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L’abécédaire de Daniel Guérin

Lien publiée le 2 novembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.revue-ballast.fr/labecedaire-de-daniel-guerin/

Celui qui se voyait comme « un historien [plus] qu’un théoricien » est l’une des voix les plus marquantes du communisme libertaire français. Rejetant d’un même élan l’autoritarisme léniniste et le romantisme anarchiste, il œuvra à articuler le meilleur du rouge et du noir, ces « frères jumeaux entraînés dans une dispute aberrante qui en a fait des frères ennemis ». Prisonnier dans un camp d’internement allemand durant la Seconde Guerre mondiale, anticolonialiste de la première heure, sympathisant critique des Black Panthers et partisan résolu des droits des homosexuels, Daniel Guérin, disparu en 1988, fut ce militant révolutionnaire pour qui « l’antidogmatisme était fontamental ». 

Abstraction : « L’impartialité est un de ces mots creux, une de ces abstractions suspendues dans le vide, comme la Morale universelle et éternelle, ou l’Intérêt général. […] Il n’existe pas, il ne peut pas exister d’impartialité en histoire. L’histoire ne s’occupe pas de figures géométriques ou de phénomènes d’optique, elle met en scène les classes en lutte, elle fait revivre les passions politiques des hommes. […] L’historien appartient lui-même, bien qu’il s’en défende, à une classe ; il épouse, bien qu’il s’en défende, les passions de sa classe. Entre les événements du passé qu’il évoque et les luttes que mène sa classe dans le présent, il y a un lien de continuité. Il ne peut pas ne pas prendre parti. » (La Lutte de classes sous la Première République, Gallimard, 1968)

Blanc : « Le prolétaire blanc, avant d’être un prolétaire, demeurait un Blanc. Il défendait désespérément ce qu’il croyait être ses privilèges de Blancs. Bien qu’exploité, il s’imaginait que son intérêt se liait au pouvoir blanc. Dans l’immédiat, les hommes de couleur ne pouvaient se permettre d’attendre une hypothétique alliance, ni de désespérer, si elle tardait trop à se produire. » (De l’Oncle Tom aux Panthères, Les éditions de Minuit, 1963-1973)

Cloisonnements : « J’ai horreur des sectes, des cloisonnements, des gens que presque rien ne sépare mais qui, pourtant, se regardent en chiens de faïence. […] Voulant être, si possible chez tous, avec tous, je voudrais, présomptueusement, réconcilier, rassembler. » (Front populaire révolution manquée, Maspero, 1970)

Durruti : « La Révolution espagnole a montré, elle, malgré les circonstances tragiques d’une guerre civile, bientôt aggravée par une intervention étrangère, la remarquable réussite de l’autogestion, à la ville comme à la campagne, et aussi la recherche, par les libertaires, d’une conciliation entre les principes anarchistes et les nécessités de la guerre révolutionnaire à travers une discipline militaire, sans hiérarchie ni grades, librement consentie, à la fois pratiquée et symbolisée par un grand combattant anarchiste : Durruti. » (Pour un communisme libertaire, Spartacus, 2003)

Exploitation : « On cherche en vain sur la planète un seul pays qui soit authentiquement socialiste. En gros, le socialisme a été l’objet de deux falsifications principales, sous son étiquette, on écoule deux marchandises également frelatées : un vague réformisme parlementaire, un jacobinisme brutal et omniétatique. Or, le socialisme a pour moi une signification très précise : la cessation de l’exploitation de l’homme par l’homme, la disparition de l’État politique, la gestion de la société de bas en haut par les producteurs librement associés et fédérés. » (Entretien paru dans La Chronique sociale de France, 1960)

Fascisme : « J’ai appris que, si la carence ouvrière se prolonge, le fascisme se généralisera dans le monde. Attendrez-vous, ici, que pleuvent les coups de matraque ? Le fascisme est essentiellement offensif : si nous le laissons prendre les devants, si nous restons sur la défensive, il nous anéantira. Il use d’un nouveau langage, démagogique et révolutionnaire : si nous ressassons, sans les revivifier par des actes, les vieux clichés usés jusqu’à la corde, si nous ne pénétrons pas jusqu’au fond de ses redoutables doctrines, si nous n’apprenons pas à lui répondre, nous subirons le sort des Italiens et des Allemands. » (La Peste brune [1932], Spartacus, 2018)

Gestion ouvrière : « Issue d’une entreprise militaire, sous la direction de petits-bourgeois à l’origine nationalistes, amenée par la suite à prendre pour modèles les pays socialistes de l’Est, la révolution cubaine n’a peut-être pas accordé une attention suffisante à la gestion ouvrière de la production du type espagnol, yougoslave ou algérien. Le Che Guevara, du temps où il dirigeait le ministère de l’Industrie, était méfiant à son égard. Une suspicion qui reposait, d’ailleurs, sur un malentendu : il s’imaginait, à tort, que l’autogestion excluait la planification centralisée et qu’elle était synonyme d’égoïsme d’entreprise. » (Cuba-Paris, Chez l’auteur, mai 1968)

Homosexualité : « Les avantages remportés sur l’homophobie par ses victimes ne peuvent être, en tout état de cause, que limités et fragiles. En revanche, l’écrasement de la tyrannie de classe ouvrirait la voir à la libération totale de l’être humain, y compris celle de l’homosexuel. Il s’agit donc de faire en sorte que la plus grande convergence possible puisse être établie entre l’une et l’autre. Le révolutionnaire prolétarien devrait donc se convaincre, ou être convaincu, que l’émancipation de l’homosexuel, même s’il ne s’y voit pas directement impliqué, le concerne au même degré, entre autres, que celle de la femme et celle de l’homme de couleur. De son côté, l’homosexuel devrait saisir que sa libération ne saurait être totale et irréversible que si elle s’effectue dans le cadre de la révolution sociale, en un mot que si l’espèce humaine parvient, non seulement à libéraliser les mœurs, mais, bien davantage, à changer la vie. » (Homosexualité et révolution, Le vent du ch’min, 1983)

Deux soldats américains à Dijon (DR)

Internationalisme : « Le principe fédéraliste conduit logiquement à l’internationalisme, c’est-à-dire à l’organisation fédérative des nations dans la grande et fraternelle union internationale humaine. […] Les États-Unis d’Europe, d’abord, et, plus tard, ceux du monde entier, ne pourront être créées que lorsque, partout, l’ancienne organisation fondée, de haut en bas, sur la violence et le principe d’autorité, aura été renversée. » (L’Anarchisme, Gallimard, 1965-1981)

Jeunesse : « Les jeunes révolutionnaires aux yeux bridés, désintéressés jusqu’au sacrifice, prodigieusement intelligents et raffinés, sortis dans les premiers rangs de nos grandes écoles, ils les traitèrent de ratés, d’ambitieux déçus, avides de places et de profits, et ils éprouvèrent une joie sadique quand la fleur de la jeunesse du Viet-nam monta sur l’échafaud, en criant des vers de Victor Hugo. » (Autobiographie de jeunesse, Belfond, 1972)

Kropotkine : « Isolés du monde ouvrier que monopolisaient les social-démocrates, [les anarchistes des années 1890] se calfeutraient dans de petites chapelles, se barricadaient dans des tours d’ivoire pour y ressasser une idéologie de plus en plus irréelle ; ou bien ils se livraient et applaudissaient à des attentats individuels, se laissant prendre dans l’engrenage de la répression et des représailles. Kropotkine, un des premiers, eut le mérite de faire son mea culpa et de reconnaître la stérilité de la propagande par le fait. » (L’Anarchisme, Gallimard, 1965-1981)

Luxemburg : « Son immense mérite [à Rosa Luxemburg] est d’avoir à la fois contesté les conceptions d’organisation autoritaire de Lénine et tenté d’arracher la social-démocratie allemande à son légalisme réformiste en insistant, comme aucun marxiste ne l’avait fait avant elle, sur la priorité déterminante de l’auto-activité des masses. […] Nous avons donc aujourd’hui beaucoup à puiser dans ses écrits, mais à condition de ne pas les accepter ni les repousser en bloc, de ne pas les dénigrer ni les portées aux nues. » (Rosa Luxemburg et la spontanéité révolutionnaire, Flammarion, 1971)

Malentendu : « Ma formation a été marxiste antistalinienne. Mais, depuis longtemps déjà, je me suis avisé de puiser à pleines poignées dans le trésor de la pensée libertaire, toujours actuelle et toujours vivante — à condition de l’épouiller, au préalable, de pas mal d’infantilisme, d’utopies, de romantismes aussi peu utilisables que désuets. D’où un malentendu à peu près inévitable, mais aigri par une certaine mauvaise foi de mes contradicteurs : les marxistes se sont mis à me tourner le dos en tant qu’anarchiste, et les anarchistes du fait de mon marxisme n’ont pas toujours voulu me regarder comme un des leurs. » (Pour un communisme libertaire, Spartacus, 2003)

Nausée : « Les célèbres abattoirs [de Chicago] — aujourd’hui déplacés — empestent à plusieurs lieues à la ronde. J’ai la curiosité morbide de voir égorger en série et mettre en boîtes porcs et moutons. À en avoir la nausée. Encore épargne-t-on aux âmes sensibles la vue, sans doute insoutenable, du massacre des bovidés. » (Le Feu du sang — autobiographie politique et charnelle, éditions Grasset & Fasquelle, 1977)

Lutte pour les droits civiques (James Karales)

Organisation : « Communiste libertaire est qui honnit l’impuissante pagaille de l’inorganisation tout autant que le boulet bureaucratique de la sur-organisation. » (À la recherche d’un communisme libertaire, Spartacus, 1984)

Proudhon : « Je réponds à l’avance qu’il ne m’est guère possible d’accepter Proudhon en bloc, ni de le mythifier, que je vois en lui un Protée aux multiples visages, un créateur versatile et contradictoire, emporté trop souvent par sa faconde, son tempérament passionné et que cette surabondante diversité de son génie, cette violence paysanne et plébéienne, […] font de lui un personnage extraordinairement attachant. » (Proudhon oui et non, Gallimard, 1978) 

Querelle : « L’anarchisme est inséparable du marxisme. Les opposer, c’est poser un faux problème. Leur querelle est une querelle de famille. Je vois en eux des frères jumeaux entraînés dans une dispute aberrante qui en a fait des frères ennemis. Ils forment deux variantes, étroitement apparentées, d’un seul et même socialisme ou communisme. » (À la recherche d’un communisme libertaire, Spartacus, 1984)

Réformisme : « Condamner le réformisme ne signifie pas toujours faire fi des réformes. Aucun fléau social ne peut être combattu seulement en luttant pour la suppression ultime de ses causes. […] Mais où le réformisme est malfaisant, c’est lorsqu’il se propose comme une fin en soi et vise à estomper l’urgence de transformations plus profondes. » (De l’Oncle Tom aux Panthères, Les éditions de Minuit, 1963-1973)

Sous-prolétariat : « La composition essentiellement sous-prolétarienne du parti [des Black Panthers] a, par ailleurs, posé des problèmes d’ordre à la fois théorique et pratique. Certains de ses porte-paroles ont poussé à l’extrême la glorification du lumpen [sous-prolétariat, ndlr]. Eldridge Cleaver s’est livré à une véritable apologie de ces parasites involontaires de la société américaine : Très bien. Nous sommes des lumpen. C’est vrai. […] Ceux qu’on nomme la pègre. […]. Mais l’aspect contestable de l’analyse de Cleaver, c’est […] d’omettre le fait que la délinquance tend, trop souvent, à se développer à l’intérieur du cadre de l’ordre existant où elle agit comme une force de conservation sociale. C’est ce que reconnut l’ami de Cleaver, Geronimo, ex-lumpen lui-même, ex-trafiquant, ex-souteneur : Oui, admit-il, certains lumpen ont été fourvoyés par l’idéologie capitaliste. » (De l’Oncle Tom aux Panthères, Les éditions de Minuit, 1963-1973)

Tomates : « Ils me font rire, ceux dont les muscles ne sont jamais contractés par l’effort et qui serrent entre leurs doigts un petit gadget à l’aide duquel ils noircissent du papier. J’aime manier ces réalités tangibles que sont un cageot de tomates, un sac de charbon. Elles me reposent de la courbature cérébrale, me délivrent de l’épuisante compagnie de ces gnomes invisibles et décevants qui naissent au fil de l’écriture et que l’on fait passer pour des idées. » (Le Feu du sang — autobiographie politique et charnelle, éditions Grasset & Fasquelle, 1977)

URSS : « Loin de prouver l’impraticabilité du socialisme libertaire, l’expérience soviétique, dans une large mesure, a confirmé, au contraire, la justesse prophétique des vues exprimées par les fondateurs de l’anarchisme et, notamment, de leur critique du socialisme autoritaire. » (L’Anarchisme, Gallimard, 1965-1981)

Moscou, URSS, 1947, Robert Capa © International Center of Photography | Magnum Photos

Vélos : « Au surplus, ma venue aux idées révolutionnaires avait été, pour une part plus ou moins large, le produit de mon homosexualité, qui avait fait de moi, de très bonne heure, un affranchi, un asocial, un révolté. Dans mes essais autobiographiques, j’ai rapporté que mes convictions n’avaient pas tant été puisées dans les livres et les journaux révolutionnaires, bien que j’en eusse absorbé des quantités énormes, que dans le contact physique, vestimentaire, fraternel, pour ne pas dire spirituel, dans la fréquentation des cadres de vie de la classe prolétaire. J’ai appris et découvert bien davantage chez tel marchand de vélos, avec sa clientèle de loubards, dans telle salle de boxe et de lutte libre du quartier de Ménilmontant. J’ai échangé plus de libres et enrichissants propos dans l’arrière-boutique fumeuse de tel petit resto ouvrier, peuplé de célibataires endurcis, que dans les appartements cossus des quelques anciens condisciples que je m’étais forcé de continuer à fréquenter. » (Homosexualité et révolution, Le vent du ch’min, 1983)

Wagon : « Je lui réponds qu’il ne sera pas très difficile à Hitler d’envahir la France mais qu’ensuite, plus tard, le peuple français pourrait bien lui donner du fil à retordre. Ce vainqueur trop lucide sue d’angoisse. De Settin, on nous embarque dans un wagon cellulaire pour une destination inconnue. Des prisonniers allemands nous y enseignent l’art d’allumer un mégot de cigarette avec un clou et un débris de miroir. » (Le Feu du sang — autobiographie politique et charnelle, éditions Grasset & Fasquelle, 1977)

X : « Peu de jours avant de disparaître, Malcolm [X] avouait à la femme du pasteur Martin Luther King : Je suis en train de dériver et je ne sais pas où je vais. En fait, il était sur la voie d’une synthèse, plus ou moins élaborée, entre le nationalisme noir et une attitude où apparaissent déjà, au-delà d’une certaine confusion persistante dans son esprit, des tendances révolutionnaires, internationalistes, anticapitalistes, anti-impérialistes. » (De l’Oncle Tom aux Panthères, Les éditions de Minuit, 1963-1973)

Yeux : « J’ai vu, de mes yeux, le fascisme. Je sais aujourd’hui ce qu’il est. Et je songe qu’il nous faut faire, avant qu’il soit trop tard, notre examen de conscience. Depuis dix ans, nous n’avons pas prêté au phénomène une attention suffisante. César de Carnaval, blaguait Paul-Boncour. Non, le fascisme n’est pas une mascarade. Le fascisme est un système, une idéologie, une issue. Il ne résout certes rien, mais il dure. Il est la réponse de la bourgeoisie à la carence ouvrière, une tentative pour sortir du chaos, pour réaliser, sans trop compromettre les privilèges de la bourgeoisie, un nouvel aménagement de l’économie, un ersatz de socialisme. » (La Peste brune [1932], Spartacus, 2018)

Zéro : « Mais un monde qui s’écroule est aussi un monde qui renaît. Loin de nous laisser aller au doute, à l’inaction, à la confusion, au désespoir, l’heure est venue pour la gauche française de repartir a zéro, de repenser jusque dans leurs fondements ses problèmes, de refaire, comme disait Quinet, tout son bagage d’idées. » (« La révolution déjacobinisée », Les Temps Modernes, avril 1957)