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Une mannequin sort du silence sur Instagram
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
« Je m’appelle Julia, j’ai 25 ans, je mesure 1m72 et je fais un 36-38 ». Par ce récit révoltant à couper le souffle, Julia témoigne de la maltraitance subie dans une agence de mannequinat parisienne. Ça n’a pas été simple, mais elle a décidé de prendre son courage à deux mains pour dénoncer, via son compte Instagram, le diktat de la maigreur qui sévit encore communément dans le milieu de la mode.
Elle a dores-et-déjà reçu de nombreux soutiens, mais sa finalité est autre : « Je souhaite que mon témoignage soit lu pour sensibiliser les personnes autour de ce genre de pratique et cesser de les normaliser, mais surtout pour que les filles qui ont déjà vécu des expériences similaires puissent se reconnaître dans mon témoignage et réaliser qu’elles ne sont pas seules », nous confie-t-elle.
Au service de la mode
« Il y’a quelques semaines, j’ai rencontré une agence parisienne qui m’avait recrutée à distance, afin de me faire travailler sur le marché européen. Cette agence que je ne nommerai pas avait mis en avant son ouverture d’esprit et avait stipulé qu’elle ne me demanderait pas de maigrir.
Contrat signé en poche, pleine de confiance pour la suite des choses, je m’en vais faire leur connaissance. Entassés dans un appartement surexposé des quartiers chics parisiens, j’ai été présentée aux membres de l’équipe qui n’ont pas manqué de me dévisager.
Un soupir pour tout accueil, je suis immédiatement mal à l’aise face à mon interlocutrice qui me fait signe de la suivre dans son bureau.
- Ah, mais en fait tu es très très curve
Face à cette dernière et son acolyte qui détaillent chaque millimètre de mon corps de leurs yeux méfiants, je m’assois en retenant ma respiration, par peur de laisser paraître un insoutenable bourrelet…
- On est vraiment trop déçues... c’est vraiment trop dommage, mais pas dommage pour nous hein ! C’est dommage pour toi, me martèlent-elles.
Elle se lève et s’empare du mètre. Telle une bête de compétition entourée de ses acheteurs potentiels, je dois leur montrer mon plus bel angle.
- 99 centimètres, c’est beaucoup trop ! C’est vraiment trop curvy !
Elle fait une pause tout en tenant sa tête, comme par désespoir.
- Ah mais moi je suis super embêtée…parce que je ne savais pas du tout que tu étais curve…
Entre ses mains, ma carte de mannequin qui comporte mes mensurations les plus récentes. Incrédule, je m’enquiers du poids à perdre.
- 6 centimètres de hanches, grand minimum.
On parle de 4 tailles, je n’ai plus qu’à me raboter les os des hanches.
- Sachez que je ne maigrirai pas pour vous, mais si je peux me permettre, je ne pense pas qu’il soit possible d’effectuer un si gros changement tout en étant en bonne santé, leur dis-je.
- Si, si c’est possible ! Regarde dans les émissions comme Koh Lanta où des gens vont sur des îles désertes, ils s’affament et ils réussissent à être maigres, eux.
J’encaisse.
- Non mais ce n’est pas de notre faute, c’est la faute du marché.
Je perds patience.
- Vous savez, pour que le marché change, il faut que des personnes se mouillent.
- Mais tu sais Julia, aucune française ne peut s’identifier à ton corps.
Pourtant, je connais les chiffres. La taille moyenne de la française est un 42.
- On pourrait éventuellement te proposer pour des contrats de beauté…mais quand bien même un client te choisirait, une fois qu’il verra ton corps, il se rendra bien compte que ce n’est pas possible… Reprenant son souffle, elle continue Et puis même quand on voit tes bras, on se rend tout de suite compte que tu n’es pas mince !
À ce moment-là, plus personne ne parle. En même temps, le doux bruit du silence devient agréable comparé aux attaques auxquelles je suis confrontée. Son regard va vers son écran d’ordinateur et fait des aller-retours dans ma direction.
- Mais dis-moi, ton portfolio il est complètement retouché ! C’est dingue comme tu n’as pas l’air de ça en vrai !
Elle ferme maintenant son ordinateur, prend son téléphone et se rend sur mon profil instagram. Elle me pointe plusieurs photos, l’une après l’autre.
- Mais là, tu étais plus mince !
- Cette photo a été prise il y a deux semaines, lui dis-je
- Et sur celle-ci ? T’etais plus mince !
- Elle date d’hier, je lui réponds
- C’est peut-être l’avion qui t’a fait enfler alors ! Tu as vraiment beaucoup de gras au visage !
Alors que je me prépare à partir, elle m’achève.
- Tu sais Julia, les obèses ça marche aux États-Unis, mais pas ici.
Je m’appelle Julia, j’ai 25 ans, je mesure 1m72 et je fais un 36-38.
Cela fait un peu moins de deux ans que j’exerce le métier de mannequin au Canada et aux États-Unis. Je suis considérée comme mannequin « in between », un joli mot pour dire que je n’ai ni les mensurations d’une mannequin de podium, ni celles d’une grande taille. Si certaines de mes photos sont quelque peu retouchées, je me bats quotidiennement pour que mon image soit la moins modifiée possible.
Mon âge et mon expérience m’ont aidé à relativiser ce rendez-vous, ce ne serait peut-être pas le cas d’autres filles. Si cela m’était arrivé plus tôt, au début de ma carrière, j’aurais été détruite. Je suis consciente ne pas être la première ni la dernière victime de ce type d’expériences qui sont malheureusement communes.
Peut-on autoriser une agence à dévaloriser le corps d’autrui ? Je ne trouve pas acceptable de normaliser ce type de comportement. Je me pose beaucoup de questions sur l’effet de leurs paroles, mais eux s’en posent-ils ?
Conseiller à quelqu’un de perdre du poids jusqu’à être malade va à l’encontre de ce que doit être une agence, soit un lieu bienveillant d’écoute et de conseils.
Le marché, c’est ce qu’on en fait. Nous sommes témoins d’un virage au sein de l’industrie de la mode. Tandis que dans certains pays, on dénote cette mouvance de diversité corporelle, la France se démarque encore par sa vision hermétique d’un idéal désuet. Une distorsion de la réalité.
Il y a, malgré tout, des personnes qui travaillent fort pour briser les codes d’un modèle dépassé, comme mes merveilleux agents de chez Scoop à Montréal, Muse à New York et Dominique à Bruxelles, à qui je souhaite transmettre ma gratitude. »