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L’impérialisme du XXIe siècle
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.contretemps.eu/imperialisme-21e-siecle/
Le renouveau de l’intérêt pour l’étude de l’impérialisme a modifié le débat sur la mondialisation, centré jusque là exclusivement sur la critique du néolibéralisme et sur les traits nouveaux de la mondialisation. Un concept développé par les principaux théoriciens marxistes du XXe siècle – qui a connu une large diffusion aux cours des années 1970 – attire à nouveau l’attention des chercheurs du fait de l’aggravation de la crise sociale du Tiers-Monde, de la multiplication des conflits armés et de la concurrence mortelle entre les firmes.
La notion d’impérialisme conceptualise deux types de problèmes : d’une part, les rapports de domination en vigueur entre les capitalistes du centre et les peuples de la périphérie et d’autre part les liens qui prévalent entre les grandes puissances impérialistes à chaque étape du capitalisme. Quelle est l’actualité de cette théorie ? En quoi peut-elle contribuer à éclairer la réalité contemporaine ?
Nous republions ici un texte déjà ancien (2002) de l’économiste Claudio Katz qui fournit des éléments importants d’analyse de la situation internationale à partir du concept marxiste d’impérialisme et plaide pour un renouveau de l’anti-impérialisme, dimension indispensable du combat pour l’émancipation et pourtant largement minimisée dans la gauche française. On pourra lire en complément son article sur la théorie classique de l’impérialisme.
Une explication de la polarisation mondiale
La polarisation des revenus confirme l’importance de la théorie dans son sens premier. Lorsque la fortune de 3 multimillionnaires dépasse le Produit intérieur brut de 48 nations et lorsque toutes les quatre secondes un individu de la périphérie meurt de faim, il est difficile de cacher que l’élargissement du gouffre entre les pays avancés et les pays sous-développés obéit à des rapports d’oppression. Aujourd’hui il est incontestable que cette asymétrie n’est pas un événement « passager », qui serait corrigé par le « dégorgement » des bénéfices de la mondialisation. Les pays périphériques ne sont pas seulement les « perdants » de la mondialisation mais ils supportent une intensification des transferts des revenus qui ont historiquement freiné leur développement.
Ce drainage a provoqué la multiplication de la misère extrême dans les 49 nations les plus pauvres et des déformations majeures de l’accumulation partielle des pays dépendants semi-industrialisés. Dans ce second cas la prospérité des secteurs insérés dans la division internationale du travail est annihilée par le dépérissement des activités économiques destinées au marché intérieur.
L’analyse de l’impérialisme n’offre pas une interprétation conspirative du sous-développement ni ne disculpe les gouvernements locaux de cette situation. Elle présente simplement une explication de la polarisation de l’accumulation à l’échelle mondiale et de la réduction des possibilités de son nivellement entre des économies dissemblables. La marge du développement accéléré qui a permis au XIXe siècle à l’Allemagne et au Japon de parvenir au statut de puissance, détenu alors par la France ou la Grande-Bretagne, n’existe plus aujourd’hui pour le Brésil, l’Inde ou la Corée. La carte du monde ainsi modelée se caractérise par une « architecture stable » du centre et une « géographie variable » du sous-développement, les seules modifications possibles étant celles du statut périphérique de chaque pays dépendant[1].
La théorie de l’impérialisme attribue ces asymétries au transfert systématique de la valeur créée dans la périphérie vers les capitalistes du centre. Ce transfert se concrétise à travers la détérioration des termes des échanges commerciaux, l’aspiration des revenus financiers et la remise des bénéfices industriels. L’effet politique de ce drainage c’est la perte d’autonomie politique des classes dirigeantes périphériques et les interventions militaires croissantes du gendarme nord-américain. Ces trois aspects de l’impérialisme contemporain peuvent être observés clairement dans la réalité latino-américaine.
Les contradictions des économies périphériques
Depuis le milieu des années 1990 l’Amérique latine a subi les conséquences de l’effondrement des « marchés émergents ». La majeure partie des nations affectées ont souffert de crises aiguës, précédées par la fuite des capitaux et suivies par des dévaluations qui ont renforcé l’inflation et réduit le pouvoir d’achat. Ces écroulements ont provoqué des faillites bancaires dont le sauvetage étatique a aggravé la dette publique, rendant plus difficile le recours à des politiques de relance et accentuant la perte de souveraineté monétaire et fiscale.
Ces crises proviennent de la domination impérialiste et non de la seule instrumentalisation des politiques néolibérales, qui étaient également appliquées dans les pays centraux. Les effondrements subis par la périphérie latino-américaine sont bien plus profonds que les déséquilibres observés aux États-Unis, en Europe ou au Japon, car ils se caractérisent par l’écroulement périodique des prix des matières premières exportées, la cessation périodique des payements de la dette et la désarticulation de l’industrie locale. La périphérie est plus vulnérable face aux turbulences financières internationales car son cycle économique dépend du niveau d’activité des économies avancées. Néanmoins la marche en avant de la mondialisation accentue cette fragilité en approfondissant la segmentation de l’activité industrielle, en concentrant le travail qualifié dans les pays centraux et en élargissant les différences des niveaux de consommation.
La domination impérialiste permet aux économies développées de transférer une partie de leurs propres déséquilibres vers les pays dépendants. Ce transfert explique le caractère asymétrique et non généralisé de la récession internationale en cours en ce moment. Bien qu’une crise équivalente à celle des années 1930 soit déjà enregistrée dans la périphérie, une telle situation n’est encore qu’une des éventualités pour le centre. Les mêmes politiques de privatisation n’ont pas produit les mêmes pertes dans toutes les régions. Le thatcherisme a accru la pauvreté en Grande-Bretagne, mais en Argentine il a provoqué la malnutrition et l’indigence ; l’élargissement de la brèche des revenus a réduit les salaires aux États-Unis, mais au Mexique il a provoqué la misère et l’émigration massive ; l’ouverture commerciale a affaibli l’économie japonaise, mais elle a dévasté l’Équateur. Ces différences tiennent au caractère structurellement central ou périphérique de chaque pays dans l’ordre mondial.
La dépendance est la principale cause de la grande régression de l’Amérique latine depuis la moitié des années 1990, malgré le court répit généré par l’afflux des capitaux placés à court terme. La région retombe dans la situation dramatique de la « décennie perdue » des années 1980. Le produit intérieur brut (PIB) régional a stagné autour de 0,3 % l’an dernier et se situera autour de 0,5 % en 2002. Après quatre années de sortie nette des capitaux les investissements étrangers se sont taris et la spécialisation productive dans des activités de base a assuré la détérioration de la balance commerciale (les sommes envoyées par les émigrés aux États-Unis dépassent déjà dans de nombreux pays l’entrée des devises générée par les exportations). Résultat de cette crise : seulement 20 des 120 titres des firmes latino-américaines qui étaient cotés sur les Bourses mondiales il y a dix ans continuent à être commercialisés aujourd’hui.
La domination impérialiste est à l’origine des grands déséquilibres économiques qui ont provoqué le déficit commercial (Mexique), la perte du contrôle fiscal (Brésil) ou la dépression de la production (Argentine). Actuellement ces bouleversements ont provoqué une succession de crises qui irradient le Cône Sud, déstabilisent l’économie uruguayenne et menacent le Pérou et le Brésil. Les économistes néolibéraux s’efforcent d’analyser les particularités de cette crise, ne comprenant pas la règle générale de ces déséquilibres. En ignorant l’oppression impérialiste ils ont tendance à changer fréquemment d’opinion et à dénigrer avec une rapidité inouïe les modèles économiques qu’ils portaient aux nues auparavant.
Mais depuis le lancement de la Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA) il est devenu pratiquement impossible d’éviter l’analyse de l’impérialisme. Ce projet stratégique de domination nord-américaine vise à l’expansion des exportations états-uniennes pour bloquer la concurrence européenne et consolider le contrôle par la première puissance de tous les négoces lucratifs de la région (les privatisations restantes, les contrats privilégiés dans le secteur public, le payement des brevets).
La ZLÉA est un traité néocolonial qui impose l’ouverture commerciale de l’Amérique latine sans aucune contrepartie de la part des États-Unis. Pour obtenir le vote du « fast track » (autorisation du Congrès de négocier rapidement les accords avec chaque pays sans en référer), Bush a récemment introduit de nouvelles clauses qui empêchent le transfert des hautes technologies vers l’Amérique latine et qui entravent l’entrée de 293 produits régionaux sur le marché états-unien. Ces barrières douanières affectent en premier lieu les produits sidérurgiques, textiles et agricoles. De plus, Bush a mis en route un programme de fortes aides à l’agriculture qui, au cours de la prochaine décennie, équivaudra à un coup mortel porté aux exportations latino-américaines de soja, de blé et de maïs[2].
La ZLÉA démasque le double langage impérialiste qui consiste à prôner l’ouverture commerciale à l’extérieur tout en ayant recours au protectionnisme chez soi. La signature de l’accord provoquera l’effondrement des pays moyennement industrialisés comme le Brésil et des associations régionales comme le Mercosur, tout en ne permettant qu’une faible adaptation à l’accord des économies petites ou complémentaires dans des domaines très spécifiques avec celle des États-Unis.
Après une décennie de néolibéralisme le message impérialiste d’ouverture commerciale ne convainc plus personne. Il est évident que la prospérité d’un pays ne dépend nullement de sa « présence mondiale », mais des modalités de cette insertion. L’Afrique, par exemple, détient un taux de commerce extérieur à la région en proportion de son PIB beaucoup plus élevé (45,6 %) que celui de l’Europe (13,8 %) ou celui des États-Unis (13,2 %) en étant la région la plus appauvrie de la planète[3]. Ce cas extrême de subordination défavorable envers la division internationale du travail illustre une situation de dépendance générale que supportent les économies périphériques.
Recolonisation politique
La recolonisation de la périphérie constitue la face politique de la domination économique impérialiste. Elle se fonde sur l’association croissante des classes dominantes locales avec ses correspondants du nord. Cet entrelacement est la conséquence de la dépendance financière, de la livraison des ressources naturelles et de la privatisation des secteurs stratégiques de la région. La perte de la souveraineté économique a octroyé au Fonds monétaire international (FMI) la mainmise directe sur la gestion macro-économique et au Département d’État (ministère des affaires étrangères aux États-Unis) une influence équivalente sur les décisions politiques. Aujourd’hui aucun président latino-américain ne se permet d’adopter des décisions importantes sans consulter l’Ambassade US. Le prêche des moyens d’information et des intellectuels « américanisés » contribue à légitimer cette subordination.
A la différence de la période 1940-1970, les capitalistes latino-américains n’envisagent plus de renforcer les marchés intérieurs par la substitution des importations. Leur priorité est de se lier aux firmes étrangères, car la classe dominante régionale est aussi partiellement créancière de la dette extérieure et a bénéficié de la dérégulation financière, des privatisations et de la flexibilisation du travail. Il existe également une couche de fonctionnaires qui est plus fidèle aux organismes impérialistes qu’à ses États nationaux. Éduqués dans les universités états-uniennes, entraînés dans les organismes internationaux et dans les grandes firmes, leurs carrières sont plus dépendantes de ces institutions que de la bonne marche des États qu’ils gouvernent.
Mais cette recolonisation généralisée accentue également la crise des systèmes politiques de la région. La perte de légitimité des gouvernements aux ordres du FMI a produit au cours des deux dernières années une crise de régime dans quatre pays (Paraguay, Équateur, Pérou, Argentine). A l’issue d’un long processus d’érosion de l’autorité des partis traditionnels, les gouvernements se fragilisent, les régimes tendent à se désagréger et certains États sont ébranlés. Cette séquence couronne le moulage des institutions, qui ont cessé d’être sensibles aux revendications populaires et qui se conduisent comme des agents de l’impérialisme. Au fur et à mesure que la façade constitutionnelle se désagrège, le Département d’État états-unien encourage un retour aux pratiques dictatoriales du passé, bien que le vieil autoritarisme apparaisse recouvert de nouveaux artifices constitutionnels.
Cette ligne fut clairement apparente dans la récente tentative de coup d’État au Venezuela. Le remplacement du gouvernement nationaliste de ce pays est une priorité aux yeux du gouvernement des États-Unis pour pouvoir renforcer l’embargo contre Cuba, pour désarticuler le zapatisme, pour se préparer à une victoire électorale du Parti des travailleurs au Brésil et pour infliger une leçon à la rébellion populaire argentine. La diplomatie états-unienne a déjà commencé à évaluer la possibilité de restaurer les vieux protectorats qu’elle considère comme ayant été complètement défaits. La Colombie et Haïti sont les deux principaux candidats pour cet essai néocolonial, qui pourrait également être mis en pratique en Yougoslavie, au Rwanda, en Afghanistan, en Somalie et en Sierra Leone. Récemment l’Argentine a commencé à figurer parmi les nations incluses dans ce projet d’administration vice-royal[4]. De telles alternatives supposent une importante ingérence directe du gendarme nord-américain.
L’interventionnisme militaire
Le « Plan Colombie » est le principal essai de cette intervention belliciste en Amérique latine. Le Pentagone a déjà mis de côté le prétexte du trafic des stupéfiants et, tout en forçant à la rupture des négociations de paix, a initié une campagne militaire contre la guérilla. La précaution pour minimiser la présence directe des troupes nord-américaines, afin de réduire les pertes états-uniennes (« syndrome du Viêt-Nam »), consiste en une plus grande saignée des « indigènes ».
Avec la guerre en Colombie il s’agit de restaurer l’autorité d’un État démembré et de restaurer les conditions de l’appropriation impérialiste des ressources stratégiques. Comme le prouve la conspiration au Venezuela, ces actions ont également pour but de garantir l’approvisionnement pétrolier des États-Unis. Pour assurer cet approvisionnement la CIA a installé un centre stratégique en Équateur et a mis sous écoute depuis les frontières voisines tout le territoire mexicain.
L’impérialisme s’est engagé dans la modernisation de ses bases militaires avec des effectifs à mobilité rapide. Dans ce but il a décentralisé le vieux commandement panaméen en installant de nouveaux dispositifs à Vieques, Mantas, Aruba et au Salvador. A travers un réseau de 51 installations sur toute la planète les troupes états-uniennes réalisent des exercices qui visent à déplacer simultanément en quelques jours un effectif de 60 000 soldats dans 100 pays[5]. L’agression contre Cuba, au travers du sabotage terroriste ou d’un plan d’invasion rénové, reste un objectif toujours présent.
Ce cours belliciste s’est accentué après le 11 septembre 2001, car les États-Unis parient sur la réactivation de leur économie en relançant le réarmement et gardent sous la main les plans de guerre contre l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie et la Libye. Avec 5 % de la population mondiale, la principale puissance absorbe 40 % des dépenses militaires totales t vient de lancer la modernisation des sous-marins, la construction de nouveaux avions et la mise à l’épreuve, au travers d’un programme de « guerre des étoiles », des nouvelles applications des technologies de l’information.
La relance militaire constitue la réponse impérialiste à la désintégration des États, des économies et des sociétés périphériques, provoquée par la domination US croissante sur cette périphérie. C’est pour cela que l’actuelle « guerre totale contre le terrorisme » présente autant de similitudes avec les vieilles campagnes coloniales. De nouveau l’ennemi est diabolisé pour justifier les massacres de la population civile sur la ligne du front et les restrictions des droits démocratiques sur les arrières. Mais plus la destruction de l’ennemi « terroriste » avance et plus on assiste à une désarticulation politique et sociale. L’état de guerre généralisé perpétue l’instabilité provoquée par le pillage économique, la balkanisation politique et la destruction sociale de la périphérie[6].
Ces effets sont le plus visibles en Amérique latine et au Moyen-Orient, deux zones d’importance stratégique aux yeux du Pentagone, car elles détiennent les ressources pétrolières et représentent des marchés importants disputés par la concurrence européenne et japonaise. En raison de cette importance stratégique ils sont au centre de la domination impérialiste et souffrent de processus très semblables de désarticulation étatique, d’affaiblissement économique de la classe dominante locale et de perte d’autorité de leurs représentations politiques traditionnelles.
Le fatalisme néolibéral
L’expropriation économique, la recolonisation politique et l’interventionnisme militaire sont les trois piliers de l’impérialisme actuel. Nombre d’analystes se limitent à décrire de manière résignée cette oppression comme un destin inexorable. Certains présentent la fracture entre les « gagnants et les perdants » de la mondialisation comme un « coût du développement », sans expliquer pourquoi ce prix se perpétue à travers les temps et reste toujours à la charge des nations qui l’ont déjà payé par le passé.
Les néolibéraux tendent de pronostiquer que la fin du sous-développement se réalisera dans les pays qui parient sur « l’attrait » du capital étranger et sur la « séduction » des firmes. Mais les nations dépendantes qui se sont engagées sur ce chemin au cours de la décennie passée en ouvrant leurs économies payent aujourd’hui la plus lourde facture des « crises émergentes ». Celles qui se sont le plus engagées dans les privatisations ont le plus perdu sur le marché mondial. En procurant des grandes facilités au capital impérialiste elles ont levé les barrières qui limitaient le pillage de leurs ressources naturelles et elles le payent aujourd’hui par des échanges commerciaux plus asymétriques, par une instabilité financière plus intense et une désarticulation industrielle plus accentuée.
Certains néolibéraux attribuent ces effets à l’application limitée de leurs recommandations, comme si une décennie d’expériences néfastes n’avait pas fourni suffisamment de leçons quant au résultat de leurs recettes. D’autres suggèrent que le sous-développement est une fatalité du fait du tempérament perdant de la population périphérique, du poids de la corruption ou de l’immaturité culturelle des peuples du Tiers-Monde. En général l’argumentation colonialiste a changé de style, mais son contenu reste invariable. Aujourd’hui on ne justifie plus la supériorité du conquérant par sa pureté raciale, mais par ses connaissances supérieures et la qualité de ses comportements.
Transnationalisation impériale
En estimant que la mondialisation dilue les frontières entre le Premier et le Troisième Monde, T. Negri et M. Hardt[7] mettent très sérieusement en cause la théorie de l’impérialisme. Ils considèrent qu’un nouveau capital global agissant au travers de l’ONU, du G8, du FMI et de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) a créé une souveraineté impériale, liant les fractions dominantes du centre et de la périphérie en un même système d’oppression mondiale.
Cette caractérisation suppose l’existence d’une certaine homogénéisation du développement capitaliste, qui semble très difficile à vérifier. Toutes les données concernant l’investissement, l’épargne ou la consommation confirment au contraire l’amplification des différences entre les économies centrales et périphériques et indiquent que les processus d’accumulation et de crise se polarisent également. Non seulement la prospérité nord-américaine de la dernière décennie contraste avec l’écroulement généralisé des nations sous-développées, mais également la crise sociale de la périphérie n’a pour le moment pas d’équivalents en Europe. De même on ne trouvera aucun indice de convergence des statuts de la bourgeoisie vénézuélienne et états-unienne, ni de similitude entre la crise argentine et japonaise. Loin d’uniformiser la reproduction du capital autour d’un horizon commun, la mondialisation approfondit la dualité de ce processus à l’échelle planétaire.
Il est clair que l’association entre les classes dominantes de la périphérie et les grandes firmes est plus étroite, comme il est clair que la pauvreté s’est étendue au cœur du capitalisme avancé. Mais ces processus n’ont transformé aucun pays dépendant en central, ni n’ont provoqué la tiers-mondisation d’aucune puissance centrale. L’entrelacement plus grand entre les classes dominantes coexiste avec la consolidation du gouffre historique qui sépare les pays développés des pays sous-développés. Le capitalisme ne se nivelle pas, pas plus qu’il ne se fracture autour d’un nouvel axe transnational, mais renforce la polarisation apparue au cours du siècle précédent.
Le pouvoir détenu par les capitalistes d’une vingtaine de nations sur les quelques 200 restantes est l’évidence principale de la persistance de l’organisation hiérarchique du marché mondial. Au travers du Conseil de sécurité de l’ONU ils exercent une domination militaire, par le biais de l’OMC ils imposent leur hégémonie commerciale et avec le FMI ils s’assurent le contrôle financier de la planète.
En analysant les liens prédominants entre les classes dominantes, la thèse transnationaliste confond « association » et « partage du pouvoir ». Qu’un secteur des groupes capitalistes de la périphérie accroisse son intégration avec ses alliés du centre ne l’invite pas pour autant au sein de la domination mondiale et ne supprime pas sa faiblesse structurelle. Pendant que les firmes nord-américaines exploitent les travailleurs latino-américains, la bourgeoisie équatorienne ou brésilienne ne participe pas à l’expropriation du prolétariat états-unien. Bien que le saut enregistré dans l’internationalisation de l’économie soit très significatif, les capitaux continuent à opérer dans le cadre de l’ordre impérialiste qui établit une fracture entre le centre et la périphérie.
Classes et États – I
Certains auteurs soutiennent que la transnationalisation du capital s’est étendue aux classes et aux États, créant ainsi une nouvelle coupure transversale de domination globale qui traverserait tous les pays et strates sociales[8].
Cette thèse identifie les procès d’intégration régionale avec la « transnationalisation » sociale et étatique, sans percevoir la différence qualitative qui sépare l’association entre groupes impérialistes et la recolonisation périphérique. L’Union européenne et la ZLÉA, par exemple, ne font pas partie d’une même tendance vers la « transnationalisation » mais sont les expressions de deux procès très différentes. Il ne faut pas confondre une alliance entre secteurs dominants sur le marché mondial et le plan néocolonial d’une puissance donnée.
En réalité seule la haute bureaucratie des pays périphériques appartenant également aux organismes internationaux constitue un groupe social pleinement « transnationalisé ». La loyauté de ce secteur envers le FMI ou l’OMC est plus forte qu’envers les États nationaux qu’ils dirigent et on pourrait considérer que le comportement et les perspectives de ces fonctionnaires anticipe le cours futur des classes dominantes du Tiers-Monde. Mais une telle évolution constitue tout au plus une possibilité et ne représente pas aujourd’hui une réalité vérifiable, en particulier dans les pays de la périphérie supérieure (tel le Brésil ou la Corée du Sud), dont la classe dominante est plus liée aux procès d’accumulation dépendant des marchés intérieurs. La situation est totalement différente dans les petits pays (par exemple d’Amérique centrale), hautement intégrés dans le marché d’une grande puissance. Ces différences démentent l’existence d’un processus général ou uniforme de transnationalisation.
Certains défenseurs de la thèse impériale affirment que le degré d’assemblage effectif entre les classes centrales et périphériques est supérieur à ce qu’indiquent les paramètres obsolètes des comptabilités nationales. Et il est vrai que ces catégories sont déjà insuffisantes pour évaluer le cours actuel de la mondialisation, mais elles complètent d’autres indicateurs indiscutables de la fracture entre le centre et la périphérie. L’approfondissement de ces inégalités se vérifie sur tous les plans de la productivité, des revenus, de la consommation ou de l’accumulation.
Il est d’autre part faux de supposer que « le nouvel État global » a effacé la distinction entre États dominants et recolonisés. Cette différence saute aux yeux lorsqu’on voit l’influence des bourgeoisies du Tiers-Monde sur toutes les décisions de l’ONU, du FMI, de l’OMC ou de la Banque mondiale. Les classes dominantes de la périphérie ne sont pas des victimes du sous-développement et gagnent largement en exploitant les travailleurs de leur pays. Mais cela ne les autorise nullement à s’approcher de la domination mondiale.
La thèse de l’empire ignore ce rôle marginal et méconnaît la persistance de la domination impérialiste dans les secteurs stratégiques de la périphérie. Elle n’enregistre pas que cet assujettissement n’est pas actuellement purement colonial, ni n’est pas centré exclusivement sur l’appropriation des matières premières ou sur la gestion directe du territoire, mais subsiste en tant que mécanisme de contrôle métropolitain des secteurs stratégiques des pays sous-développés[9].
Cette domination n’est pas exercée par un « pouvoir mondial » mystérieux, mais au moyen d’actions militaires et diplomatiques de chaque puissance dans ses aires d’influence principale. Le rôle des États-Unis est plus éblouissant dans le « Plan Colombie » que dans le conflit des Balkans et la tâche de l’Europe est mieux définie dans la crise méditerranéenne que dans le développement de la ZLÉA. Cette spécificité tient aux intérêts que chaque groupe impérialiste canalise dans des actions géopolitiques menées par ses États, ce que les théoriciens de l’empire ne peuvent percevoir.
Retour au capitalisme industriel ?
La majorité des critiques du néolibéralisme de la périphérie reconnaissent que la dépendance reste la cause centrale du sous-développement. Mais ils proposent de dépasser cet assujettissement par la construction d’un « capitalisme différent ». Aujourd’hui il n’est plus question d’un projet strictement national, autonome et centré sur la « substitution des importations » – tel que l’avaient imaginé leurs prédécesseurs de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes) – mais d’un modèle régional, réglé et fondé sur les marchés intérieurs. Ils s’appuient sur les schémas keynésiens pour ériger des « États-providence à la périphérie », soutenus par les transformations institutionnelles (éradiquer la corruption, recomposer la légitimité) et de grands changements commerciaux (freiner l’ouverture), financiers (limiter les payements de la dette) et industriels (réorienter la production vers l’activité locale)[10].
Mais comment se construira un « capitalisme efficace » dans des pays soumis à un drainage systématique de leurs ressources ? Comment se réalisera actuellement un objectif abandonné par la classe dominante dès la moitié du XIXe siècle ? Quels groupes vont donc construire ce système de mesures sociales et de maximalisation du profit ?
Les partisans du nouveau capitalisme périphérique n’apportent pas de réponses à toutes ces questions cruciales. Ils ignorent que les marges pour réaliser leur projet se sont encore réduites avec l’association croissante des classes dominantes périphériques avec le capital métropolitain. Cette liaison est un obstacle à l’accumulation interne, multiplie les fuites des capitaux et rend plus difficile l’application des politiques visant à réactiver la demande interne. Les bourgeoisies qui n’ont pas tenté dans le passé de fonder un capitalisme autonome ont encore moins de capacités à s’approcher d’un tel but actuellement.
Leur attitude pro-impérialiste limite même la viabilité des projets régionaux comme le Mercosur. Cette association chancelle après une décennie d’échecs des tentatives visant à la doter d’institutions économiques et politiques communes. Toutes les propositions d’action concertée (monnaies, organismes, instances d’arbitrage) ont été archivées au fur et à mesure que la crise s’étendait à toute la zone. Cette faillite a été approfondie avec les politiques de « différenciation » tentées par tous les gouvernements pour démontrer au FMI qu’ils « ne sont pas irresponsables ». La fracture régionale répète ainsi l’histoire de la balkanisation latino-américaine et confirme l’incapacité des bourgeoisies locales de se doter de politiques d’accumulation autocentrées.
Nombre d’auteurs expliquent ce résultat par le caractère traditionnellement « rentier » de la bourgeoisie dans la région et en conséquence par l’absence d’entrepreneurs disposés à investir ou à prendre des risques. Mais alors on doit conclure que cette absence d’impulsions pour une accumulation soutenue s’est renforcée. Pourquoi donc parier sur un projet dépourvu de sujet ? Quel peut être le sens de construire un capitalisme sans capitalistes intéressés par la concurrence et l’innovation ?
Proposer aux travailleurs qu’ils se substituent à la classe dominante dans cette tâche équivaut à les inciter à fabriquer les chaînes de leur propre exploitation. L’espoir que d’autres secteurs sociaux remplacent les entrepreneurs dans la tâche d’achever un capitalisme prospère (bureaucraties, classe moyenne) n’a pas plus de fondements ni de précédents empiriques.
Ceux qui souhaitent ériger « un autre capitalisme » devraient se rappeler que le modèle qui prévaut dans chaque pays est le produit de certaines conditions historiques et non du libre choix de ses gérants. Il y a une dynamique objective de ce procès qui explique pourquoi le développement du centre accentue le sous-développement de la périphérie. Il est évident que tous les membres des nations périphériques auraient désiré un destin de puissance développée, mais sur le marché mondial il y a peu d’espace pour les groupes dominants et beaucoup pour les économies dépendantes. C’est pourquoi les « économies de marché qui réussissent » à la périphérie sont exceptionnelles ou transitoires. Pour sortir du sous-développement il ne suffit pas de politiques anti-libérales. Il faut, de plus, s’attacher à l’action anti-impérialiste en construisant une société socialiste.
Trois modèles en discussion
La vigueur de la théorie classique de l’impérialisme pour expliquer les relations de domination entre le centre et la périphérie est accablante. Mais son actualité pour clarifier les rapports contemporains entre les grandes puissances est plus sujette à controverses. Dans ce second sens le concept de l’impérialisme ne vise plus à éclaircir les causes du retard structurel des pays sous-développés, mais prétend clarifier le type d’alliances et de rivalités prédominantes au sein du camp impérialiste. Divers auteurs[11] ont remarqué l’importance de la distinction entre les deux significations, signalant que les modalités de domination périphérique et celles des rapports entre les puissances suivaient des cours historiquement différents.
La distinction entre la phase impérialiste et la phase libre-échangiste du capitalisme, proposée par les théoriciens marxistes du début du XXe siècle, est le point de départ traditionnel pour analyser ce second aspect. Avec cette distinction ils cherchaient à caractériser une nouvelle étape du système, caractérisée par la répartition des marchés entre les puissances au travers de la guerre.
Lénine avait attribué cette tendance au conflit inter-impérialiste ouvert à la place centrale des monopoles et du capital financier, Rosa Luxembourg à la nécessité de chercher des sorties externes au rétrécissement de la demande, Boukharine au choc entre les intérêts expansionnistes et protectionnistes des grandes firmes et Trotsky à l’aggravation des inégalités économiques générée par l’accumulation elle-même. Ces interprétations prétendaient expliquer pourquoi la concurrence entre les groupes monopolistes qui a commencé par la confrontation commerciale et l’établissement des zones monétaires avait débouché sur un conflit sanglant.
Cette caractérisation sembla désactualisée après la seconde guerre mondiale, lorsque la perspective de conflits armés entre les puissances tendit à disparaître. L’hypothèse d’un tel choc était écartée ou du moins rendue très improbable au fur et à mesure que la concurrence économique entre les diverses firmes et leurs États s’était concentrée dans des rivalités plus continentales. Ces changements ont modifié les termes de l’analyse du second aspect de la théorie de l’impérialisme.
Au cours des années 1970, Ernest Mandel[12] a synthétisé la nouvelle situation au travers d’une analyse de trois modèles possibles de l’évolution de l’impérialisme : la concurrence inter-impérialiste, le transnationalisme (originellement nommé « ultra-impérialisme ») et le superimpérialisme. Estimant que le trait dominant de l’accumulation est la rivalité croissante, il attribuait à la première alternative la plus grande probabilité. Il pronostiquait aussi que la concurrence intercontinentale allait s’approfondir avec la formation d’alliance régionales.
L’économiste belge avait mis en question la seconde perspective, anticipée par Kautsky et défendue par les auteurs qui envisageaient la constitution d’associations transnationales libérées des origines géographiques de leurs composantes[13]. Mandel considérait que bien que l’internationalisation des entreprises multinationales affaiblisse leurs racines nationales, une grande succession de fusions entre propriétaires de firmes d’origines différentes n’était pas probable. Tenant compte du caractère concurrentiel de la reproduction capitaliste, il estimait encore moins faisable le soutien d’un tel processus par la constitution « d’États mondiaux ». De plus, il considérait très improbable que les firmes soient indifférentes envers la conjoncture économique dans leurs pays d’origine et qu’en conséquence elles puissent se passer des politiques anti-cycliques nationales, ce qu’une intégration de ce type supposerait. Il a donc écarté ce scénario, arguant que le développement inégal du capitalisme et ses crises créaient des tensions incompatibles avec la survie à terme d’alliances transnationales.
La troisième alternative, superimpérialiste, supposait la consolidation de la domination d’une puissance sur les autres et la soumission des perdants à des rapports similaires à ceux en vigueur avec les pays périphériques. Mandel considérait dans ce cas que la suprématie atteinte par les États-Unis ne mettait pas pour autant l’Europe et le Japon au même niveau de dépendance que les nations sous-développées. Il soulignait que l’hégémonie politique et militaire nord-américaine n’impliquait pas pour autant sa suprématie économique structurelle à long terme.
Comment ces trois perspectives peuvent-elles être analysées aujourd’hui ? Quelles sont les tendances qui prévalent au début du XXIe siècle : la concurrence inter-impérialiste, l’ultra-impérialisme ou le superimpérialisme ?
Les changements de la concurrence inter-impérialiste
L’interprétation initiale de la thèse de l’impérialisme en tant qu’étape de la rivalité guerrière entre les puissances n’a pratiquement plus de partisans. Il existe par contre une version affaiblie de cette vision, centrée actuellement non sur le dénouement militaire mais sur l’analyse de la concurrence économique.
Certains analystes soulignent l’intervention active des États impérialistes pour étayer cette concurrence et mettent en valeur la vigueur des politiques néo-mercantilistes employées pour affaiblir les firmes rivales[14]. D’autres auteurs remarquent l’homogénéité de l’origine des propriétaires des firmes et le caractère prioritaire de leurs marchés internes dans leur activité[15]. Cet assujettissement des firmes à leur base nationale permet d’expliquer, de l’avis de certaines études, pourquoi la tendance à la formation de blocs régionaux est plus significative que la mondialisation commerciale, financière ou productive[16]. Le fait que la croissance nord-américaine de la dernière décennie se soit réalisée aux dépens de leurs rivaux est également interprété comme l’expression du retour à la concurrence inter-impérialiste. Ces manières de voir coïncident en présentant la mondialisation comme un processus cyclique de phases d’expansion et de contraction du niveau d’internationalisation de l’économie[17].
Cette variété d’arguments contribue à réfuter la mythologie néolibérale sur « la fin des États », la « disparition des frontières » et la « mobilité sans limites du travail ». La thèse de la concurrence inter-impérialiste démontre comment cette rivalité limite les délocalisations industrielles, la libéralisation financière et l’ouverture commerciale, mettant en relief le fait que la concurrence entre blocs exige une certaine stabilité géographique des investissements, restreignant les mouvements des capitaux et les politiques commerciales de chacun des États.
Mais tout en démentant de manière convaincante les simplifications mondialisantes, ces contributions ne parviennent pas à mettre en lumière les différences qui existent entre le contexte actuel et celui en vigueur au début du XXe siècle. Il est certain que la concurrence inter-impérialiste continue à déterminer le cours de l’accumulation. Mais pourquoi la concurrence entre les puissances ne conduit-elle pas actuellement à des conflagrations guerrières directes ? La même concurrence se déroule aujourd’hui dans le cadre d’une forte solidarité capitaliste étant donné que les États-Unis, l’Europe et le Japon partagent les mêmes objectifs de l’OTAN et agissent dans un bloc commun d’États dominants face aux divers conflits militaires.
On pourrait l’interpréter en disant que la portée mutuellement destructive des armes nucléaires a changé le caractère des guerres, neutralisant les conflits ouverts. Mais un tel raisonnement explique seulement les modalités de la dissuasion du choc entre les États-Unis et l’ex-URSS, sans éclaircir le fait que les trois rivaux impérialistes évitent également un tel affrontement. De même s’il est certain que la « lutte contre le communisme » avait dilué la concurrence entre puissances capitalistes, ce conflit n’a pas changé de nature depuis la fin de la « guerre froide ».
En réalité le choc entre les puissances a été médiatisé par le saut dans la mondialisation. L’activité capitaliste internationale tend à s’entrelacer avec la croissance du commerce qui dépasse celle de la production, la formation d’un marché financier planétaire et la gestion mondialisée des affaires par les 51 firmes qui donnent le ton parmi les 100 plus grandes entreprises mondiales.
La stratégie productive de ces firmes se fonde sur la combinaison des trois options : approvisionnement des facteurs de production, production intégrale pour le marché local et fragmentation de l’assemblage des parts fabriquées dans différents pays. Cette mixture de la production horizontale (récréant dans chaque région le modèle du pays d’origine) et de la production verticale (division du processus de production en accord avec un plan mondial de spécialisation) implique un niveau d’association plus important entre les capitaux internationalisés[18]. Les firmes qui définissent leur stratégie à l’échelle mondiale tendent par ailleurs à prédominer sur les moins internationalisées, comme le démontre, par exemple, le poids des firmes du premier type dans les fusions de la dernière décennie[19].
Cette avancée de la mondialisation explique aussi pourquoi les tendances protectionnistes n’atteignent pas actuellement la dimension des années 1930 et ne débouchent pas sur la formation de blocs complètement fermés. Le néo-mercantilisme coexiste avec la pression opposée en faveur de la libéralisation commerciale, car l’échange interne entre les entreprises localisées dans différents pays s’est accru notablement. Cela n’apparaît pas clairement dans les statistiques courantes, car les opérations entre firmes internationalisées réalisées sur un marché national sont généralement comptabilisées en tant que transactions internes à ce pays[20].
Cette avancée de la mondialisation qui affaiblit la concurrence traditionnelle entre les puissances impérialistes exprime une tendance dominante et non seulement un va-et-vient cyclique du capitalisme. Les périodes de retrait national ou régional sont des mouvements contrariant cette impulsion centrale d’amplification du rayon d’action géographique du capital. Le frein à cette tendance provient des déséquilibres générés par l’expansion mondiale et non de la pendularité structurelle de ce processus.
En dernière instance la pression mondialisatrice est la force dominante car elle reflète l’action croissante de la loi de la valeur à l’échelle internationale. Plus les entreprises transnationales prennent de l’importance et plus est grand le champ de la valorisation du capital à l’échelle globale au détriment des aires exclusivement nationales. Cette influence exprime la tendance à la formation des prix mondiaux qui représentent de nouveaux étalons du temps de travail socialement nécessaire pour la production des marchandises[21].
La gestion internationalisée des affaires érode la vigueur du modèle classique de la concurrence inter-impérialiste. Mais cette transformation n’est pas perceptible si l’on observe la mondialisation en cours comme un « processus aussi vieux que le capitalisme lui-même ». Cette attitude tend à ignorer les différences qualitatives qui séparent chaque étape de ce processus et cette distinction est vitale si l’on veut comprendre pourquoi l’internationalisation de la Compagnie des Indes du XVIe siècle, par exemple, a peu de choses en commun avec la fabrication mondialement segmentée de General Motors.
La rivalité contemporaine entre les firmes se déroule dans un cadre d’activité plus concerté. C’est au sein des organismes mondiaux d’activité politique (ONU, G8), économique (FMI, BM, OMC) ou militaire (OTAN) que cette activité commune se négocie. A la différence du passé, l’activité traditionnelle des blocs concurrents coexiste avec l’influence croissante de ces institutions, qui agissent en écho des intérêts des firmes internationalisées.
C’est pourquoi le remodelage contemporain des territoires, des législations et des marchés s’accomplit dans ces hautes instances et non au moyen de la guerre entre puissances. S’il est évident que la nouvelle configuration impérialiste se nourrit de massacres guerriers systématiques, la scène de ces massacres est périphérique. La multiplication de ces conflits ne conduit pas à des guerres inter-impérialistes et ce changement est dû au saut qualitatif de la mondialisation, que le vieux modèle de concurrence inter-impérialiste ne permet pas de voir ni d’expliquer.
L’exagération transnationaliste
Certains défenseurs de l’hypothèse transnationaliste estiment que les firmes actuelles opèrent déjà de manière déconnectée de leur pays d’origine[22]. D’autres[23] attribuent l’apparition du « capital mondial (global) » à l’informatisation de l’économie, à la substitution de l’activité industrielle par l’action des réseaux et à l’expansion du travail immatériel. Ils en concluent que cette conjonction élimine la centralité du processus de production, favorise la gestation d’un marché planétaire et renforce « l’extra-territorialité de l’empire ».
Cette vision tend à interpréter les tendances embryonnaires comme des faits avérés et à déduire de l’association croissante entre les capitaux internationaux un niveau d’intégration qui ne se vérifie aucunement. La transnationalisation des capitaux ne constitue actuellement que le début d’un processus de transformation structurelle, qui dans le passé avait nécessité des siècles. Aucune évidence de la dernière décennie ne suggère la présence d’un raccourcissement si radical du rythme historique du capitalisme[24].
Le transnationalisme exagère la montée du capital mondial, reflétant une certaine pression médiatique pour construire des nouveautés théoriques au rythme de la consommation journalistique. Il suffit d’observer le paramètre indiqué par Mandel – la sensibilité des firmes mondialisées à chaque conjoncture économique nationale – pour invalider la thèse ultra-impérialiste. Les quatre traits centraux du cours économique des années 1990 – croissance nord-américaine, stagnation européenne, dépression japonaise et écroulement de la périphérie – illustrent l’inexistence d’une évolution commune du « capital mondialisé ». Les profits et les pertes de chaque groupe de firmes ont dépendu de leur situation dans chaque région. Que la croissance états-unienne ait été soutenue par la chute de leurs rivaux confirme l’existence d’un bloc gagnant différencié des firmes européennes et japonaises.
Certaines formes d’association mondiale commencent à émerger et pour la première fois des alliances structurelles transatlantiques et transpacifiques ont vu le jour entre firmes européennes, nord-américaines et nipponnes. Ce type de connexions affaiblit la cohésion de l’Union européenne, oblige les États-Unis à fixer leur politique économique en fonction du financement externe et pousse le Japon à poursuivre l’ouverture à contre-cúur de ses marchés. Mais ces liens n’éliminent pas l’existence de blocs concurrents structurés autour des vieux núuds étatiques.
Dans ses variantes modérées le transnationalisme ignore que l’ALENA (Accord de libre échange nord-américain), l’Union européenne ou l’ASEAN expriment ces pôles rivaux. Mais dans la variante extrême de Negri cette conception propage, qui plus est, toute sorte de fantaisies au sujet du « décentrage » géographique, méconnaissant que l’activité stratégique des firmes continue à être basée aux États-Unis, en Europe ou au Japon. La liaison mondiale a créé un nouveau cadre commun pour la concurrence, sans éliminer pour autant les ciments territoriaux de cette compétition.
Il est d’autre part certain que la transformation informatique favorise l’entrelacement mondial du capital, car elle tend à amalgamer l’activité financière, accélère les transactions commerciales et accentue la réorganisation du procès du travail. Mais la révolution technologique renforce également la concurrence et la nécessité d’alliances régionales entre les firmes qui se disputent les marchés. « L’économie de réseaux » non seulement unifie mais aussi accentue la compétence nationale. L’application des nouvelles technologies de l’information est guidée par les paramètres capitalistes de profitabilité, de concurrence et d’exploitation qui empêchent les flux indiscriminés d’investissements à l’échelle mondiale ou des mouvements sans restriction de la main-d’œuvre. Leur localisation dépend des conditions d’accumulation et de valorisation du capital, qui obligent les 200 firmes mondialisées à concentrer leurs centres opérationnels dans une petite poignée de pays centraux.
Classes et États – II
Certains considèrent que la transnationalisation du capital a donné lieu à un processus équivalent sur le terrain des classes dominantes et des États, mentionnant comme des évidences de ce changement la montée des investissements étrangers, l’internationalisation du travail et le poids des organismes mondiaux[25]. Negri[26] considère même établie la formation d’un nouvel ordre juridique – inspiré de la Constitution américaine – surgi des transferts de souveraineté au centre impérial de l’ONU.
Un tel schéma est totalement forcé car il n’existe aucun indice d’une mondialisation complète de la classe dominante. Quelles que soient ses divisions internes, la bourgeoisie nord-américaine constitue un regroupement clairement différencié de ses homologues japonais ou européen. Ces classes agissent au travers des gouvernements, des institutions et des États distincts, défendant des politiques douanières, fiscales, financières et monétaires propres en fonction de leurs intérêts spécifiques. Même l’intégration de certaines bourgeoisies autour d’un État supranational – comme dans le cas de l’Europe – ne convertit pas leurs membres en « capitalistes mondiaux », car ils ne sont pas liés de la même manière avec leurs concurrents extra-continentaux dans un même État.
L’éventuelle transnationalisation de la couche gestionnaire de certaines firmes et des couches dirigeantes des organismes internationaux ne témoigne pas plus du surgissement d’une classe dominante mondiale. Ce staff de fonctionnaires cosmopolites forme une bureaucratie ayant de hautes responsabilités, mais ne constitue pas une classe[27]. Le principal paramètre pour évaluer l’existence d’une telle formation sociale – la propriété des moyens de production – indique clairement une fragmentation géographique de la bourgeoisie suivant la vieille structure de nations. Les propriétaires de chaque entreprise transnationale sont nord-américains, européens ou japonais et non « citoyens du monde ». Les actes de propriété des 500 firmes les plus importantes confirment cette connexion nationale : 48 % d’entre elles appartiennent à des capitalistes nord-américains, 30 % aux européens et 10 % aux japonais[28].
De plus, le FMI, l’OMC ou le WEF (World Economic Forum, Forum économique mondial) ne sont pas des structures étatiques homogènes, mais des centres de négociation des diverses firmes qui défendent à travers leurs représentants étatiques diverses conceptions d’accords commerciaux et de traités d’investissements. Les firmes s’appuient sur ces structures pour lutter contre leurs rivaux. Lorsque, par exemple, Boeing et Airbus se disputent le marché aéronautique mondial, ils ont plus recours aux lobbystes des États-Unis et de l’Europe qu’aux fonctionnaires de l’OMC. Dans la concurrence inter-impérialiste, ce sont des États ou des blocs régionaux qui s’entrechoquent et non des enlacements inter-firmes du type Toyota-General Motors contre Chrysler-Daimler Benz.
Le rôle privilégié que maintiennent les États démontre que les principales fonctions capitalistes de cette institution (garantir le droit de propriété, préparer les conditions de l’extraction et de la réalisation de la plus-value, assurer la coercition et le consensus) ne peuvent se mondialiser aussi rapidement que les affaires[29]. Même si un État transnational pouvait trouver maintenant les ressources, l’expérience et le personnel suffisant pour remplir pleinement, par exemple, les fonctions répressives, il lui manquerait l’autorité que chaque bourgeoisie a conquise dans sa nation à travers les siècles pour exercer cette tâche.
Negri ignore ces contradictions en postulant l’existence d’une nouvelle souveraineté impériale de l’ONU. Il déduit cette capacité d’une analyse juridique restrictive et totalement déconnectée de la logique du fonctionnement du capital. Mais ce qui est le plus surprenant c’est sa présentation candide des Nations Unis comme un système oppresseur au sommet (Conseil de sécurité) et démocratique à la base (Assemblée générale), oubliant que cette institution – à tous ses niveaux – agit comme un pilier de l’ordre impérialiste actuel. Cette bienveillance s’appuie, de sa part, sur un regard apologétique de la Constitution nord-américaine, qui méconnaît comment l’élite de ce pays a construit un système politique d’oppression, médié par un mécanisme de contre-pouvoirs destiné à déjouer le mandat populaire[30]. Cette vision de la souveraineté impériale pousse à l’extrême les erreurs du point de vue transnationaliste, car elle exagère sa principale faiblesse : la méconnaissance du fait que la plus grande intégration mondiale du capital se réalise dans le cadre des États et des classes dominantes existantes ou régionalisées.
Les erreurs du « superimpérialisme »
La caractérisation de la domination absolue des États-Unis est partiellement implicite dans la thèse de l’empire. Bien que Negri[31] souligne que l’empire « manque de centre territorial », il explique aussi que toutes les institutions de la nouvelle étape dérivent d’antécédents états-uniens et s’érigent en opposition à la décadence européenne.
Cette interprétation converge avec toutes les caractérisations qui identifient le leadership nord-américain actuel avec la « prédominance d’une seule puissance », « l’unipolarité du monde » ou la consolidation de « l’ère états-unienne ». Ces visions actualisent la théorie du superimpérialisme, qui postule l’hégémonie totale d’un rival sur ses concurrents.
Le support empirique de cette thèse surgit de l’avancée nord-américaine retentissante au cours de la dernière décennie, en particulier sur le terrain politique et militaire. Pendant que l’action des Nations Unies s’est alignée sur les priorités des États-Unis, la présence du gendarme nord-américain s’est étendue à tous les recoins de la planète, à travers les accords avec la Russie et l’intervention dans les régions – telle l’Asie centrale ou l’Europe orientale – qui étaient jusque là hors de son contrôle.
Les États-Unis détiennent une claire supériorité technologique et productive face à leurs rivaux. Cette suprématie s’est vérifiée dans la récession mondiale actuelle, car le niveau d’activité économique mondiale présente un degré extraordinaire de dépendance envers le cycle nord-américain.
Les États-Unis ont repris au cours des années 1990 le leadership que détenait l’Europe au cours des années 1970 et le Japon au cours des années 1980. Depuis le gouvernement Reagan la première puissance exploite les avantages que lui donne sa suprématie militaire pour financer sa reconversion économique avec les ressources du reste du monde. En certaines période elle fait baisser le dollar (pour relancer les exportations) et en d’autres elle favorise l’enchérissement de sa devise (pour absorber les capitaux extérieurs). De même elle impulse alternativement la libéralisation commerciale et le protectionnisme dans les secteurs où elle détient respectivement une supériorité ou une infériorité concurrentielle. Cette récupération de l’hégémonie s’explique à la fois par l’implantation internationale des firmes nord-américaines et parce que le capitalisme nord-américain s’est orienté depuis les siècle passés vers la pénétration des marchés intérieurs de ses concurrents.
Néanmoins aucun de ces faits ne prouve l’existence du superimpérialisme tant que la suprématie nord-américaine n’a pas conduit à la soumission de l’Europe et du Japon. Les conflits qui opposent les grandes puissances ont l’envergure de conflits inter-impérialistes et ne sont pas comparables aux chocs entre pays centraux et périphériques. Dans les différends commerciaux avec les États-Unis la France ne se comporte pas comme l’Argentine, au sein du FMI le Japon ne mendie pas de crédits mais se comporte en créditeur et l’Allemagne est le coauteur et non la victime des résolutions du G8.
Les relations entre les États-Unis et leurs concurrents ne présentent pas les traits d’une domination impériale. La primauté nord-américaine dans les relations géopolitiques est indiscutable, mais « le lien transatlantique » n’implique pas la subordination de l’Europe et « l’axe pacifique » ne se caractérise pas par l’assujettissement du Japon à chaque exigence des États-Unis[32].
La thèse superimpérialiste exagère le leadership nord-américain et méconnaît les contradictions de ce leadership. Gowan[33] juge justement que la forme de domination « suprématiste » (au détriment de leurs rivaux) et non « hégémonique » (partageant les fruits du pouvoir) des États-Unis sape leur leadership. La force des États-Unis se construit, de plus, à travers les entrelacements et non – comme dans le passé – à travers l’écrasement armé de leurs concurrents. Et cette modalité oblige à forger des alliances qui, ne surgissant pas d’une solution militaire, sont plus fragiles. Le caractère élitiste de l’impérialisme actuel, c’est-à-dire privé du soutien massif, chauvin et patriotique du début du XXe siècle, érode également la supériorité de la première puissance.
La suprématie états-unienne s’exerce en pratique à travers les guerres dans les zones périphériques les plus chaudes de la planète. Pourtant ce bellicisme même affaiblit le cours superimpérialiste car ces agressions systématiques renforcent l’instabilité. La nouvelle doctrine de la « guerre sans fin » qu’applique l’administration Bush approfondit cette perte de contrôle, car elle rompt avec la tradition d’affrontements limités et sujets à une certaine proportionnalité entre les moyens employés et les fins poursuivies. Dans les campagnes contre l’Irak, le « trafic des stupéfiants » ou le « terrorisme » les États-Unis cherchent à créer un climat de peur permanente par des agressions sans durée délimitée ni objectifs précis[34].
Ce type d’action impérialiste non seulement disloque les nations, désintègre les États et détruit les sociétés mais de plus il génère ce type « d’effet boomerang » que les États-Unis ont expérimenté dans leur propre chair avec les talibans. La « guerre totale » sans scrupules juridiques déstabilise « l’ordre mondial » et détériore l’autorité de ses auteurs. C’est pour cela que la perspective du superimpérialisme ne s’est pas réalisée et est menacée par l’action de domination des États-Unis eux-mêmes.
Une combinaison des trois modèles
Aucun des trois modèles alternatifs à celui de l’impérialisme classique ne permet d’éclairer les rapports actuellement prédominants entre les grandes puissances. La thèse de le concurrence inter-impérialiste n’explique pas les raisons qui inhibent la confrontation militaire et ignore l’avancée de l’intégration des capitaux enregistrée. L’orientation transnationaliste méconnaît que les rivalités entre les firmes continuent à être médiées par l’action des classes et des États nationaux ou régionaux. La vision superimpérialiste ne tient pas compte de l’absence de relations de subordination entre les économies développées comparables à celles en vigueur avec la périphérie.
Ces insuffisances conduisent à penser que la rivalité, l’intégration et l’hégémonie contemporaines tendent à se combiner en un nouveau type de liens, plus complexes que ceux imaginés dans les années 1970. Étudier cet enchevêtrement est plus utile que se demander lequel des trois modèles conçus est prévalent en ce moment. Au cours des dernières décennies l’avancée de la mondialisation a stimulé l’association transnationale des capitaux et a aussi conduit une puissance à assumer le leadership pour maintenir la cohésion du système[35].
Reconnaître cette combinaison permet de comprendre le caractère intermédiaire de la situation actuelle. Pour le moment ni la rivalité, ni l’intégration, ni l’hégémonie ne prédominent pleinement, mais on observe un changement des rapports de forces à l’intérieur de chaque puissance, qui favorise les secteurs transnationalisés au détriment des secteurs nationaux au sein des États et des classes existantes[36]. Cette incertitude de positions diffère d’un pays à l’autre (au Canada ou aux Pays-Bas la fraction mondialisée est sans doute plus forte qu’aux États-Unis ou en Allemagne) et d’un secteur à l’autre (dans l’industrie automobile la transnationalisation est plus grande que dans la sidérurgie). Le capital s’internationalise alors que les vieux États nationaux continuent à garantir la reproduction générale du système.
La nouvelle combinaison de rivalité, intégration et suprématie impérialistes fait partie des grandes transformations récentes du capitalisme. Elle s’inscrit dans le cadre d’une étape caractérisée par l’offensive du capital contre le travail (hausse du chômage, de la pauvreté et la flexibilisation du travail), par son expansion sectorielle (privatisations) et géographique (vers les ex-« pays socialistes »), par la révolution informatique et la dérégulation financière.
Ces processus ont altéré le fonctionnement du capitalisme et multiplié les déséquilibres du système en affaiblissant la régulation étatique des cycles économiques et en stimulant la rivalité entre les firmes. Les vieilles institutions politiques perdent de l’autorité au fur et à mesure qu’une partie du pouvoir réel se déplace vers les nouveaux organismes mondialisés, qui manquent à la fois de légitimité et de soutien populaire. De plus, l’escalade militaire impérialiste provoque des effondrements dans les régions périphériques, approfondissant l’instabilité mondiale[37].
Ces contradictions sont caractéristiques du capitalisme et ne présentent nullement ces similitudes avec l’empire romain que postulent de nombreux auteurs. De telles analogies soulignent l’identité des mécanismes d’inclusion ou d’exclusion des groupes dominants dans le centre impérial[38], la similitude institutionnelle (Monarchie-Pentagone, Aristocratie-Firmes, Démocratie-Assemblée de l’ONU)[39] ou la décadence commune des deux systèmes (la chute de Rome-« le pourrissement » du régime actuel)[40].
Mais le capitalisme contemporain n’est pas érodé par une expansion territoriale démesurée, il n’est pas corrodé par le ralentissement agricole, l’improductivité du travail ou le gaspillage de la caste dominante. A la différence du mode de production esclavagiste, le capitalisme ne génère pas la paralysie des forces productives mais leur développement incontrôlé et sujet à des crises cycliques.
Les contradictions dérivées de l’accumulation, de l’extraction de la plus-value, de la valorisation du capital ou de la réalisation de la valeur conduisent à des crises mais non à l’agonie de l’Antiquité. Mais la différence cruciale réside dans le rôle joué par les sujets sociaux avec des capacités de transformation historique qui n’existaient pas au cours de la décadence romaine.
Les domaines de la résistance populaire
Les travailleurs, exploités et opprimés de toute la planète, sont les adversaires de l’impérialisme du XXIe siècle. Leur action a modifié au cours des dernières années le climat de triomphalisme néolibéral qui prévalait dans l’élite de la classe dominante depuis le début des années 1990. Un sentiment de désorientation a commencé à s’installer parmi « l’establishment » mondialisateur, comme le prouvent les critiques contre le cours économique actuel formulées par les papes du néolibéralisme.
Soros, Stiglitz ou Sachs écrivent aujourd’hui des livres pour dénoncer l’absence du contrôle des marchés, les excès de l’austérité ou les inconvénients des ajustements extrêmes. Leurs caractérisations sont aussi superficielles que le furent les éloges débordants qu’ils adressaient hier au capitalisme. Ils n’apportent aucune réflexion valable mais témoignent du malaise apparu aux sommet de l’impérialisme devant le désastre social créé au cours des années de l’euphorie privatisatrice.
Ces mises en cause du « capitalisme sauvage » reflètent les avancées de la résistance populaire, parce que les maîtres du monde ne peuvent plus conférer en paix. Leurs rencontres dans les points reculés, au cours de réunions retranchées, doivent toujours affronter les manifestations du mouvement altermondialiste (mouvement pour une autre mondialisation, appelé aussi mouvement antimondialisation libérale). Ils ne peuvent s’isoler à Davos, fuir la scandaleuse répression de Gênes, ni ignorer les défis de Porto Alegre. Il n’y a plus de « pensée unique » ni de « seule alternative » et avec le développement des questionnements populaires décroît l’image de la toute-puissance impérialiste.
Les participants du mouvement altermondialiste sont les principaux artificiers de ce changement. Cette résistance a déjà dépassé l’impact médiatique provoqué par le boycott des sommets de présidents, chefs d’entreprises et banquiers. Seattle marque « un avant et un après » pour le développement de cette lutte, qui n’a pas été abattue après le 11 septembre [2001]. Les prévisions d’un grand reflux ont été rapidement démenties et l’intimidation « anti-terroriste » n’a pas fait vaciller les rangs des manifestants. Entre octobre et décembre de l’année passée 250 000 jeunes se sont mobilisés à Pérouse, 100 000 à Rome, 75 000 à Londres et 350 000 à Madrid. En février la seconde rencontre du Forum social mondial à Porto Alegre a surpassé la représentativité des réunions antérieures et peu après une marche à Barcelone a réuni 300 000 manifestants. La mobilisation la plus récente, à Séville contre « l’Europe du capital », a réuni 100 000 personnes. Ces événements confirment la vitalité d’un mouvement qui tend à incorporer à son action la lutte contre le militarisme. Un mouvement anti-guerre commence à pointer, sur les traces des luttes contre les crimes de guerre en Algérie dans les années 1960 et au Viêt-Nam dans les années 1970[41].
La classe ouvrière se profile comme l’autre adversaire de l’impérialisme, tant par sa convergence avec le mouvement altermondialiste (très significative à Seattle) que par le renouveau des luttes revendicatives. L’étape du reflux sévère inauguré par les défaites des années 1980 (FIAT-Italie en 1980, mineurs britanniques en 1984-85) tend à se renverser depuis le milieu des années 1990, rythmé par d’importantes mobilisations en Europe (grèves en France et en Allemagne) et dans la périphérie la plus industrialisée (Corée, Afrique du Sud, Brésil). L’extraordinaire mobilisation de millions de travailleurs italiens en mai dernier et la puissante grève générale en Espagne confirment cette remontée de la classe ouvrière.
Les soulèvements populaires dans la périphérie représentent le troisième défi pour l’impérialisme. Les exemples de cette résistance en Amérique du Sud sont incontestables, à commencer par l’extension significative de la rébellion argentine. Au fur et à mesure que la « contagion économique » irradie les nations voisines (fuites des capitaux, faillites bancaires et baisse des investissements), se répand également la « contagion politique » avec les manifestations et concerts de casseroles en Uruguay, les grandes mobilisations paysannes au Paraguay et les soulèvements massifs contre les privatisations au Pérou.
D’autre part l’intervention populaire contre le coup d’État au Venezuela marque le début d’une réaction massive contre la politique pro-dictatoriale promue par l’impérialisme nord-américain. Ce succès des opprimés constitue seulement le premier round d’un affrontement qui connaîtra de nombreux épisodes car le Département d’État a entamé une escalade de provocations contre tout gouvernement, tout peuple et toute politique qui ne se plie pas servilement devant ses exigences.
A l’échelle mondiale le cas le plus dramatique de ces agressions est le massacre des Palestiniens. Le niveau de la sauvagerie impérialiste au Moyen-Orient rappelle les grandes barbaries de l’histoire coloniale et c’est pourquoi la résistance populaire dans cette région est emblématique et réveille la solidarité de tous les peuples de la planète.
Le mouvement altermondialiste, la remontée de la classe ouvrière et les rébellions à la périphérie démontrent les limites de l’offensive du capital. Au bout d’une décennie de sauvagerie sociale les rapports de forces commencent à changer et ce retournement ouvre un nouvel espace idéologique pour la pensée critique qui rendra attractives les idées du socialisme. Au fur et à mesure que le néolibéralisme perd de son prestige, le socialisme cesse d’être un mot interdit et le marxisme n’est déjà plus regardé comme une pensée archaïque. Cette renaissance pose à nouveau à l’ordre du jour diverses questions de la stratégie socialiste.
Quatre défis politiques
Un nouvel internationalisme a fait irruption avec les marches cosmopolites en faveur d’une « autre mondialisation ». Ces mobilisations sont marquées par une forte remise en question des principes de compétence, d’individualisme et du profit et ont déjà généré une avancée de la conscience anticapitaliste, qui se reflète dans certains mots d’ordre de ces marches (« le monde n’est pas une marchandise »). Contribuer à transformer cette critique embryonnaire du capital en une proposition émancipatrice est la première tâche qui incombe aux socialistes.
Cette alternative est déjà débattue dans les forums mondiaux, lorsqu’on analyse les perspectives sociales de l’internationalisme spontané du mouvement. Dans ce mouvement prévaut une opposition conséquente envers les réactions fondamentalistes contre les atrocités impérialistes et un rejet similaire des confrontations ethniques ou religieuses entre les peuples exploités, que provoque la droite. Cette solidarité internationaliste est incompatible avec quelque projet capitaliste que ce soit, car un tel projet ne peut que promouvoir l’exploitation et de ce fait stimuler les affrontements nationaux. Seul le socialisme offre une perspective de communauté réelle entre les travailleurs du monde.
Le réveil généralisé de la lutte anti-impérialiste à la périphérie représente le second défi pour les socialistes. Certains théoriciens ignorent cette irruption, car ils ont décrété la fin du nationalisme et célèbrent cette disparition sans pouvoir distinguer entre les courants réactionnaires et progressistes de ce mouvement. Ces auteurs déclarent, de plus, l’inefficacité de toute tactique, stratégie ou priorité politique envers les nouvelles « luttes horizontales » car, selon eux, il s’agit de combats entre le capital et le travail sans aucune forme de médiation[42].
Cette vision constitue une simplification grossière de la lutte nationale, car elle met dans le même sac les talibans et les Palestiniens, les exécuteurs des massacres ethniques en Afrique ou dans les Balkans et les artisans des guerres de libération des dernières décennies (Cuba, Viêt-Nam, Algérie). Elle ne permet pas de distinguer où se situe le progrès et en quel endroit se situe la réaction. Pour cette raison elle ne comprend pas pourquoi les peuples du Tiers-Monde luttent pour l’abolition de la dette extérieure, la nationalisation des ressources énergétiques ou la protection tarifaire de la production locale.
Définir les tactiques et concevoir les stratégies spécifiques est d’autant plus important que les revendications nationales portées par les exploités de la périphérie n’ont pas de signification pour les travailleurs des nations centrales. Le point de vue transnationaliste répète la vieille hostilité libérale envers les formes concrètes de la résistance populaire dans les pays sous-développés, en employant un langage plus radical. Ses imprécisions diffusent un sentiment d’impuissance face à la domination impérialiste, car dans le monde qu’ils décrivent – sans frontières, sans centres et sans territoires – il est impossible de localiser l’oppresseur ni de choisir la méthode pour l’affronter.
Le troisième défi de la politique socialiste est de concevoir les stratégies de prise et de transformation radicale de l’État, afin d’ouvrir la voie à l’émancipation. Cet objectif exige de démystifier le questionnement néolibéral de l’utilité de l’intervention étatique et la foi neutraliste du constitutionalisme qui masque le contrôle détenu par la classe dominante sur cette institution. En particulier l’opposition répandue entre les dérégulateurs néolibéraux et régulateurs anti-libéraux ne fait que cacher une gestion capitaliste commune de l’État. Cette manoeuvre est la cause du divorce croissant entre la société et l’État. Plus les affaires publiques dépendent des bénéfices entrepreneuriaux et plus grand est le poids acquis par les appareils et les bureaucraties distantes des besoins de la majorité de la population.
Mais le dépassement de cette fracture étatique exige d’inaugurer une gestion collective qui permette d’avancer jusqu’à l’extinction progressive du caractère élitiste et oppresseur de l’État. Cet objectif ne peut être atteint à travers un acte magique de dissolution d’institutions qui ont des racines millénaires, ni ne peut être réalisé en s’engageant sur l’énigmatique chemin émancipateur que proposent ceux qui postulent un changement de la société en renonçant à la prise de l’État et à l’exercice du pouvoir[43].
Certains théoriciens arguent que dans la « société de contrôle » actuelle les formes de domination sont si envahissantes qu’elles empêchent toute transformation sociale fondée sur la gestion populaire de l’État[44]. Mais cette suggestion d’un pouvoir omniprésent (« qui est partout et nulle part ») transforme tout débat concret sur la lutte contre l’exploitation en une réflexion métaphysique sur l’impatience de l’individu face à son environnement oppresseur. En éludant l’analyse des racines objectives et des fondements sociaux de cet assujettissement il devient impossible de concevoir les voies concrètes du dépassement de la domination capitaliste[45].
Préciser quels sont les agents de ce projet de transformation anticapitaliste est le quatrième défi auquel doivent faire face les socialistes. Si l’on observe les travailleurs en grève, les jeunes du mouvement altermondialisation et les masses mobilisées à la périphérie il n’est pas difficile de définir les auteurs d’un changement émancipateur. Ce nouveau protagonisme populaire mine le discours néolibéral individualiste sur la fin de l’action collective mais il ne génère pas encore la reconnaissance du rôle central des classes opprimées (et spécialement celui des travailleurs salariés) dans la transformation sociale.
Cette omission est due, pour une part, au poids qui est accordé à la « citoyenneté » dans les changements politiques, oubliant que cette catégorie uniformise les oppresseurs et les opprimés en leur octroyant le même statut et cache le fait que le « citoyen-ouvrier » n’a aucun accès aux fonctions exercées quotidiennement par le « citoyen-capitaliste » (licencier, embaucher, accumuler, gaspiller, dominer). Y compris dans les caractérisations les plus radicales qui parlent de la « citoyenneté insurgée » ou de la « citoyenneté mondiale », cette frontière de classe est dissoute et l’antagonisme social est relégué au second plan.
Une autre manière de diluer l’analyse de classe consiste à substituer à la notion de travailleur ou de salarié le concept de « multitude ». Ce regroupement est présenté comme l’embryon d’un « contre-empire » naissant du fait de sa capacité d’agglutiner les « aspirations de libération » des sujets « cosmopolites, nomades et émigrés »[46].
Bien que les promoteurs de cette catégorie reconnaissent son sens essentiellement poétique, ils n’en prétendent pas moins l’appliquer à l’action politique[47]. Ce transfert génère d’innombrables confusions, car la même multitude peut signifier un regroupement amorphe d’individus (nomades) et se référer en d’autres occasions à l’action de forces particulières (immigrés). Dans aucun des deux cas il n’est expliqué pourquoi cette catégorie occupe une place si significative dans la lutte sociale d’un empire, qui n’est pas localisable et qui n’affronte pas des concurrents bien définis. Mais ce qui est le plus difficile dans ce casse-tête, c’est d’élucider à quoi il peut bien servir.
En abandonnant les jongleries verbales et en analysant plutôt le potentiel émancipateur de la classe travailleuse pour orienter un projet socialiste on peut arriver à des conclusions plus utiles. Cette réflexion peut partir de la « prolétarisation du monde » croissante, c’est-à-dire du poids social stratégique atteint par les travailleurs, définis au sens large comme la masse totale des salariés[48]. Cette force impressionnante peut se transformer en un pouvoir anticapitaliste effectif à condition de réaliser un saut significatif de la conscience socialiste des exploités.
Les conditions pour une telle avancée politique sont déjà réunies, comme en témoignent les débats sur l’internationalisme, l’État et le sujet de la transformation sociale. En répétant ce qui s’est passé en 1890-1920, le débat sur l’impérialisme se place à nouveau au centre de cette maturation politique. Ces similitudes s’étendront-elles jusqu’à la croissance du mouvement socialiste ? Peut-être l’apparition de partis, de dirigeants et de penseurs comparables aux marxistes classiques du siècle passé sera-t-elle la surprise de la nouvelle décennie.
Buenos Aires, Juin 2002.
Notes
[1] J’ai analysé ce processus dans : Claudio Katz, « Les nouvelles turbulences d’une économie malmenée par l’impérialisme », Inprecor n° 457 d’avril 2001 ; « Las crisis recientes en la periferia », Realidad Económica n° 183, octobre-novembre 2001, Buenos Aires ; « Une récession globale entre guerres et rébellions », Inprecor n° 470/471 de mai-juin 2002. La polarisation entre le centre et la périphérie est également reconnue par les auteurs qui classifient les nations en quatre cercles hiérarchiques (puissances centrales, pays récepteurs des investissements étrangers, récepteurs potentiels de ces flux et économies périphériques) et qui estiment que le seul changement possible de cette hiérarchie serait l’ascension des pays du troisième rang au second (ou vice versa). D’autres changements sont considérés comme très improbables (du second au premier rang ou du quatrième au second). Cf. Charles Albert Michalet, La séduction des nations, Économica, Paris 1999 (chap. 2).
[2] Carlos Montero, « Efecto en América Latina de nuevos subsidios al agro en EEUU », ATTAC, 29 mai 2002.
[3] Samir Amin, « Africa : living on the fringe », Monthly Review vol. 53, n° 10, mars 2002.
[4] « El fantasma del protectado », Clarín, 9 juin 2002.
[5] « US military bases and empire » (éditorial), Monthly Review vol. 53, n° 10, mars 2002.
[6] Phil Hearse, « Guerre à la terreur, un premier bilan », Inprecor 466/467, janvier-fevrier 2002 ; Yvan Lemaitre, « La paix et la justice impossibles » et Christian Piquet, « Nouvelle donne, nouveaux défis », Critique Communiste n° 165, hiver 2002 ; Janette Habel, « États Unis-Amérique Latine », Contretempsn° 3, février 2002.
[7] Antonio Negri & Michael Hardt, Empire, Exils Éditeurs, Paris 2000 (préface, chapitres I-2 et II-1) ; Tony Negri « El imperio, supremo estadio del imperialismo », Desde los cuatro puntos n° 31, mai 2001 ; Toni Negri, « Imperio : el nuevo lugar de nuestras conquistas », Cuadernos del Sur n° 32, novembre 2001.
[8] William Robinson, « Global capitalism and nation-state-centric », Science and Society vol. 65, n° 4, hiver 2001-2002.
[9] John Bellamy Foster, « Imperialism and empire », Monthly Review vol. 53, n° 7, décembre 2001 ; Daniel Bensaïd, « ¿El imperio estado terminal ? », Desde los cuatro puntos n° 31, mai 2001 ; Daniel Bensaïd, « Le nouveau désordre mondial », Contretemps n° 2, septembre 2001.
[10] Ces positions sont habituellement exposées par le courant anti-libéral dans les forums du mouvement altermondialiste (en faveur d’une autre mondialisation, appelé aussi « mouvement antimondialisation »).
[11] Bob Sutcliffe, « Conclusión », Robert Owen « Introducción » et Tom Kemp « La teoría marxista del imperialismo », dans Robert Owen & Bob Sutcliffe, Estudios sobre la teoría del imperialismo, Era, México 1978.
[12] Ernest Mandel, Le troisième âge du capitalisme, Éditions de la Passion, Paris 1997 (nouvelle édition, première édition allemande sous le titre Der Spätkapitalismus, Suhrkampf Verlag, Frankfurt M. 1972), chapitre 10 ; Ernest Mandel, « Las leyes del desarrollo desigual », Ensayos sobre el neocapitalismo, Era, México 1969. Une analyse similaire a été formulée également par Bob Rowthorn, « El imperialismo en la década de 1970 », Capital monopolista y capital monopolista europeo, Granica, Buenos Aires 1971.
[13] Stephen Hymer, Empresas multinacionales e internacionalización del capital. Ediciones Periferia, Buenos Aires, 1972 ; Martín Nicolaus, « La contradicción universal », El imperialismo hoy, Ediciones Periferia, Buenos Aires 1971.
[14] James Petras, « Imperialismo versus imperio », Laberinto n° 8, février 2002
[15] Paolo Giussani, « ¿Hay evidencia empírica de una tendencia hacia la globalización ? » dans J. Arriola & D. Guerrero, La nueva economía política de la globalización, Universidad de País Vasco, Bilbao 2000.
[16] Stavros Tombazos, « La mondialisation libérale et l’impérialisme tardif », Contretemps n° 2, septembre 2001.
[17] Tony Smith, « Pour une théorie marxiste de la globalisation », Contretemps n° 2, septembre 2001.
[18] Wladimir Andreff, Interventions et débats, Mondialisation, Espaces Marx, Paris 1999 ; Philippe Zarifian, Interventions et débats, Mondialisation, Espaces Marx, Paris 1999.
[19] Richard D. Boff & Edward Herrman, « Merger, concentration and the erosion of democracy », Monthly Review vol. 53, n° 1, mai 2001.
[20] Certaines études qui ont commencé à tenir compte de cette problématique démontrent, par exemple, que le déficit extérieur nord-américain calculé en tenant compte de la localisation des firmes constitue en réalité un excédent vu du point de vue de la propriété des firmes. Cf. D. Bryan, « Global accumulation and accounting for national economic identity », Review of Radical Political Economics, vol. 33, 1999.
[21] Michel Husson, Interventions et débats, Mondialisation, Espaces Marx, Paris 1999.
[22] Odile Castel, « La naissance de l’ultra-impérialisme », dans Gérard Dumenil & Dominique Levy, Le triangle infernal, PUF, Paris 1999.
[23] Antonio Negri & Michael Hardt, Empire, Exils Éditeurs, Paris 2000 (préface) ; Toni Negri, « Entrevista », Pagina 12, 31 mars de 2002 ; Tony Negri « El imperio, supremo estadio del imperialismo », Desde los cuatro puntos n° 31, mai 2001.
[24] C’est l’objection justifiée de Giovanni Arrighi : « Global capitalism and the persistence of north-south divide », Science and Society vol. 65, n° 4, hiver 2001-2002.
[25] William Robinson, « Global capitalism and nation-state-centric », Science and Society vol. 65, n° 4, hiver 2001-2002.
[26] Antonio Negri & Michael Hardt, Empire, Exils Éditeurs, Paris 2000 (chap. I-1, II-5, III-5, III-6).
[27] Michael Mann, « Globalisation is among other things, transnational, international and american » et Kees van der Pijl, « Globalisation or class society in transition ? », Science and Society vol. 65, n° 4, hiver 2001-2002.
[28] Financial Times, 10 mai 2002
[29] Robert Went, « Globalizaton : towards a transnational state ? », Science and Society vol. 65, n° 4, hiver 2001-2002.
[30] Atilio Boron, Imperio e imperialismo, Buenos Aires 2002 (chap. 4 et 6).
[31] Antonio Negri & Hardt Michael, Empire, Exils Éditeurs, Paris 2000 (chap. IV-1).
[32] Claude Serfati, « Une bourgeoisie mondiale pour un capitalisme mondialisé ? ». Bourgeoisie : états d’une classe dominante, Syllepse, Paris 2001 ; Claude Serfati, « Violences de la mondialisation capitaliste », Contretemps n° 2, septembre 2001.
[33] Peter Gowan, « Cosmopolitisme libéral et gouvernance globale », Contretemps n° 2, septembre 2001.
[34] Cf. Contretemps n° 3, février 2002 : Gilbert Achcar, « Le choc des barbaries » ; Daniel Bensaïd, « Dieu, que ces guerres sont saintes » ; Ellen Meiksins Wood, « Guerre infinie ».
[35] Michel Husson, « Le fantasme du marché mondial », Contretemps n° 2, septembre 2001.
[36] Leo Panitch, « The state, globalisation and the new imperialism », Historical Materialism, vol. 9, hiver 2001.
[37] Alejandro Dabat, « La globalización en perspectiva histórica » (Mimeo), México 1999 ; Christian Barrere, Interventions et débats, Mondialisation, Espaces Marx, Paris 1999.
[38] Toni Negri, « Imperio : el nuevo lugar de nuestras conquistas », Cuadernos del Sur n° 32, novembre 2001.
[39] Toni Negri & Michael Hardt, « La multitude contre l’empire », Contretemps n° 2, septembre 2001.
[40] Antonio Negri & Michael Hardt, Empire, Exils Éditeurs, Paris 2000 (chap. IV-1) ; Gérard De Bernis, Interventions et débats, Mondialisation, Espaces Marx, Paris 1999 ; Marcos Del Roio, « Las contradicciones del imperio » et Carlos Martins, « La nueva encrucijada », Herramienta n° 18, été (austral) 2001-2002.
[41] Tariq Ali (entretien avec), « Le choc des fondamentalismes », Inprecor 466/467, janvier-février 2002.
[42] Antonio Negri & Michael Hardt, Empire, Exils Éditeurs, Paris 2000 (préface, chap. I-3, II-2, II-3 et intermezzo).
[43] C’est la thèse de John Holloway : « Entrevista », Página 12, 3 décembre 2001.
[44] Antonio Negri & Michael Hardt, Empire, Exils Éditeurs, Paris 2000 (chap. I-2).
[45] Voir l’excellente critique d’Alex Callinicos, « Toni Negri in perspective », International Socialismn° 92, Automne 2001 [la seconde partie de cet article a été publiée en français : Alex Callinicos, « Du pouvoir constituant à l’Empire : Toni Negri en perspective », Contretemps n° 3, février 2002].
[46] Antonio Negri & Michael Hardt, Empire, Exils Éditeurs, Paris 2000 (chap. III-6).
[47] Toni Negri, « Entrevista », Pagina 12, 31 mars 2002.
[48] Cette force s’est fortement accrue au cours du XXe siècle, passant de 50 millions en 1900 à 2 milliards en 2000 (alors qu’en même temps la population mondiale passait de 1 à 6 milliards). Cf. Daniel Bensaïd, Les irréductibles : théorèmes de la résistance à l’air du temps, Textuel, Paris 2001.