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Climat, démocratie et Gilets jaunes

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Lien publiée le 7 janvier 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Climat, démocratie et Gilets jaunes

Contre l’oligarchie qui poursuit le désastre écologique et la casse des solidarités collectives, les écologistes ne peuvent rester sur le côté. On ne peut plus faire comme s’il y avait le climat d’un côté, les Gilets jaunes de l’autre.

La veille du 5 janvier, qui a vu le retour des Gilets jaunes, le journal possédé par MM. Kretinsky, Niel et Pigasse, alias Le Monde, publiait un éditorial sous le titre « Climat : sauver le monde en préservant les libertés ». Le texte opposait la difficulté à prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’aggravation du désastre écologique et « la survie de nos valeurs démocratiques » : la démocratie, à en croire cet article, serait incapable de prendre les mesures rigoureuses adéquates. Ce raisonnement biaisé traîne dans les discours sur l’écologie depuis des années. S’il reparait dans un journal phare de l’oligarchie, c’est qu’il a une fonction idéologique précise : faire croire que nous sommes en démocratie et évacuer la question sociale du problème écologique.

C’est une ficelle constante du régime oligarchique que d’assurer que nous sommes en démocratie. Les éditorialistes des médias dominés par leurs propriétaires milliardaires répètent en boucle ce mantra, qui leur permet d’accuser toute critique vigoureuse de la domination capitaliste d’atteinte à la République et aux institutions démocratiques.

Il n’est guère besoin de rappeler l’interpénétration des sommets de l’État et des milieux de la finance, le déni de la volonté populaire comme lors des référendums de 2005, le contrôle des médias par des tycoons des télécoms, de la banque, de l’armement, de l’énergie, etc. Tous les caractères de la dérive oligarchique des pays occidentaux sont maintenant largement documentés, entre autres depuis le livre de votre serviteur, L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratieparu en 2011. C’est une réalité maintenant évidente aux yeux de toutes et de tous, sauf des commentateurs employés par leurs maîtres pour entretenir la fiction de la démocratie.

La vérité de l’affaire, c’est que les oligarques n’ont que faire des préoccupations écologiques. Leur seul but, poursuivi depuis quarante ans par le démantèlement progressif de mécanismes démocratiques et des dispositifs de solidarité collective, est de s’enrichir sans fin. Enrichissement obtenu d’un côté par une augmentation considérable des inégalités — là aussi parfaitement documenté, notamment avec Thomas Piketty et son Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013) —, et de l’autre par une extension sans bornes du domaine productif à l’ensemble des ressources naturelles et des écosystèmes. Pour ne prendre qu’une exemple, le copropriétaire du Monde Daniel Kretinsky a fait fortune en exploitant des centrales à charbon en Europe centrale en des temps où l’inquiétude à l’endroit des émissions de gaz à effet de serre ne cessait de grandir.

« L’Etat n’assiéra plus son pouvoir que sur la puissance de ses appareils : bureaucratie, police, armée, milices »

Ce ne sont donc pas les mesures à prendre face au changement climatique qui menacent la démocratie, mais bien le comportement anti-écologique de l’oligarchie qui détruit la démocratie. André Gorz, dès 1974, avait prévu un scénario possible du pire : face à la dégradation environnementale, le capitalisme apprendrait à gérer les dégâts tout en maintenant sa domination : « Le pouvoir central renforcera son contrôle sur la société », écrivait-il, « des technocrates calculeront des normes “optimales” de dépollution et de production, édicteront des réglementations, étendront les domaines de “vie programmée” et le champ d’activité des appareils de répression. On détournera la colère populaire, par des mythes compensateurs, contre des boucs émissaires commodes (les minorités ethniques ou raciales, par exemple, les “chevelus”, les jeunes...) et l’État n’assiéra plus son pouvoir que sur la puissance de ses appareils : bureaucratie, police, armée, milices rempliront le vide laissé par le discrédit de la politique de parti et la disparition des partis politiques. »

Gorz avait intitulé ce texte (que vous pouvez lire ici), « Leur écologie et la nôtre ». En d’autres termes, l’écologie émancipatrice du peuple ne peut être la même que l’écologie répressive de l’oligarchie.

On ne peut plus faire comme s’il y avait le climat d’un côté, les Gilets jaunes de l’autre

Tout ceci prend un sens particulier au moment où la France est remuée en profondeur par une révolte jamais vue depuis 1968. Et où la question écologique — le révélateur du malaise général a été la taxe carbone — en est tout aussi motrice que le sentiment d’injustice. Du côté des dominants, on connaît la réponse : continuer à imposer la doxa néolibérale, selon le modèle lancé par Margaret Thatcher en… 1979, et qui reste la référence majeure des néolibéraux.

La Une du « Point » le 6 octobre 2016.

C’est ainsi que le 4 janvier, M. Griveaux, porte-parole du gouvernement, expliquait sans fard : « Nous allons aller plus loin dans le changement, être plus radicaux. »

Est-il besoin de dire que M. Griveaux ne pensait pas là à une politique d’économies d’énergie, à la relance d’une agriculture locale pour revitaliser les territoires délaissés, à des transports publics renouvelés, à un nouvel urbanisme, bref, à ce qui permettrait de faire face au changement climatique. Et qui n’est pas refusé par les gens, par la majorité, mais par les riches. Non, M. Griveaux pensait au programme affiché par M. Macron dans ses vœux le 31 décembre : « réformer » le système de chômage, le secteur public, les retraites. C’est-à-dire continuer à casser les systèmes de solidarité collective.

A Tours, le 5 janvier.

Que la préoccupation pour le climat grandisse comme jamais dans ce pays au même moment que la révolte des Gilets jaunes n’est pas un hasard. On ne peut plus faire comme s’il y avait le climat d’un côté, les Gilets jaunes de l’autre. Comme si les 1,9 million de personnes qui ont signé en faveur d’un recours contre l’État pour inaction climatique étaient étrangers à toutes celles qui depuis des semaines expriment leur colère sur les ronds-points et dans les rues. Il y a un lien, qui est formulé ici et là dans le brouhaha et que l’on découvre en parlant avec les uns et les autres. La tâche des écologistes est, aujourd’hui, essentielle : d’accompagner, de rejoindre — si ce n’est déjà fait —, d’enrichir un mouvement populaire d’une ampleur sans précédent depuis un demi-siècle.

L’énergie brutale qu’il déploie peut faire hésiter certains : mais il est la réponse à la violence inexorable exprimée par les dominants, et qui n’a cessé de se durcir depuis des années, comme on l’a compris naguère avec les homicides de l’écologiste Rémi Fraisse, du jeune de banlieue Adama Traoré ou du paysan Jérôme Laronze. Le mouvement des Gilets jaunes hésite encore sur ses directions, et l’extrême droite pourrait récupérer ce mouvement. Si c’était le cas, cela ne gênerait pas profondément les dominants, comme l’a montré, à propos des temps sombres de l’Allemagne hitlérienne, Daniel Guérin dans Fascisme et grand capital ou comme on le voit avec M. Bolsonaro au Brésil. Et si les Gilets jaunes échouaient, il n’y a aucun espoir que les néolibéraux qui reprendraient la main mèneraient la politique écologique indispensable. Il est important de peser pour que la colère qui s’exprime trouve son exutoire dans des voies positives.

Les écologistes ont une responsabilité. Et pour être plus précis, les classes moyennes aux revenus supérieurs — chez qui se trouve la majorité de celles et ceux qui s’engagent pour l’écologie — ont une responsabilité. Il n’y aurait aucun sens à signer une pétition pour le climat tout en restant chez soi quand la tempête agite le pays. C’est le moment d’aller parler, protester, rencontrer, aller avec les Gilets jaunes et peser pour que la lutte contre le désastre écologique se conjugue pleinement avec celle pour la démocratie et pour la justice.