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Pierre Sainton : disparition d’une figure emblématique de la lutte anticolonialiste

Lien publiée le 13 décembre 2018

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http://www.contretemps.eu/pierre-sainton-figure-anticolonialiste/

Michelle Zancarini-Fournel 

Le docteur Pierre Sainton est décédé le dimanche 9 décembre 2018 à l’âge de 94 ans.  La veillée funèbre a eu lieu le 11 décembre et les funérailles le lendemain mercredi 12. Pierre Sainton médecin généraliste à Capesterre, militant nationaliste à vie, était connu pour avoir fondé en juin 1963 à Paris avec d’autres Guadeloupéens, le GONG (Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe) qui se réclamait du tiers-mondisme et d’un marxisme-léninisme tendance maoïste. D’abord né dans la clandestinité après la dissolution du Front antillo-guyanais pour l’autonomie, le GONG est devenu légal au grand jour quand il s’est installé en 1964 en Guadeloupe.

Dans le contexte de la guerre d’Algérie, les étudiants antillais, regroupés dans des associations étudiantes, menaient depuis la métropole un combat anticolonialiste. Pierre Sainton avait été secrétaire du Comité de Liaison des étudiants coloniaux de Paris et responsable aux affaires extérieures de l’Association Générale des Étudiants Guadeloupéens. Il avait en effet repris à près de 30 ans des études à la faculté de médecine.

Le GONG développe sa propagande auprès des Antillais de métropole et de Guadeloupe avec pour mot d’ordre la libération nationale. Il obtient le soutien du parti communiste belge prochinois (dirigé par Jacques Grippa) pour imprimer son journal, des affiches et des tracts. De retour sur l’île, Pierre Sainton prononce le 30 mai, un discours sur la stèle (érigée en 1948, lors du centenaire de la seconde abolition de l’esclavage) qui commémore le sacrifice de Louis Delgrès (1766-1802) et de ses compagnons, au lieu-dit du Grand Parc Matouba, à Saint-Claude en Guadeloupe, comme il est relaté dans son autobiographie parue en 2008 :

« J’ai commencé par saluer la mémoire de Delgrès, ainsi que celles de Massoteau, Ignace et du régiment sacrifié. Je rappelai la haute valeur symbolique de l’acte de Delgrès, son appel intense de désespoir aux générations futures et le retentissement magnifique de leur exemple dans le monde entier. Je continue en annonçant la création du GONG, mouvement de libération nationale de la Guadeloupe qui doit continuer la lutte de Delgrès pour la Liberté. J’ajoute : « L’homme nait libre ; il a des droits humains, légitimes et sacrés, des droits nationaux, des droits internationaux ».  Je déclare solennellement, sur la stèle de Delgrès que le GONG, entame dès aujourd’hui 30 mai 1964, en Guadeloupe, sur le sol national, la lutte de Libération »[1].

Lors de la campagne électorale pour les législatives en mars 1967, Pierre Sainton n’arrive pas à récupérer des affiches du GONG, proclamant vouloir « Briser les urnes colonialistes » et « conquérir l’indépendance nationale » qui devaient arriver par bateau, mais avaient été saisies sur le port de Pointe-à-Pitre par la police. Il est accusé par les autorités en 1967 d’être l’organisateur d’un complot contre l’État et de l’unité de la nation à deux reprises : après mars 1967 et l’épisode de révolte urbaine à Basse-Terre consécutive à une agression raciste en s’appuyant aussi sur le texte des affiches et des tracts saisis, puis en mai 1967 à Pointe-à-Pitre après la grève des travailleurs du bâtiment quand les forces de police ont tiré sur les manifestants provoquant la mort d’au moins huit personnes identifiées (et sans doute beaucoup plus). Le Ier mai 1967 Pierre Sainton avait organisé à Capesterre une manifestation, qui avait surpris les autorités, en faveur de l’indépendance de la Guadeloupe. Une saisine de la Cour de sûreté de l’État (tribunal d’exception créé pour juger les responsables de l’OAS et dissoute en 1981) avait permis d’arrêter Pierre Sainton. Pourtant l’absence de responsabilité du GONG dans les événements du printemps 1967  est démontrée dans deux rapports policiers, l’un du 17 avril 1967 et un autre du 17 juin 1967 du commissaire Honoré Gévaudan au ministre de l’Intérieur (rapport rendu public en février 1968 lors du procès des membres du GONG devant la cour de sûreté de l’Etat, le rapport d’avril 1967 ayant été déclassifié seulement en avril 2016)[2].  L’inculpation de Pierre Sainton et des membres du GONG est due à l’obstination du préfet Pierre Bolotte et des services de Jacques Foccart. Le GONG a été dissous par les pouvoirs publics suite à la révolte urbaine des 25-26 mai 1967 à Pointe-à-Pitre et au massacre de jeunes, de travailleurs du bâtiment et de passants. Le premier mort, Jacques Nestor atteint de deux balles dans le ventre, décède à l’Hôpital général. Il avait alors 26 ans, militant du GONG et leader de masse très populaire parmi les jeunes souvent sans-emploi.

Dirigeant principal du GONG, Pierre Sainton, sans avoir donné la consigne de manifester, est présenté comme le principal responsable des émeutes par les autorités politiques et policières. Comme 17 autres indépendantistes guadeloupéens, il est arrêté, incarcéré à la prison de la Santé à Paris au début du mois de juin, et inculpé d’atteinte à l’intégrité du territoire français. Le procès se déroule devant la Cour de sûreté de l’État, du 19 février au 1er mars 1968. Des personnalités très connues sont venues témoigner à la barre : Jean-Paul Sartre, Aimé Césaire, le représentant de la Ligue des droits de l’Homme ; Me Henri Leclerc et d’autres avocats du barreau de Paris sont intervenus aux côtés d’avocats guadeloupéens pour défendre les accusés. Au terme d’une instruction et d’un procès qui n’ont pas réussi à réunir des preuves pour soutenir l’accusation, le jugement apparaît relativement clément : Pierre Sainton est condamné (avec cinq autres accusés) à une peine de prison assortie du sursis, les autres étant acquittés. Ce jugement est  considéré par les militants comme une victoire politique[3], même si le retour en Guadeloupe fut difficile pour Pierre Sainton confronté à la division parmi les militants nationalistes. Il reprit jusqu’à sa retraite ses activités de médecin généraliste tout en gardant ses convictions profondes et son combat pour l’indépendance nationale, ce qu’il relate en 2008, dans son autobiographie : Vie et survie d’un fils de Guadeloupe.

« L’oubli offense, et la mémoire, quand elle est partagée, abolit cette offense. Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ni de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. »

                                    Édouard Glissant, Une nouvelle région du monde, Gallimard, 2006

 

Notes

[1]  Pierre Sainton, Vie et survie d’un fils de Guadeloupe. Gourbeyre, Editions Nestor, 2008, p. 206. On trouve trace de ce discours dans AN 19920345/2,  liasse 3, dossier 1967. Conclusion de la note adressée au directeur général de la Sûreté nationale, 17 avril 1967.

[2]Demande de déclassification transmise aux services du Premier ministre par Michelle Zancarini-Fournel dans le cadre de la Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe. Rapport publié en novembre 2016 sur le site de la Documentation française.

[3] Archives nationales, 5 W /734, arrêt n° 838 de la Cour de sûreté de l’État.