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Dans les Pyrénées, ces bergers qui ne veulent pas la peau de l’ours

Lien publiée le 9 septembre 2018

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Dans les Pyrénées, ces bergers qui ne veulent pas la peau de l'ours

La vallée pyrénéenne d’Aspe s’est déchirée au cours de l’été entre les partisans et les opposants au lâcher de deux ourses slovènes. Sur place, Mireille Bonhomme et Marc Peyrusqué, bergers, militent pour la réintroduction de l’animal dans les montagnes.

  • Etsaut (Pyrénées-Atlantiques), reportage

Le break gris de Mireille Bonhomme grimpe à un rythme soutenu les derniers kilomètres de piste aménagée depuis le village d’Etsaut. La poussière vole sous les roues tandis que la conductrice commente les infimes changements de paysage apparus depuis son dernier passage. Elle entreprend chaque semaine un muletage jusqu’à la cabane Cap de Guerren, où son compagnon, Marc Peyrusqué, passe l’été depuis vingt-trois ans. Ils sont bergers. Il garde les brebis et fabrique les fromages dans les estives. Elle descend les fromages, monte le ravitaillement avec les ânes et assure la vente sur le marché de Pau, ou en direct à leur ferme, à Arbus.

Au stationnement de Bieus, la piste se transforme en sentier escarpé. Mireille Bonhomme gare son véhicule, dont la vitre arrière est ornée d’un autocollant sans équivoque : « Des ourses pour le Béarn. » Le reste du chemin vers la cabane se fera à pied en compagnie de Manu, la muletière.

La cabane Cap de Guerren.

Le couple fait partie des bergers adhérents au cahier des charges Pé Descaous (l’un des surnoms de l’ours en béarnais qui signifie « va-nu-pieds ») mis en place par le Fonds d’intervention écopastoral (Fiep), une association qui milite pour la cohabitation entre l’animal et le pastoralisme. Les quatorze bergers signataires transhument dans des zones de présence de l’ours. Ils font connaître leur engagement en imprimant l’empreinte du plantigrade dans leurs fromages.

« Des ours, il y en a toujours eu » 

Dans la vallée d’Aspe, l’annonce de la réintroduction de deux ourses slovènes pour accompagner les deux mâles de la région, Néré et Canellito, a réveillé des fractures profondes. À tel point que, le 29 juillet dernier, la vingt-cinquième édition de la fête du fromage d’Etsaut a été boycottée par les anti-ours, qui ont organisé leur propre fête, à Écot. Une première dans la vallée et Mireille craint que cela ne laisse des traces : « J’ai peur que désormais, il y ait deux fêtes chaque année », soupire-t-elle en gravissant les pentes vers la crête de Salistre.

Manu, la muletière.

À la cabane Cap de Guerren, située à 1.841 mètres d’altitude, et dont il ne descend pas de juillet à septembre, Marc Peyrusqué trait deux fois par jour plus d’une centaine de brebis et une cinquantaine de chèvres : « L’ours, ce sont des emmerdes pour nous », constate-t-il en délivrant une brebis manech reconnaissable à sa tête noire de la cage de traite. Le plus gros mammifère des Pyrénées oblige les bergers à une vigilance accrue et à prendre des mesures pour s’adapter à sa présence. Au milieu de ses animaux, dont l’odeur âcre imprègne les alentours de sa cabane, le berger poursuit : « Pourquoi je suis pour l’ours ? Parce que je veux vivre de mon métier tout en cohabitant bien avec mon environnement. Et des ours, il y en a toujours eu. »

Certains propriétaires de troupeaux ne passent plus leur été dans les estives, et ne montent que ponctuellement. Ils ont perdu la dénomination de « bergers » pour devenir des « éleveurs ». Pour Marc, cette pratique favorise les « cartons », c’est-à-dire une perte subite de plusieurs bêtes, avec ou sans l’ours, et a des effets néfastes : les brebis, quand elles ne sont pas guidées, ne choisissent que les étendues d’herbes les plus attrayantes et perdent leur rôle de nettoyeuses de la montagne, car elles délaissent les zones envahies par la végétation.

« C’est grâce à l’ours que l’on peut embaucher Manu et Charlotte. Sans lui, elles ne seraient pas là non plus » 

Marc souhaiterait que tous les troupeaux soient surveillés, les éleveurs pouvant employer facilement des jeunes grâce aux aides : « Cela redynamiserait les vallées, donnerait de l’emploi aux jeunes et contribuerait à la continuité du métier. » Et d’avancer ce chiffre : « Même sans la problématique de l’ours, les pertes sont d’environ 1 % avec une présence en estive contre 15 % quand il n’y a personne. » Les décès auxquels il doit faire face sont majoritairement dus au dérochage, aux vipères, aux parasites, et, en hiver, lorsqu’il est en bas, aux chiens.

Marc Peyrusqué et Charlotte traient deux fois par jour plus d’une centaine de brebis et une cinquantaine de chèvres.

Durant l’été, le couple est épaulé par deux salariées. Manu, la muletière, dessert trois cabanes chaque semaine avec des ânes. Elle est salariée d’une association créée par plusieurs bergers. Quant à Charlotte, elle assure une présence dans les estives aux côtés de Marc et l’aide pendant les deux mois les plus intenses, juillet et août. « C’est grâce à l’ours que l’on peut embaucher Manu et Charlotte. Sans lui, elles ne seraient pas là non plus. » Les subventions pour la préservation du pastoralisme assurent 80 % du salaire des deux jeunes femmes. Le plan ours 2018-2028, proposé par le gouvernement au printemps 2018, prévoit de nouvelles aides pour les bergers qui transhument sur son territoire. Sans cette aide financière, le couple n’aurait pas les moyens de salarier des jeunes : « Nous gagnons un Smic à deux avec Mireille. Sans les subventions, le métier aurait sans doute disparu. »

Marc : « Cela fait plus de trente ans que je fais ce métier et l’ours ne m’a jamais pris une seule brebis. »

Les agriculteurs qui s’opposent à la présence de l’ours avancent les risques de prédation que ferait peser l’animal sur les troupeaux. « Cela fait plus de trente ans que je fais ce métier et l’ours ne m’a jamais pris une seule brebis », commente le berger, non sans une once de fierté, avant d’ajouter : « Mais, dans le métier, c’est rare, la plupart ont au moins eu une bête mangée. » Après plus de trois décennies passées dans les estives, il estime que les mesures de protection pour éloigner l’ours et éviter qu’il ne s’attaque aux troupeaux n’ont rien d’impossible, même si le risque zéro n’existe pas.

« L’ours est un omnivore opportuniste qui évite l’homme » 

Alors que le soleil descend se cacher derrière les sommets, les brebis, qui avaient profité de la fin de la traite pour s’éloigner dans le vallon face à la cabane, reprennent le chemin en sens inverse. Pour s’assurer qu’aucune récalcitrante ne choisisse de ne pas rentrer, Charlotte part à leur rencontre. Tous les soirs, les bêtes sont contenues à proximité du lieu d’habitation. Elles ne sont pas parquées : ici, la montagne est trop escarpée pour le permettre, mais, ailleurs, des clôtures protègent parfois les troupeaux la nuit. Quatre chiens patous, dont la fourrure blanche se confond avec celle des brebis, veillent sur elles.

« L’ours est un omnivore opportuniste qui évite l’homme. Si on ne lui donne pas l’occasion de se saisir d’une brebis, il ne le fera pas. » Marc insiste, l’ours n’est pas le loup : entre un omnivore solitaire et un carnivore chassant en meute, les risques de prédation ne sont pas les mêmes. « Si le loup arrive, ça sera une autre paire de manches. Parquer les brebis et les surveiller avec les patous, ça risque de ne plus suffire. Mais, on en est pas encore là », balaie-t-il de la main.

Moule d’une empreinte d’ours qui sert à imprimer les fromages.

Assis à sa table en bois avant de rejoindre le troupeau en ce dernier jour de juillet, il formule un vœu : « J’espère qu’ils ne vont pas reculer, qu’ils vont bien les lâcher, ces ourses. » [1] Depuis, Nicolas Hulot a démissionné du gouvernement, des agriculteurs anti-ours ont organisé une manifestation sanguinolente (brebis mortes et poches de sang lancées sur la mairie) à Etsaut, le 29 août, visant la maire pro-ours, Élisabeth Médard. Les résultats de la consultation menée par la préfecture des Pyrénées-Atlantiques, à laquelle 6.000 internautes ont participé, montrent une majorité acquise aux promoteurs des plantigrades. À l’échelle de la France, 88,9 % sont favorables à la réintroduction de l’ours, chiffre qui tombe à 58,6 % de réponses favorables pour les communes du Béarn concernées. L’ours divise bel et bien la vallée d’Aspe.