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Une grossière politique de classe
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https://www.politis.fr/articles/2018/12/une-grossiere-politique-de-classe-39728/
Le « président des riches » peut bien corriger ici ou là quelques mesures anti-pauvres, mais il ne peut pas déplaire à ses commanditaires, ni contrarier un moi tout entier habité par l’idéologie libérale.
Pour dire vrai, c’était à peu près mission impossible. Lundi soir, Emmanuel Macron a eu beau surjouer l’émotion et parfois le repentir, annoncer quelques mesures pas toutes négligeables, promettre plus de concertation, flatter les maires et les syndicats, rien n’y a fait. Et rien ne pouvait y faire, parce que le « président des riches » peut bien corriger ici ou là quelques mesures anti-pauvres, mais il ne peut pas déplaire à ses commanditaires, ni contrarier un moi tout entier habité par l’idéologie libérale. Ce reniement, aussi dénommé « changement de cap », lui est impossible, aussi psychiquement que politiquement. D’où une incapacité à entrevoir un autre partage des richesses.
Lundi soir, les pauvres ont eu droit à quelques miettes, tandis que les riches n’étaient ni sollicités ni inquiétés. Nous avons entendu un parfait discours d’injustice sociale prononcé sur un ton compassionnel. Rien qui ne puisse convaincre ni apaiser la France qui souffre. Car nous n’en sommes plus au stade où les gilets jaunes, et d’autres, ont les yeux rivés seulement sur leur fiche de paie. C’est l’organisation globale de notre société qu’ils regardent aujourd’hui. L’économie doit être une « économie morale », pour reprendre la formule du politologue Samuel Hayat. La crise sociale est devenue politique, et le Président vacille. Et son pouvoir avec lui. Le soupçon d’insincérité s’est répandu comme un poison. Emmanuel Macron bouge sous l’empire de la peur, mais ne veut rien changer, ni probablement ne peut. Et ça se voit.
Des mesures égrenées dans son allocution, une seule, la suppression de la hausse de la CSG pour les petites retraites, est apparue franche. Encore faut-il rappeler que ce n’est rien d’autre que l’annulation d’une baisse de pouvoir d’achat qu’il avait lui-même programmée. Les autres sont toutes suspectes, ou contestables d’un point de vue social. La vraie fausse augmentation du Smic s’apparente à un tour de passe-passe. Les heures supplémentaires défiscalisées ont un effet pervers avéré sur l’emploi. Les primes sont plus qu’aléatoires et laissées au bon vouloir et au bon pouvoir des patrons. En réalité, tout le monde le sait, une seule disposition aurait pu, par sa forte charge symbolique et sa portée systémique, convaincre l’opinion : c’est évidemment le retour de l’impôt sur la fortune. Emmanuel Macron l’a écarté au prix d’un raisonnement spécieux. Car aucune étude n’a prouvé que les heureux bénéficiaires de la suppression de l’ISF ont réinjecté leur argent dans l’économie productive. Et quid de la flat tax, qui plafonne l’impôt sur les revenus du capital ? Et de l’allègement de l’exit tax qui devait ralentir l’exil fiscal ? Le système est conforté. Bref, ce n’est pas lundi que Macron aura cessé d’être un président des riches, impuissant face à la colère sociale.
Un instant seulement, il a mimé le pouvoir. C’est lorsqu’il a stigmatisé les violences et les pillages. Mais en reproduisant sur ce chapitre la même asymétrie et le même déséquilibre que dans le domaine social : pas un mot sur les violences policières, les tirs de Flash-Ball, les grenades explosives qui ont mutilé des manifestants. Rien sur cette scène effarante de lycéens agenouillés, mains sur la nuque, propre à réveiller la plus sinistre mémoire coloniale, et qui fera longtemps honte à notre pays.
Au total, où en sommes-nous aujourd’hui ? Un nouvel acte de la mobilisation se prépare. Il est bien possible que les fêtes de fin d’année et la fatigue imposent une trêve aux manifestants. Il est possible aussi que les casseurs finissent par porter préjudice au mouvement, provoquant une réaction des commerçants victimes de leurs exactions. Mais rien de tout ça ne résoudra, ni ne masquera la crise politique profonde dans laquelle le pouvoir s’enfonce. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, alors que les lycées et les universités se mobilisent à leur tour : la crise sociale s’est muée en une crise politique que seule une tentative de relégitimation pourrait surmonter. Dissolution de l’Assemblée ? Référendum ? Nous sommes sans doute parvenus à ce point de rupture, où il est temps que le président « jupitérien » s’élève au niveau de sa fonction.
Enfin, on aura noté deux silences dans le discours d’Emmanuel Macron : la transition écologique n’a été que très furtivement évoquée, comme si nous étions dans un jeu de vases communicants entre le social et l’écologique. Le 27 novembre, il avait oublié le social ; lundi, il a effacé l’écologie. Et nous ne savons rien du financement des mesures annoncées, évaluées à une dizaine de milliards. Ce n’est pas notre obsession, mais c’est notre inquiétude, parce que plusieurs ministres avaient annoncé la couleur avant même l’allocution présidentielle. Ce sont les dépenses publiques qui vont être ponctionnées. Et ce sont les services publics qui vont payer. Décidément, on ne s’en sort pas tant que la question centrale du partage des richesses n’est pas posée. Autrement dit, tant que ce qu’il faut bien appeler une politique de classe n’est pas abandonnée.