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Anasse Kazib : "Le 24, avec une grosse équipe de cheminots, nous serons sur Paris"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Anasse Kazib, cheminot au Bourget, a publié sur son mur facebook une tribune en vue de la mobilisation des gilets jaunes à Paris, ce 24 novembre.
Nous ( la grande majorité des militants ) avons tous été très nombreux à être très réfractaires envers le mouvement des gilets jaunes. Certains par mépris, d’autres par question politique.
J’ai fait partie très tôt de ceux qui ont critiqué rapidement le mouvement sur des bases politiques. Nous étions nombreux à avoir critiqué la récupération et l’entrisme de militants d’extrême-droite comme Franck Buhler. Des patrons, petits et gros, venus juste récupérer des centimes en moins sur le prix de l’essence. Mais également la question de la stratégie : filtrer une route un samedi, plutôt que mettre le piquet devant les taules. Et enfin cette absence de revendication autre que le carburant.
Nous avions eu raison d’apporter ces critiques, je ne regrette pas une seule seconde, car je pense que c’est aussi cette pression à dénoncer la faiblesse des revendications, l’entrisme fachiste, et la limitation de la forme de manifestation par le patronat (en mode on ne bloque surtout pas les entreprises) qui ont fait considérablement bouger ce mouvement aujourd’hui.
La force et l’arme des militants révolutionnaires c’est aussi de critiquer et d’analyser pas à pas l’évolution politique et conjoncturelle des choses, pour essayer d’être toujours le plus juste possible, sans sectarisme ni opportunisme.
Pourtant, nous en avons vu de l’opportunisme, dès le début, et nous voyons encore du sectarisme ...
La question n’est donc pas aujourd’hui d’être binaire, pour ou contre, mais d’avoir la clairvoyance que ce mouvement des gilets jaunes, n’est pas le mouvement que nous pensions de base ; à savoir un mouvement avec une forte pression d’extrême-droite et sur des bases purement de prix du carburant.
La question n’est pas de mettre ou non un gilet jaune, pour être contre ci ou ça. Ce gilet jaune en réalité il a toujours existé, c’est celui de la colère sociale. Quelqu’un a sorti dans une video « balance un gilet sur le tableau de bord pour qu’on se compte » ; et, de cette video, le mouvement est passé de « blocage contre le carburant » à « mouvement des gilets jaunes ». Est ce que ce mouvement existe car ils ont un gilet ? Est ce qu’il y’a plus de monde car il faut mettre un gilet ? Y’a t’il uniquement 400000 gilets jaunes ? La réalité c’est jaune vert blanc rouge orange, il n’y a pas d’histoire de gilet, mais bien d’une colère sociale immense, d’un rejet de cette politique bourgeoise, de ces gouvernements qui se succèdent de quinquennat en quinquennat avec encore plus de régression sociale et de précarisation. Gilet ou pas, ce mouvement aurait eu la même importance.
La colère sociale n’est pas née un 17 novembre. Elle est le fruit de bagarres, de luttes, de défaites du mouvement ouvrier, de crises économiques, de crises politiques etc....
Alors pourquoi analyser la situation de manière idiote, gilet jaune ou pas ?
La grogne sociale aujourd’hui a évolué. Elle est issue de la base, d’une large majorité de la classe ouvrière, de retraités qui pourtant on été la base électorale de Macron, de jeunes prolos, de professions libérales qui vivent parfois moins bien qu’un smicard et qui pour la première fois sortent de leur vision individualiste pour construire quelque chose à plusieurs.
Les revendications contre l’essence, sont devenues des revendications de classe, comme la démission de Macron, la dissolution du Sénat et de l’assemblée nationale, la hausse des salaires – certains parlant même de la reforme ferroviaire qui supprime 9000km de ligne, certains encore évoquant les discriminations dans les quartiers, ou le massacre dans les services publics comme la santé.
On voit tous très bien que même si Macron annonçait demain le litre d’essence à 0,50ct, que le mouvement ne bougerait pas.
Car aujourd’hui il dénonce cette bourgeoisie et les inégalités qu’elle crée.
Hier, ils souhaitaient uniquement filtrer les voitures, aujourd’hui ils bloquent des raffineries, des dépôts de carburant, appellent à bloquer le black friday, Amazon, ou les camions de marchandises dans les zones industrielles. En Belgique par exemple où le mouvement a pris aussi, il y a 1/3 des pompes qui sont en pénurie totale. À la Réunion, où la situation est quasi-insurrectionnelle, il y a un couvre feu, des commerces qui sont fermés depuis 4 jours, et le gouvernement qui va faire débarquer l’armée.
Ceux qui hier réclamaient plus de justice et de police, comprennent que cette police leur tire dessus au FlashBall, et elle traine des retraités par terre. Car elle est une institution coercitive de l’état bourgeois, et qu’elle tirera et tapera quiconque tentera de renverser l’état bourgeois.
Cette extrême-droite, qui par opportunisme a voulu s’attribuer les mérites de la colère à des fins électoralistes, est entrain de reculer considérablement. Car ces partis bourgeois fachos,peuvent soutenir une colère sur un rond point bien calme, mais il ne soutiendront jamais l’attaque des institutions bourgeoises et du capitalisme.
Il demeure malgré tout des éléments réactionnaires. Nous avons vu ces scènes racistes sur certains rond-points, ou cette scène en Picardie avec des exilés.
Néanmoins personne ne peut dire aujourd’hui que c’est un mouvement raciste, ou poujadiste. Un mouvement d’extrême-droite ou de droite est identifiable à 4km ; exemple : les mouvements neo-nazi en Allemagne ou Autriche, ou encore plus populo avec la manif pour tous, où les députés frontistes et de droite tenaient la banderole de tête de cortège avec les catholiques intégristes. Qui peut dire que c’est le cas ?
Il y a donc encore des limites et des contradictions, mais quel mouvement ne les connait pas ? Durant la grève de la SNCF des cheminots nous disaient que les étudiants n’avaient rien à faire dans une AG de cheminot, que Parcoursup c’était pas la reforme de la SNCF. Lorsque nous avions parlé de la loi pour l’avortement en Argentine, certains cheminots nous disaient « On a pas à parler de meuf qui écarte les cuisses dans un piquet de cheminot ». Fallait-il donc quitter la bataille du rail à cause des limites politiques et des visions réactionnaires de certains ? Non. Nous avons continué et en tant que militant notre devoir est de ne pas laisser ces visions perdurer, mais bien d’expliquer et convaincre les travailleurs à mener une politique de classe, contre une politique corporatiste.
Le mouvement ouvrier doit se mettre en ordre de bataille avec ce mouvement, qui lutte contre la vie chère, les inégalités et les politiques bourgeoises. Si les militants ouvriers n’y sont pas, c’est donner la place à l’extrême-droite, pour rejeter en bloc le mouvement ouvrier et les militants syndicaux qui sont restés silencieux et spectateurs.
Seule, la classe ouvrière et ses militants révolutionnaires peuvent prendre l’avant-garde d’un mouvement d’ampleur, pour l’amener vers la généralisation de la grève – et bien sur la grève générale.
Nous ne pouvons rester sur nos canapés à regarder BFM sans rien faire. Nous avons critiqué, nous avons analysé, maintenant il faut agir. Non pas être gilet jaune ou gilet turquoise, mais bien de donner un tournant lutte de classe et grève générale à cette colère sociale.
Sinon, attendons la prochaine journée de 24h tranquillou pour perdre 100€ , et manifester entre Bastille et République à la file indienne, chacun derrière nos boutiques syndicales.
En attendant, je n’ai jamais entendu aucun porte parole de confédérations appeler à la destitution d’un gouvernement ou de l’assemblée nationale. Ça peut paraître fantaisiste comme cela, mais on entend plus « nous attendons de négocier » plutôt que nous voulons la destitution du président.
Dire à des gens qui se battent pour la première fois « où étiez-vous durant la bataille du rail ? » est d’un mépris et d’une idiotie sans nom – sinon un seul : le sectarisme. On demande à quelqu’un qui découvre la lutte où était-il ? Et tous les militants syndicaux ils sont où eux ? Les 2,5 millions de syndiqués de la CGT, CFDT, FO, Solidaire ? Ils étaient où dans les piquets de cheminots, où nous étions 150 dans des régions de 8000 cheminots ?
Comment peut-on donc reprocher quelque chose à des non-militants, que des militants eux-mêmes ne font plus – ou trop peu.
Ils allaient faire quoi ? faire grève sans préavis, sans appel de syndicat ? Déjà que les confédérations de la fonction publique appellent sur des journées à part pour pas renforcer ni converger avec les cheminots ; nous allons demander des comptes au prolo qui bosse dans une PME de 10 personnes pourquoi il n’a pas mis sa boite en grève en soutien aux cheminots ?
Je m’arrête la.
Il faut bouger les confédérations, ceux qu’on appelle les gilets jaunes dans leur grande majorité ont compris la nécessité du mouvement ouvrier et de lancer des grèves et des blocages d’entreprise.
Transformons donc ce mouvement en une grève générale sans précédent dans ce cinquantenaire de Mai 68.
Le 24 avec une grosse équipe de cheminot, nous serons sur Paris, non pas en gilet jaune, mais en gilet orange ou sans gilet, mais qu’importe, nous serons là pour dénoncer le matraquage fiscale, le coût de la vie, la casse du ferroviaire, la baisse de nos salaires, de nos retraites, dénoncer la régression sociale. Mais surtout observer et nous faire notre avis sur la suite à donner.
Je vais conclure ou plutôt laisser Lenine conclure mon post ...
« Quiconque attend une révolution sociale "pure" ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (…) La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement : sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme. »
Lenine 1916,