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Labour Party-débat. «L’économie socialiste participative»: la vision de John McDonnell

Royaume-Uni

Lien publiée le 4 octobre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/debats/labour-party-debat-leconomie-socialiste-participative-la-vision-de-john-mcdonnell.html

Par Hilary Wainwright

Le chancelier de l’Echiquier du cabinet fantôme [soit le représentant de l’opposition «surveillant» l’actuel ministre des Finances conservateur, Philip Hammond], John McDonnell [du Labour] ne peut généralement guère souffler un mot sur les nationalisations sans provoquer une frénésie médiatique. Il est donc étrange que ses commentaires les plus intéressants jusqu’ici sur le sujet aient reçu peu d’attention. S’exprimant en février à propos de la nouvelle politique économique du Parti travailliste, McDonnell a déclaré: «Nous ne devons pas tenter de recréer les industries nationalisées du passé […]. Nous ne pouvons être nostalgiques d’un modèle dont la gestion était souvent trop distante, trop bureaucratique.»

Au lieu de cela, a-t-il ajouté, un nouveau type de propriété publique doit être fondée sur le principe que «personne ne connaît mieux la manière de faire fonctionner ces secteurs que ceux qui y passent leur vie».

Une vision démocratique

Le silence médiatique entourant cette vision profondément démocratique de la propriété publique n’a sans doute rien de surprenant. Elle entre directement en contradiction avec la tentative de réchauffer les peurs de l’époque de la Guerre froide sur une direction du Parti travailliste qui aurait été secrètement favorable à l’URSS, et dont les projets de propriété publique auraient relevé d’un premier pas visant à imposer une économie planifiée à un peuple britannique ne se doutant de rien.

Cette nouvelle approche de la propriété publique, indiquée par John McDonnell, ouvre un riche filon de réflexions économiques: elle va au-delà autant du néolibéralisme que du compromis social-démocrate d’après-guerre.

Le néolibéralisme déclare que c’est le marché qui sait ce qui est le mieux, mais le modèle inspiré par les Fabiens [la Société fabienne – Fabian Society – réformatrice a compté dans ses rangs tous les premiers ministres travaillistes, jusqu’en 2010] de l’Etat providence de 1945 – au-delà de ses mérites considérables – ne donnait aucun rôle aux travailleurs et travailleuses dans la gestion des industries britanniques nouvellement nationalisées.

Beatrice Webb [1858-1943], une figure de proue du mouvement fabien, affirmait sa méfiance envers «l’homme moyen de chair et d’os» en mesure de «décrire ses griefs» , mais ne pouvant pas «prescrire ses remèdes». Elle voulait que les industries publiques soient dirigées par «l’expert professionnel». En pratique, cela eut souvent pour conséquence que les anciens patrons des entreprises privées furent rétablis à la tête de la version publique de ces mêmes entreprises, aux côtés d’un ou deux anciens généraux. [Les époux Weeb, Sydney et Béatrice, suite à un voyage de deux mois en URSS en 1932, vont commettre, en 1935, un ouvrage laudatif sur le régime stalinien, gros de 1000 pages, intitulé: Soviet Communism. A New Civilisation ? Ils redoubleront en 1942 cet exploit d’analyse historique avec le livre intitulé: The Truth about Soviet Russia. Ce qui n’est pas sans lien avec leur conception de «l’expert professionnel».]

Ce qui sous-tend la new politics du Parti travailliste, c’est une compréhension nouvelle et très différente des connaissances – et même de ce qui est compris comme relevant des connaissances – dans l’administration publique, et par conséquent d’où et par qui viennent les connaissances qui comptent.

Car la formule de McDonnell selon laquelle l’industrie doit être conduite «par ceux qui y passent leur vie» signifie une reconnaissance des connaissances issues d’expériences pratiques, lesquelles sont souvent tacites et non codifiées: une compréhension de ce qu’est l’expertise qui ouvre sur la participation aux décisions populaire plus large, au-delà du patron ou du bureaucrate de l’Etat. Ainsi que McDonnell l’a précisé, nous devons «apprendre des expériences quotidiennes de ceux qui savent faire fonctionner une gare, des équipements divers ou les services postaux ainsi que de ce dont les usagers ont besoin». 

Le modèle Preston

Le discours de McDonnell a été précédé par une conférence tout autant innovatrice à Preston [la ville de référence pour Corbyn dans le Lancashire]. Il était animé par la volonté d’apprendre directement de l’action du Conseil de Preston, des coopératives locales et des syndicats. Son engagement en faveur de cette option, identique à celui de Corbyn, résulte d’une vie entière passée à observer la sagesse, le plus souvent inexploitée, de la base du mouvement ouvrier.

Les membres ordinaires des syndicats possèdent un ensemble très riche de connaissances sur leur travail ainsi que des idées sur comment mieux l’organiser.

Il y a là un écho de luttes passées, telles que celle, au cours des années 1970, autour du plan des travailleurs de Lucas Aerospace [tentative de reconversion, engagée en 1976, suite à des licenciements, d’une production militaire] en direction d’une production plus utile socialement, ainsi que de sa prolongation dans la stratégie industrielle londonienne du Conseil du Grand Londres, juste avant que cet organe soit aboli par Margaret Thatcher.

Il y a aussi l’écho d’une phrase oubliée de la quatrième clause du programme du Parti travailliste, laquelle s’engageait non seulement en faveur d’une propriété commune, mais aussi «au meilleur système disponible d’administration populaire et de contrôle de chaque industrie ou service». La poussière s’est accumulée sur cette phrase bien avant que toute la clause soit mise au rebut au milieu des années 1990. Nous avons désormais une direction travailliste authentiquement convaincue de la capacité de la population à exercer une «administration populaire».

Bien entendu, l’élaboration de formes de propriété publique participative nouvelles reposant non seulement sur les savoir-faire des travailleurs et travailleuses d’un secteur déterminé mais aussi sur les connaissances des usagers, des consommateurs et des communautés environnantes ne sera pas aisée. Le Parti travailliste a toutefois ouvert la porte à ceux qui voudront proposer leurs idées au sujet d’une propriété publique vue en des termes forts éloignés de la vieille école. Il y a là quelque chose qui implique une redéfinition de la signification même du terme «public».

Les syndicats, les autorités locales et les divers mouvements sociaux sont invités à apporter leur intelligence créative à cette fin. Le modèle de Preston n’est qu’un exemple de cela.

L’échec des privatisations et l’intensité des besoins sociaux non satisfaits, doublé des enjeux urgents engendrés par les changements climatiques, ont mené à ce qu’une génération nouvelle élabore des stratégies nouvelles et cherche des alliés: non seulement pour organiser des protestations, mais afin de collaborer sur des alternatives réelles pouvant exister ici et maintenant.

Les syndicats sont généralement plus faibles que par le passé, ainsi des groupes locaux de Momentum (qui contribue à organiser les partisans du projet Corbyn) et des sections du Parti travailliste peuvent dans une certaine mesure remplir les vides en développant des alternatives pratiques au niveau local.

Coopérer pour la transformation

Le mouvement coopératif, par exemple, connaît un nouveau souffle car les entreprises privées ne parviennent pas à satisfaire les besoins sociaux et environnementaux. Les chômeurs – en particuliers les jeunes – considèrent de manière croissante que la collaboration est la seule manière d’assurer son existence de manière éthique.

Ils découvrent que les mêmes technologies utilisées par les grandes entreprises de la haute technologie pour fragmenter le travail peuvent être redéployées en tant qu’instruments de collaboration sociale.

Ces expériences, nées de la nécessité, peuvent être la base d’une force de transformation pouvant à la fois aider le Parti travailliste à remporter les prochaines élections ainsi que former l’assise d’un nouvel ordre économique démocratique une fois que les travaillistes seront arrivés au gouvernement.

Cette reconnaissance que les travailleurs n’ont pas seulement des intérêts qui doivent être défendus mais qu’ils sont des alliés créatifs, porteurs de connaissances dans le processus de production des richesses sociales, renforce considérablement l’affirmation du Parti travailliste selon lequel il est le parti à qui les électeurs peuvent confier l’économie.

Elle permet à l’actuel Parti travailliste de rompre avec le pacte implicite selon lequel les entreprises privées doivent diriger la production, alors que l’Etat se charge de la redistribution – les premières prétendument efficaces, le second prétendument juste. Cette pierre angulaire du consensus d’après-guerre amputa le Parti travailliste et le rendit vulnérable aux attaques comme représentant le parti des dépenses plutôt que celui participant à la création des richesses.

Et, alors que les questions portant sur l’organisation de la production étaient laissées aux propriétaires capitalistes, l’affirmation forte du Parti travailliste, en tant que parti du travail, d’être le véritable parti de la création des richesses était sapée. Après tout, l’argent (le capital) sans le travail n’est pas productif. Le travail, d’un autre côté, peut être productif sans capital privé, par le biais d’un travail commun (c’est-à-dire, une coopération) et grâce à l’apport de fonds publics et d’une coordination.  

Un nouveau socialisme?

Lorsque les conservateurs demandent si le Parti travailliste est «fiable en matière économique», cette nouvelle économie permet de répondre: le Parti travailliste n’est pas un autre groupe d’experts auquel il faut faire confiance, les commissaires d’un plan central ou les champions d’un intérêt particulier. Il repose au contraire sur le soutien actif, ainsi que sur la confiance, de ceux dont la richesse et le bien-être social de la société dépendent. For the many, by the many [Pour le plus grand nombre, par le plus grand nombre].

Et le parti du business [les Conservateurs] ne peut désormais plus prétendre jouir du monopole du savoir sur la création des richesses sociales; il ne peut également plus rejeter le Parti travailliste de Corbyn comme étant simplement une résurgence du vieux socialisme d’Etat. La vision de la direction travailliste est celle d’un gouvernement radicalement démocratique, partageant le pouvoir avec des partisans compétents et productifs.

Cela ouvre sur la possibilité du développement d’un «nouveau socialisme», fondé sur l’autogestion plutôt que sur des ordres venant d’en haut. Il s’agit là, sans aucun doute, d’un sujet pour un média réellement curieux sur où peut mener un gouvernement avec Corbyn à sa tête (Article publié le 24 août 2018 sur le site redpepper.org; traduction A l’Encontre)