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Une jeune humanitaire héroïque traitée comme une criminelle
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Louis Andrieu, étudiant à Sciences Po Paris et David Kretz , doctorant à l’Université de Chicago
Alors que la jeune syrienne Sara Mardini et l'Irlandais Seán Binder revenaient d'une mission humanitaire d'aide aux réfugiés, à Lesbos, les autorités grecques les ont accusés d'aide illégale aux migrants. Depuis fin août, ils sont maintenus dans une prison de haute sécurité.
Tribune. Sara Mardini, 23 ans, est une héroïne. En 2015, l’étudiante d’aujourd’hui 23 ans a sauvé la vie de 18 personnes avec sa sœur, Yusra. Pourtant, elle est maintenant emprisonnée par l’Etat grec, avec son ami Seán et trois autres humanitaires, dans une prison de haute sécurité normalement réservée aux terroristes, dictateurs fascistes et meurtriers criminels violents. Comment ce renversement est-il arrivé ?
Sara Mardini vient de Syrie. La guerre a détruit son pays, les bombes leur maison de la famille à Damas. En 2015, son père réunit autant d'argent que possible et paie deux places sur un bateau pour que ses filles puissent s’enfuir de cet enfer. Peu après leur départ, les moteurs cassent. Sara et sa sœur étant des nageuses de très haut niveau, elles n’hésitent pas, plongent dans l’eau et tirent le bateau avec 18 autres personnes vers la Grèce. Après plusieurs heures, l’île de Lesbos apparaît en vue.
L’histoire de Sara et sa sœur Yusra fait le tour du monde. Leur voyage continue. Elles reçoivent l’asile en Allemagne et trouvent un club de natation à Berlin. Yusra participe en 2016 aux Jeux Olympiques à Rio dans l’équipe d’athlètes olympiques réfugiés. Elle écrit son autobiographie qui doit être adaptée pour le cinéma. La carrière nautique de Sara s’arrête à cause d’une blessure. Cependant, elle reçoit une bourse du Bard College Berlin, une université américano-allemande, et y commence ses études. Mais elle ne reste pas dans le confort des études humanistes. Elle retourne à plusieurs reprises à Lesbos, comme cet été encore, pour faire de l’humanitaire. Aider les autres réfugiés qui arrivent, souvent à peine réchappés de la mort. Durant la journée, elle est active dans la clinique du camp où elle travaille comme interprète ; le soir, elle distribue de l’eau, surveille la côte avec les autres volontaires, donne des couvertures et des chaussettes aux réfugiés qui arrivent.
Le 21 août 2018, elle veut retourner à Berlin pour continuer ses études. La police l’arrête à l’aéroport et, avec elle, trois de ses collègues du Emergency Response Centre International (ERCI), l’ONG avec laquelle elle a travaillé à Lesbos : Seán Binder, un étudiant germano-irlandais, jeune volontaire comme elle, et deux membres grecs de l’administration du ERCI.
Les accusations sont graves : traite d’êtres humains, espionnage, blanchiment d’argent et appartenance à une organisation criminelle. Les autorités grecques prétendent que l’ERCI a collaboré avec les trafiquants pour profiter des réfugiés. Les preuves sont faibles. Les jours que l’Etat grec indique comme ceux où Sara se livra à des activités criminelles correspondent à des dates où elle se trouvait à Berlin !
Sara et sa sœur ont quasi perdu leur vie à cause des trafiquants. Qu’elles se mettent à leurs services est inconcevable. Ces accusations seraient, selon beaucoup de commentateurs, l'occasion pour les pouvoirs publics de criminaliser la solidarité et d’intimider ceux qui n’observent pas passivement la mort cruelle et quotidienne de milliers des réfugiés sur les côtes du continent le plus riche du monde.
En théorie, Sara Mardini et Seán Binder sont libres de parler avec les journalistes grâce à leurs avocats, mais la réalité des prisons et l’incertitude de leur situation leur imposent le silence. C’est donc à nous de parler, de raconter leurs histoires, de demander leur liberté, et de nous organiser face à l’injustice.
Louis Andrieu étudiant à Sciences Po Paris , David Kretz doctorant à l’Université de Chicago