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Du danger à être "politiquement correct"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://lemediapresse.fr/idees/chronique-frederic-schiffter-danger-politiquement-correct/
Chaque semaine, le philosophe Frédéric Schiffter nous propose une chronique. Cette semaine, il est question du fameux « politiquement correct » et de ses ennemis.
« Il faut que la parole se libère »… Quand j’entends cette expression, je me dis : de quelle parole s’agit-il et de quelle entrave faut-il la libérer ? Le quidam qui la prononce appartient-il à une catégorie de gens n’ayant pas voix au chapitre ?
On m’objectera que je confonds le besoin de manifester une souffrance et l’exigence d’user de sa liberté d’expression. Quand des femmes révèlent qu’elles ont été abusées par des hommes, elles ne se recommandent pas d’une charte des droits de la personne humaine, mais dénoncent au grand jour les violences qu’elles ont subies.
J’ai bien compris que balancer un porc ne signifie pas donner son opinion. Il n’en demeure pas moins que lorsque je prête l’oreille aux discours de mes contemporains, je constate que la parole qui se libère allègrement, et le phénomène n’est pas récent, est celle des adversaires du politiquement correct. Pourtant, à les entendre, un système dirigé par une élite bien-pensante les réduirait au silence. On n’entendrait pas leur souffrance. Car eux aussi pâtiraient d’une violence. On violerait l’identité culturelle de leur patrie — on islamiserait ses racines judéo-chrétiennes, on en remplacerait la population de souche. Si le système ne les bâillonnait pas, eux aussi auraient bien des porcs à balancer — les « bobos », les écologistes, les homosexuels, les féministes, les antiracistes, les musulmans, les migrants, les végétariens, les chômeurs, les fonctionnaires, etc. — toute cette anti-France composée de minorités dont la vaste masse noierait la majorité qu’ils forment encore.
D’où, parmi ces malheureux opprimés, un sursaut subversif qui ne fait pas, cette fois, le départ entre la volonté de libérer la parole et la liberté d’expression. « Nous sommes les vrais rebelles », trompettent-ils. « Rien ni personne ne nous interdira de désigner les arabes et les noirs comme des délinquants, les musulmans comme des fanatiques, les chômeurs comme des assistés, les fonctionnaires comme des privilégiés, les femmes violées par des hommes blancs comme des mijaurées procédurières, les féministes comme des névrosées qui haïssent les hommes, les homosexuels comme des malades, les antiracistes comme des racistes anti-blancs, les migrants comme des envahisseurs, les végétariens comme des intolérants, etc. » D’où, également, chez les mêmes, la satisfaction de voir leur ressentiment partagé et formulé par des intellectuels dissidents tels Éric Zemmour, Renaud Camus, Alain Finkielkraut.
Quand la bêtise s’exprime, toujours au mépris des faits et en inversant le sens des mots qui les désignent, elle produit un effet comique. En cela, rien de plus risibles que ceux-là mêmes — le grand nombre — qui débitent sans contraintes et sans complexes, dans les bistrots et les médias, les préjugés dominants et les plus répandus tout en criant à la censure.
Quand la bêtise se veut convaincante, elle provoque des drames. Aussi, dès qu’un quidam s’attaque verbalement en notre présence au politiquement correct pour faire parade de son indépendance d’esprit, il est prudent de nous mettre vite à l’abri avant qu’il ne cherche à nous démontrer ses vérités dérangeantes.
Frédéric Schiffter est né en 1956 au Burkina Faso, appelé aussi le « pays des hommes intègres ». Dix ans plus tard, il échoue à Biarritz, où il lui arrive d’enseigner la philosophie l’hiver, de surfer l’été, et, à ses moments perdus, qu’il apprécie comme les meilleurs de la vie, de commettre des essais mordants et mélancoliques, parmi lesquels: « Sur le blabla et le chichi des philosophes », « Le Bluff éthique » et « Philosophie sentimentale » (Prix Décembre 2010).