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La critique de Raoul Vaneigem au mouvement dit des “casseurs”
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’ex-situationniste, figure du mouvement libertaire, appelle dans son nouveau livre à l’émergence d’un mouvement fondé sur “l'autogestion de la vie quotidienne”, et adresse une critique bienveillante aux membres du cortège de tête.
Voilà un livre qui fera tiquer les nombreux contempteurs des “briseurs de vitrines”. Alors qu’il y a quelques jours le Sénat adoptait un texte visant explicitement les membres du black bloc, aux pratiques insurrectionnelles en manifestation, le célèbre anarchiste belge Raoul Vaneigem adresse, lui, une critique positive au “mouvement dit des ‘casseurs’”, comme il l’écrit avec délicatesse dans sa Contribution à l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande (éd. Rivages). L’ex-situationniste, dont le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (1967) avait eu une influence sensible sur le mouvement de Mai 68, prend la plume à l’invitation de “jeunes gens de [son] entourage”, pour réfléchir aux conditions d’émergence d’un “mouvement autogestionnaire” qui fera primer la vie sur l’économie, et qui brisera “le joug de l’avoir” sur l’être.
Lucide sur l’échec des grandes idéologies politiques, le philosophe-poète libertaire estime que le prolétariat a régressé à l’état de “plèbe corvéable et malléable à merci”, écrasée par “l’offensive de la colonisation consumériste”. Mais la situation n’est pas désespérée pour autant : il y a toujours, dans les interstices du capitalisme financier, des éléments incontrôlés dont l’aspiration à un bonheur authentique, libéré des tentacules du travail, n’a pas été noyée dans les “eaux glacées du calcul égoïste” (Marx). Il rend ainsi hommage aux ZAD (zones à défendre), ces microsociétés soucieuses de “cultiver des produits naturels, de réhabiliter l’artisanat, de fabriquer des ‘chefs-d’œuvre’ mis gracieusement à la disposition de tous”.
Mais encore faut-il que toutes les énergies révolutionnaires soient tendues vers l'objectif d'inaugurer “une terre d'où la barbarie est bannie, une terre que fertilise la joie de vivre”. Aussi Raoul Vaneigem adresse-t-il un message au cortège de tête, vecteur des fameux “débordements” lors des manifestations contre la loi Travail en 2016.
Le penseur anti-autoritaire se range bien aux côtés de ces opposants “aux bulldozers de la dévastation rentable”, car “qui niera que détruire à plaisir les machines employées à nous opprimer est une réaction de salut public ?”.
“Un acte révolutionnaire ? Allons donc !”
Mais il questionne sérieusement l’efficacité stratégique de leur geste, qui laisse “la radicalité à mi-chemin”, et la dévoie “de son vrai but” : “Qui croirait que s’en prendre à des symboles - briser une vitrine, bouter le feu à une banque ou à un commissariat - ait le moindre impact sur un système qui se moque de sort de ses employés et de ses sbires aussi éperdument que leurs prétendus défenseurs ? Un acte révolutionnaire ? Allons donc ! Un défoulement où tourne court et se dissipe une énergie dont aurait plutôt besoin l’occupation de zones où puisse naître et s’expérimenter une société nouvelle”.
Toujours partisan d’une violence insurrectionnelle, Vaneigem estime que celle-ci “n’a qu’un effet d’exorcisme et ne change rien à l’envoûtement séculaire qui nous paralyse”, tant qu'elle n’est pas tournée vers l’auto-organisation individuelle et sociale. Et de conclure, à la manière d’un prophète ès-soulèvements : “La construction d’un monde nouveau et la résolution de ne jamais y renoncer démantèleront plus sûrement le vieux monde que l’affrontement rituel des lacrymogènes et du pavé. Les ruisseaux de la subversion grossissent le fleuve qui roule vers les grandes eaux. Ils sont épars et disparates, l’océan est un”.
Raoul Vaneigem, Contribution à l'émergence de territoires libérés de l'emprise étatique et marchande, éd. Rivages, 192 p., 15,90€