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Marche pour le climat à Paris : rien n’était comme d’habitude

écologie

Lien publiée le 9 septembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.nouvelobs.com/planete/20180909.OBS2042/marche-pour-le-climat-a-paris-rien-n-etait-comme-d-habitude.html

Des dizaines de milliers de personnes étaient à cette marche sans CRS ni tracts volants, mais non sans gravité. Reportage.

Il fait normalement beau, ce samedi 8 septembre à Paris. C’est comme si le ciel voulait faire amende honorable après les feux mortels de l’été en Grèce et en Californie, la grêle sur Paris pendant la canicule, les rennes de Norvège terrés dans les tunnels autoroutiers pour échapper aux 30° et l’asphalte qui a fondu aux Pays-Bas comme celui des rues sous les semelles de Tintin dans "L’Etoile mystérieuse".

Ce qui devait être une "marche pour le climat" est devenue en réalité la convergence de toutes les inquiétudes liées à l’environnement. En début d’après-midi, les gens ont afflué par milliers place de l’Hôtel de ville, suite à l’appel sur Facebook de Maxime Lelong, jeune entrepreneur durablement secoué par la confession de Nicolas Hulot à l’heure de rendre son tablier de ministre. Une foule de citoyens venus marcher pour le climat bien sûr, mais aussi pour protester de ce que plus rien ne tourne rond au siècle des firmes transnationales plus puissantes que les Etats "et au siècle des Lumières éteintes", comme nous l'explique un manifestant sous le soleil de rentrée. 

Beaucoup de marcheurs – autour de 30.000 manifestants – sont des politico-sceptiques de plus en plus contrariés d’avoir dû voter pour un candidat décidément sans aucune conscience écologiste. "Le ciel nous tombe sur la tête et les politiques regardent ailleurs", lit-on sur un grand carton blanc tenu par une main anonyme. Ils sont des centaines à résumer leur protestation de quelques mots sur une pancarte faite maison.

  • "Stop au suicide de l’humanité".
  • "La terre, tu l’aimes ou tu la quittes".
  • "Réfractaire au changement et fier de l’être".
  • "Eat veggies, not animals".
  • "Après moi le déluge".
  • "Décroissance ou chocolatine ?".
  • "Je vote pour la planète".
  • "Kill foss".
  • "Politiciens et industriels, là vous nous entendez ou vous faites encore semblant de ne rien comprendre ?".
  • "L’hiver vous manquera quand il n’existera plus".
  • "La guerre au plastique".
  • "Compostez, c’est marrant".
  • "Politiques = manque de c(h)ulot".
  • "Elus, divorcez des lobbies".

(Pierre Lévy / DR)

Les enfants ont aussi leurs écriteaux :

  • "Pensez à nous".

L’un d’eux a dessiné un ours sur un coin de banquise qui dit :

  • "Sauvez les hommes".

Sur deux banderoles de drap tenues par des rangées des manifestants, il est écrit

  • "Changeons de système pas de climat"

et

  • "Monsieur Hulot, merci d’avoir essayé."

(Pierre Lévy / DR)

"Lobbytomisés"

Pas de policiers aujourd’hui, ni de CRS en embuscade dans les rues adjacentes. Pas d’hommes politiques, pas d’autocollants sur les T-shirts et les cartables, pas d’estrades ni de parti politique représenté. Pas de sono, pas de camionnettes customisées, pas de fumigènes, pas de tracts voletant sur les avenues – les voitures-balais ramassent quelques feuilles mortes. On cherche en vain le stand graphique des éditions Libertalia avec les écrits socialistes méconnus de Jack London(1). Rien n’est comme d’habitude. Il y a davantage de gravité dans l’air. Si des personnalités sont là, elles marchent incognito dans la foule, comme Yannick Jadot entraperçu derrière un rideau d’écriteaux. Et partout, ça discute. De Macron justement – sa perméabilité aux lobbies. Après la confession de Hulot, tout le monde parle des lobbies dirait-on...

On commente aussi la tribune parue le matin-même dans "Libération", signée par 700 scientifiques. Place de la République, à l’arrivée du cortège, il y a beaucoup de monde pour s’asseoir par terre sur le trottoir, comme dans la chanson de Souchon. Quelqu'un improvise un cours sur la "forêt comestible" et l’intelligence des arbres qui communiquent entre eux par les racines pour partager l’azote.  

(Pierre Lévy / DR)

Le sujet du moment, celui qui monte dans les journaux et les couloirs de l’Assemblée nationale, s’invite dans les conversations : l’alimentation industrielle. Le magasine Qqf (Qu’est-ce qu’on fait), généreusement distribué, titre à la une : "Alimentation : on en a gros sur la patate" et précise que c’est un "numéro 100% frais, garanti sans cruauté envers les animaux".

Et justement, la douce et discrète Brigitte Gothière est par là. C’est la fondatrice de l’association L214, qui a rendu publique la détresse des animaux d’élevage, la barbarie des souffrances infligées. Plus loin, il est question d’une guerre mondiale à venir qui sera "la guerre pour l’eau". Un confrère du "Parisien" a entendu une fillette demander à ses parents si c’est "bientôt la fin du monde". C’est peut-être une bonne question. Des essayistes et non des moindres ont écrit des livres sur les conséquences à venir, si on laisse filer, d’une science de plus en plus dépassée par elle-même(2).

En fin d’après midi, ceux qui s’en vont fixent leur pancarte sur l’un des reliefs qui ceinturent de la statue de la République. Tout en haut, il y a cette maxime empruntée à Henry David Thoreau :

"Penser sa vie et vivre sa pensée".

Il y a plein d’autres écriteaux soumis à la réflexion des promeneurs.

  • "Halte à la croissance".
  • "Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend".
  • "Stop enfumage".
  • "Rejoignez la ZAD du Moulin. Vinci détruit la biodiversité" [contre le "grand contournement" de Strasbourg, NDLR].
  • "Gouvernements lobbytomisés, ça suffit".
  • "Plus tard ce sera trop tard".

Puis on se disperse par groupes, en quête d’une table pour réparer le monde autour d’un verre, s’il est encore temps.

Anne Crignon

Merci à Pierre Lévy, rencontré dans la manifestation, de nous avoir donné les photos qui illustrent cet article. 

  • (1) "Le Talon de fer", "L’Apostat", "Le Mexicain", "Grève générale", "Coup pour coup", "Construire un feu".
  • (2) Sur le sujet on peut lire "La destruction du réel. La fin programmée de l’humain a-t-elle commencé ?" par Bertrand Vergely, Le Passeur, 261 p., 20,90 euros. "La reproduction artificielle de l’humain" par Alexis Escudero (lequel participe depuis quelques années au mouvement de critique des technologies), Le monde à l’envers, 209 p., 7 euros. Et on peut écouter les conférences, sur YouTube, d’Alain Damasio, auteur de SF, et sans doute l’un des anticipateurs les plus lucides du monde qui vient, si on laisse faire.