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Ma journée de travail dans la restauration rapide

Lien publiée le 3 décembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marxiste.org/actualite-francaise/monde-du-travail/2444-ma-journee-de-travail-dans-la-restauration-rapide

12h30. Je commence ma journée en allant chercher les stocks pour la boutique où je vais travailler tout le week-end. Pourtant mon contrat affiche 13h, mais mon patron a l’habitude de me prévenir au dernier moment qu’il n’aura pas le temps de remplir les frigos. Pour ne pas me retrouver sans rien à vendre, je commence donc ma journée 30 minutes plus tôt (qui ne me seront pas payées).

Entre 13h et 14h, je nettoie la boutique avant de l’ouvrir. Mais une heure ne suffit pas pour nettoyer les appareils qui serviront à cuire les produits vendus aux clients. Souvent, ces appareils sont encore très sales de la veille. Je commence donc la vente dans un espace qui n’est pas complètement propre.

Très vite, les clients s’agglutinent dans la boutique. Le business marche bien – quand la météo le permet. Mon patron déteste la pluie car elle fait fuir les clients. Mais moi elle me rassure, car je sais que je serai moins fatiguée le soir, et donc en meilleure forme pour entamer ma deuxième journée de travail, le lendemain.

Dévalorisation

Le travail est éreintant. Le patron a mis en place un système d’« objectifs de vente » qui m’oblige à augmenter mon rythme de travail, et donc à sacrifier la qualité à la quantité. Si je dépasse le chiffre d’affaires fixé en début de semaine, je gagne 5 euros de plus sur mon maigre salaire de job étudiant. Récemment, ces objectifs ont été revus à la hausse, car les employés étaient « trop » efficaces et gagnaient donc trop souvent (aux yeux du patron) la prime de 5 euros. Depuis quelques semaines, les objectifs de vente ne sont même plus affichés.

Nous sommes dans une logique capitaliste et productiviste : faire du volume, du chiffre, au détriment de nous-mêmes, la force de travail. Le patron nous fait ressentir que, pour lui, nous ne sommes que des forces de travail. Au début, il usait du « néo-management » pour nous attirer et nous fidéliser : usage du tutoiement pour plus de « proximité » ; attention particulière à chacun pour nous motiver, par exemple en nous offrant un jus de fruit avant l’ouverture...

Petit à petit, il a commencé à prendre moins de pincettes, mais nous étions déjà sous l’emprise d’une manipulation managériale. J’en ai déjà fait les frais plusieurs fois : chantage affectif pour que j’aille au travail même quand j’étais malade – ou augmentation de mes heures de travail après lui avoir dit, pourtant, que j’avais besoin de moins travailler pour consacrer davantage de temps à mes études. Les gentillesses du début ont laissé place à une indifférence prononcée pour mes conditions de travail. Je me sens désormais dévalorisée.

Vers 15h30, c’est le rush. Mon collègue n’arrive que vers 16h ; je dois donc gérer seule la file qui commence à s’allonger. J’ai l’habitude d’enchaîner les commandes car je me retrouve souvent seule face à une forte affluence. Alors, la rapidité et l’efficacité s’imposent, au détriment d’un « contact client » faussement personnalisé. J’affiche un sourire superficiel et je sors mes phrases toutes faites pour aller plus vite, car je n’ai pas le temps de discuter avec les clients. Le chiffre d’abord, la qualité après.

Arrive 16h30. Certains produits phares sont en rupture, déjà, car les stocks ont été mal gérés. Mon supérieur n’en a pas prévu assez. Après 30 minutes de queue, parfois, les clients sont déçus, voire irrités, lorsqu’on leur annonce qu’il n’y a plus tel ou tel produit. « Encore ! »

Pas de pause

Nous arrêtons la vente à 19h30. Il nous reste 30 minutes pour nettoyer le matériel et la boutique, alors qu’il faut au moins une heure pour que ce soit bien fait. Du coup, il nous arrive d’arrêter les ventes plus tôt ou de bâcler le nettoyage pour partir à l’heure. Et encore : nous fermons souvent 20 minutes après l’heure indiquée sur notre contrat (20h). Et bien sûr, ce temps de travail ne nous est pas payé.

C’est le seul moment où je peux parler avec mon collègue. Ce soir, nous discutons de la fameuse augmentation qu’on nous fait miroiter depuis 6 mois.

Je ferme la boutique à 20h20 après 7h30 de travail debout, sans pause et sans pouvoir aller aux toilettes – car la boutique n’en a pas. Lorsque je suis seule, je ne peux pas laisser la boutique sans personne. Mais lorsque nous sommes deux, c’est le rush qui m’empêche de m’absenter.

J’ai gagné 5 euros de plus, aujourd’hui, car j’ai dépassé « l’objectif de vente ». 5 euros que je dépenserai sûrement dans un kebab, car je suis trop fatiguée pour cuisiner et la faim me tiraille. Ayant commencé ma journée de travail à 12h30, j’ai sauté le déjeuner, comme souvent...

Demain, dimanche, j’effectuerai une nouvelle fois cette journée, et lundi je reprendrai les cours, sans avoir pu me reposer de tout le week-end. Je travaille pour échapper à ma précarité d’étudiante, mais c’est au détriment de ma santé physique et mentale.