moins étendus car moins discrets, on recourt à l’intérim permanent et à la précarité, le discours ambiant soit celui-là ne doit pas étonner. Pourquoi disent-ils que la pluie c’est pire ? Mais parce que la pluie stoppe beaucoup de travaux, et la chaleur, pas, même si on en crève !

Il est donc nécessaire que des lois coercitives, coercitives comme disait Marx à propos du travail des enfants et de la journée de travail, viennent stopper le travail, et donc l’accumulation, quand il fait trop chaud.

Ce sont là des mesures élémentaires d’ordre public et de santé publique.

Sont-elles compatibles avec la politique de tous les gouvernements contemporains ? Non. Parce qu’elles vont contre l’accumulation.

Et pourtant, elles sont de bon sens et de nécessité vitale.

Quelles seraient, pour aller un peu plus loin, les mesures urgentes pour enrayer le processus de mise en étuve du monde humain ?

Là, il est important de réfléchir sur les réalités et de ne pas se laisser entraîner dans le discours idéologique dominant. Celui-ci nous serine que « nous détruisons la planète ». Sale prolétaire qui roule en diesel et détruit la planète ! Le discours de la culpabilisation des individus n’a aucune neutralité sociale. Il vise à les adapter de gré ou de force aux conditions de l’accumulation du capital dans le cadre de l’étuve planétaire.

Punir le consommateur, mettre à l’amende le salarié, épuiser le maçon et le chauffeur tout en « libérant l’initiative » antisociale de ses patrons, n’en doutons pas, les Trump, Buzyn et Hulot, chacun à leur façon, le font et vont le faire. Le tournant de l’été 2018 vaut dans les deux blocs sociaux en opposition. C’est un affrontement qui va s’aiguiser, de part et d’autre.

Certes, il faudrait en arriver assez vite à une réorganisation des transports priorisant les transports collectifs et les véhicules ne recourant pas à la combustion des hydrocarbures. Avec la promotion du covoiturage, la fiscalité sur le diesel, la culpabilisation des individus, s’y dirige-t-on ? Clairement, non.

Comment peut-on avancer sans s’en prendre aux firmes pétrolières et gazières ? C’est une appropriation sociale, démocratique, et internationale, qui est nécessaire comme mesure de survie pressante.

Pour commencer vraiment à avancer vers la restauration des conditions d’une existence durable, les véritables mesures élémentaires seraient la nationalisation de ces groupes, en tout premier lieu, avec comme mesure immédiate et rapide l’interdiction des yachts et autres gros mazoutiers dont les émissions de gaz sont des millions de fois supérieures à celles des prolétaires et citoyens que l’on veut aujourd’hui mettre à l’amende et pressurer pour qu’ils courent toujours plus vite.

Autres mesures d’ordre public international : mettre fin à l’obsolescence programmée, stopper la production massive de plastiques, immobiliser les dispositifs délirants de flux tendus (arrêter la construction d’autoroutes démultipliées, stopper et inverser la conteneurisation de la circulation routière et maritime, imposer au transport aérien une forte régulation permettant sa diminution) au profit de circuits courts, et aussi, pourquoi pas, réinvestir les sommes détournées vers la production d’armes en direction des besoins sociaux et environnementaux.

Désolé d’enfoncer des portes ouvertes : ces mesures sont des évidences. Et elles ne se heurtent à aucun obstacle technique.

Mesures d’urgence qui, techniquement, pourraient être effectuées en peu d’années, et qui engageraient une réorientation générale des modalités de la production agricole, industrielle et des transports. Elles assureraient la pérennité et la solidité du réaménagement architectural et urbain tourné vers la verdure et le végétal, rompant avec le couple goudron/béton qui prévaut, que tous les techniciens envisagent aujourd’hui, mais sans aucune garantie de bas coûts, de généralisation effective, et de non-ségrégation.

Au delà, place au débat démocratique éclairé par la recherche scientifique afin de décider collectivement de plans de reforestation, de la (re)-constitution de biotopes riches et lesquels, et du recours ou non à des technologies de géo-ingénierie (9)

Au delà de quoi ? Au delà de la rupture avec l’alignement des sociétés sur l’accumulation illimitée du capital. L’obstacle est là, ne serait-ce « que » pour les urgences les plus immédiates.

La prise de conscience de plus en plus massive que sans cette rupture, nous perdons notre monde, et nous crevons en grand nombre à relativement brève échéance, ne va pas écarter un seul des sujets de lutte politique contemporaine. Elle va tous les attiser, et c’est à travers eux que l’issue se fraiera son chemin.

VP, le 10/08/18.

(1) PNAS : Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States :

http://www.pnas.org/content/early/2018/07/31/1810141115

(2) Journal La Montagne, 8 août 2018.

(3) On vise ici, entre autres, un article de Denis Collin sur le site La Sociale, qui décidément n’en rate pas une, qui explique que météo et climat n’ont rien à voir l’un avec l’autre, qu’il faut se garder de trancher entre scientifiques comme si la chose n’était pas tranchée, et que somme toute, c’est un pari pascalien, mais tout de même raisonnable et judicieux que de se prémunir du réchauffement. Ouf !

(4) Voir sur ces sujets les nombreux billets sur la page Facebook et articles de revues du militant écosocialiste belge Daniel Tanuro.

(5) Le capital est de la valeur qui doit sans cesse augmenter. Son augmentation, la plus-value, est procurée par l’exploitation de la force humaine de travail, toujours plus efficace pour les mêmes raisons qui font que sa part proportionnelle dans le capital total est toujours plus faible : investissements productifs, organisation du travail, machines, faisant augmenter la productivité. Ce processus, aujourd’hui planétaire, a été analysé par Marx dans les livres I et III du Capital.

(6) La transcription de son intervention remarquable du 8 août dernier est ici :

https://www.pauljorion.com/blog/2018/08/10/nous-sommes-cuits-que-faire-le-8-aout-2018-retranscription/#more-105871

(7) Tweet de Trump : « Les feux de forêt en Californie sont amplifiés et aggravés par les mauvaises lois environnementales qui ne permettent pas d’utiliser correctement des quantités massives d’eau facilement accessibles. »

(8) « Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. » Michel Audiard.

(9) Daniel Tanuro, dans plusieurs articles, met en garde contre l’illusion de la fuite en avant technologique prétendant s’assurer la maîtrise du climat. En l’état actuel, il a sans doute raison. Il a assurément raison en ce qui concerne les ambitions capitalistes se faisant jour dans ces secteurs. Mais dans l’absolu rien ne permet d’écarter par avance ce type de progrès. La rupture avec l’accumulation illimitée du capital et donc avec le fétichisme de la « croissance » ne doit pas conduire à une inversion des valeurs, se voulant décroissanciste de manière absolue. Laissons à nos enfants, une fois qu’on leur aura à nouveau assuré le droit démocratique d’avoir le choix, celui entre la décroissance absolue, les technologies prométhéennes et, pourquoi pas, leur combinaison !