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Gratuité, la voie gagnante

Lien publiée le 14 octobre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.humanite.fr/gratuite-la-voie-gagnante-661936?amp

Face à la marchandisation du monde, un modèle alternatif émerge... Construire la gratuité est un combat d’avenir. Dossier.

«Que penser de la mort en tant que service public ? La mort devrait être un service public gratuit, comme la naissance. » L’auteur de cette citation est plutôt inattendu : Pierre Desproges. L’humoriste, avec sa façon de faire passer ce qui paraît absurde pour une évidence, visait juste : trente ans plus tard, on parle de rendre gratuits… les services funéraires. Des expériences sont déjà menées en la matière en France et en Suisse, et, en réalité, le secteur marchand ne s’est emparé du marché de la mort que depuis le début du XXe siècle, comme pour beaucoup de besoins élémentaires. Mais depuis environ trente ans, la gratuité revient, s’impose de nouveau dans le débat public accompagnant les luttes pour les « communs ». Outre le livre signé par Paul Ariès au nom de l’Observatoire international de la gratuité, un appel a été lancé le 1er octobre : « Nous voulons que la gratuité soit la condition pour repenser le contenu social, écologique, démocratique du service public dans le but d’en finir avec le capitalisme et son monde », résume sa première phrase. Signé par de très nombreux militants politiques, associatifs ou syndicaux, venus de toute la gauche et de l’écologie antilibérale, il vise à rassembler les voix de ce « nouvel âge qui sonne à la porte de l’humanité ». Avec un troisième temps : le 2e Forum national de la gratuité, le 5 janvier à Lyon.

La gratuité, quèsaco ?

L’appel est explicite, politiquement, il s’agit de s’appuyer sur ce qui est déjà existant : les services publics, au sens large. En France, ce sont l’éducation primaire et secondaire, la santé via la Sécurité sociale – même si ce pan de gratuité est rogné par le capital –, mais également des secteurs comme la restauration sociale, l’eau, l’énergie, les toilettes publiques, le logement social, la culture (bibliothèques) ou bien, figure de proue de la gratuité, les transports en commun. C’est dans ce domaine que de nombreuses collectivités se sont engagées, mais selon des modalités très différentes. Car, la gratuité, c’est, comme le définissent ses promoteurs, « le produit ou le service débarrassé du prix mais pas du coût ». Et, bien entendu, toute la question est là : comment finance-t-on la gratuité ? Pour quel service ou produit ? À terme, il s’agit également d’étendre la gratuité à de nombreux autres usages. En 2013, dans un entretien à « l’Humanité », le philosophe Jean-Louis Sagot-Duvauroux (lire page suivante) établissait le lien entre gratuité et « l’émancipation humaine, c’est-à-dire la liberté en marche, qui est le fondement du projet communiste initial ».

Les trois principes

Premièrement, la gratuité n’est pas une exception face au marché. Elle s’étend potentiellement à tous les domaines de l’existence, y compris le beau, la fête, la culture, la politique. Deuxièmement, si tous les domaines de l’existence ont vocation à être gratuits, tout ne peut être gratuit dans chacun de ces domaines. Et ce, non seulement en raison du « réalisme comptable », mais parce que la gratuité « est le chemin qui conduit à la sobriété ». Ce qui amène au troisième principe : le passage à la gratuité suppose de redéfinir produits et services, de donner ainsi une plus-value sociale, écologique, démocratique. Exemple avec la gratuité des cantines scolaires, qui est l’occasion de passer à une alimentation locale, bio, avec des fruits et légumes de saison. Il est un principe qui résume le tout : « La gratuité du bon usage face au renchérissement du mésusage. » Avec cet exemple limpide : pourquoi payer au même prix l’eau pour remplir sa piscine ou faire son ménage ?

Construire la gratuité

Il s’agit donc, pour chacun des domaines, de construire la gratuité. Politiquement, car le principe est susceptible de susciter une adhésion et des mobilisations populaires. Notamment en tordant le cou aux idées reçues avancées par les tenants de l’ordre marchand : non, la gratuité ne déresponsabilise pas, bien au contraire. Jean-Louis Sagot-Duvauroux, dans le journal libéral « l’Opinion », démonte cette assertion : « Ce n’est pas parce que la rue est gratuite que les gens font des trous dedans, et ce n’est pas parce que les massifs fleuris sont gratuits que les gens cueillent les tulipes. »

Écologiquement et socialement, il s’agit aussi de redéfinir collectivement les besoins : que produit-on, comment et pour qui ? Et comment le finance-t-on ? Car, le coût peut très bien être reporté sur l’usager d’une façon ou d’une autre, et le danger serait que cette politique renforce les inégalités en permettant à une petite minorité d’user et d’abuser des mésusages (définis comme une mauvaise utilisation du service ou du produit). Pour l’historien communiste Roger Martelli, qui a beaucoup réfléchi à cette notion, cela passe d’abord par l’impôt : « La recette fiscale et son affectation, dès l’instant où elles sont délibérées, contrôlées et évaluées de façon permanente et performante, sont les modes de régulation les plus justes et performants pour atteindre cet objectif. » Le 20 septembre, le groupe communiste à l’Assemblée a déposé une proposition de loi visant à généraliser la gratuité dans les transports publics (37 collectivités l’ont déjà instaurée), en développant notamment les sources de financement, à commencer par la taxe « versement transport » des entreprises.

Les nouvelles gratuités

Le système collaboratif et d’échange, encouragé par les nouvelles technologies, a permis l’émergence d’une nouvelle culture de la gratuité. Ce sont par exemple le logiciel libre, l’accès quasiment infini à la culture (musique, livres, cinéma). Ce qui n’est pas sans poser des questions de financement, bien entendu : pour l’heure, l’industrie culturelle capitaliste, par son refus catégorique, empêche de penser ce financement des artistes, par exemple via la licence globale. Et très bientôt, l’échange gratuit du savoir-faire ou de l’ingénierie, couplé au développement des imprimantes 3D, pourrait bien être le support d’un nouveau développement de la gratuité.

Et dans l’histoire ?

Les capitalistes ont tendance à faire croire que la marchandisation est de tous les âges et de toutes les sociétés : rien de plus faux. Au Moyen Âge, et plus encore à l’époque antique, la gratuité était partout. Dans l’Empire romain, le principe de ration gratuite, inspiré par d’autres expériences plus anciennes (Grèce, Égypte, Mésopotamie), était généralisé : pain, légumes, viande. Paul Ariès rappelle que l’historien Paul Veyne a montré que cette pratique, « loin d’alimenter populisme et démagogie, correspondait au plus haut degré de politisation dans la société romaine ». À Rome, on parle même un temps de distribution gratuite du vin. Que refuse le Sénat au motif que l’eau est déjà gratuite. Qui sait, peut-être un autre domaine où la gratuité pourra s’étendre face à la domination marchande  ?