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L’autoconsommation collective d’électricité bridée par l’État

Lien publiée le 10 janvier 2019

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L'autoconsommation collective d'électricité bridée par l'État

Autoconsommer collectivement son électricité paraît un excellent moyen vers la réappropriation de l’économie locale par les citoyens. Dans les faits pourtant, comme l’explique notre chroniqueur, le cadre légal français contraint beaucoup les initiatives.

Dans le secteur de l’énergie, deux mondes s’affrontent : l’ancien, celui des combustibles fossiles et carbonés ; et le nouveau, celui de technologies capables de récolter les innombrables et inépuisables ondulations de la nature. Parce que les questions énergétiques concentrent tous les enjeux (sociétaux, économiques, politiques, climatiques), elles méritent qu’ont les explique en prenant de la hauteur. Telle est l’ambition de la chronique d’Yves Heuillard, ingénieur et journaliste.

Yves Heuillard.


La loi du 24 février 2017 et son décret d’application du 28 avril 2017 permettent à plusieurs producteurs et consommateurs d’électricité voisins de se regrouper au sein d’une seule personne morale pour consommer collectivement — « autoconsommer » — l’électricité produite. Par exemple, l’électricité produite sur les toits d’un collège pourrait être partagée avec un centre commercial proche ; ou celle d’un ensemble d’habitations et de locaux professionnels pourrait l’être entre tous les occupants. Sur le papier c’est un pas vers la réappropriation de l’économie locale par les citoyens à l’échelle d’un quartier ou d’un hameau et les avantages de produire et consommer localement son énergie sont grands en matière d’économie d’infrastructure, d’emplois, et de qualité de la vie sociale. En pratique, il en va autrement : le cadre légal français de l’autoconsommation collective, avantageux mais trop contraignant, risque de freiner les projets d’initiative citoyenne stricto sensu et de les réserver à des structures professionnelles, aménageurs, syndicats d’électrification, bailleurs sociaux, promoteurs immobiliers, fournisseurs l’électricité.

Rappelons qu’une facture d’électricité est constituée de trois parties : la fourniture d’électricité, l’acheminement de cette électricité, et des taxes et contributions diverses, dont la TVA. Grosso modo, chaque part représente un tiers de la facture. En théorie, donc, l’autoconsommation collective d’électricité pourrait éviter les deux tiers de la facture si nous pouvions l’échanger comme les légumes du jardin.

La loi exige aussi que les parties prenantes soient regroupées dans une personne morale 

Sauf que l’électricité produite par les uns et consommée par les autres doit passer par le réseau public, et en supporter les coûts. L’autoconsommation entre voisins est de surcroît considérée comme une vente, et doit supporter les taxes et contributions relatives à la vente d’électricité, dont le Turpe (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité), la CSPE (contribution aux charges de service public de l’électricité), la TCFE (taxes locales et départementales), la TVA sur les consommations et sur l’abonnement et, subtilités françaises kafkaïennes, la TVA sur les taxes et la CTA, qui finance les retraites des entreprises historiques de l’industrie électrique et gazière [1]. Les comptages sont faits par le gestionnaire du réseau, Enedis, et transmis au fournisseur d’électricité de chacune des parties prenantes.

Ce qu’il faut comprendre aussi de l’autoconsommation collective est qu’il ne s’agit pas de déduire globalement de la facture d’électricité les kilowattheures (kWh) injectés sur le réseau dans l’hypothèse d’une possible consommation par le voisinage mais bien de comptabiliser les kWh effectivement consommés par les parties prenantes au moment de leur production. Il n’y a donc pas d’autoconsommation si on produit de l’électricité le jour sur son toit, qu’on l’injecte sur le réseau public qui agît comme un réservoir virtuel, et que le boulanger voisin la consomme la nuit. La loi vise à favoriser des projets où les consommations et les productions s’équilibrent en temps réel et donc à soulager le réseau dans un contexte d’augmentation des consommations.

À Saint-Affrique, dans le sud de l’Aveyron, une opération d’autoconsommation collective a été initialisée par la coopérative Enercoop Midi-Pyrénées. C’est l’une des toutes premières. L’électricité est produite par les panneaux photovoltaïques installés sur le toit d’un magasin Biocoop. Elle est partagée entre la Biocoop et une clinique vétérinaire voisine (la clé de répartition est de 50 % pour Biocoop, 20 % pour la clinique, et 30 % pour Enercoop). La loi exige que les producteurs et les consommateurs soient dans le périmètre d’un même poste de transformation électrique, mais il est très probable que ce périmètre sera étendu à un rayon d’un kilomètre d’ici l’automne 2019. La loi exige aussi que les parties prenantes soient regroupées dans une personne morale. Dans l’opération qui nous sert d’exemple, la personne morale est Enercoop Midi-Pyrénées. Elle est propriétaire de l’installation photovoltaïque de 36 kWc (kilowatts-crête), elle rémunère Biocoop pour l’utilisation de sa toiture, elle gère les relations avec le gestionnaire du réseau, Enedis, et elle facture les deux clients selon l’électricité produite, et consommée, et selon la clé de répartition choisie. Les données de comptage sont fournies par Enedis. L’excédent de production (30 %) est vendu par Enercoop à ses autres clients. Selon Enercoop Midi-Pyrénées cette opération, destinée à acquérir de l’expérience, est équilibrée pour l’investisseur, et le gain pour les parties prenantes devrait être de l’ordre de 20 % sur la partie autoconsommée.

« Tôt ou tard cette réalité économique s’imposera » 

L’exemple ci-dessus est très simple : il associe un tiers-investisseur producteur qui n’est pas consommateur et deux consommateurs qui ne sont pas producteurs. Chaque consommateur recevra deux factures, l’une pour l’électricité produite localement, l’autre pour l’électricité fournie « classiquement » par Enercoop. Mais rien ne s’oppose à des projets associant des producteurs, des consommateurs et des producteurs-consommateurs. Notez que la complexité de la facturation et de la gestion augmente avec le nombre de participants à l’opération et que confier la gestion d’une opération d’autoconsommation collective à un fournisseur alternatif d’électricité n’est pas sans intérêt.

Selon Loïc Blanc, coordinateur général de Enercoop Midi-Pyrénées, le système actuel est encore trop complexe pour créer une structure pour chaque projet, et les gains ne sont pas encore très incitatifs du fait de l’application du Turpe, de la CSPE et de la TCPE aux consommations. Mais, « ceci devrait changer en même temps que s’enclenche une dynamique autour de l’autoconsommation collective, que chacun apprend des premiers projets, y compris le législateur, et qu’une culture énergétique se développe dans la société ».

Pionnier du solaire depuis presque 40 ans, André Joffre, fondateur du bureau d’études indépendant Tecsol et président du pôle de compétitivité Derbi dédié au développement des énergies renouvelables, ne voit pas « comment on aurait pu faire [l’autoconsommation collective] plus compliquée » et il souligne l’intérêt de quelques entreprises à ralentir les choses. Il rappelle que l’électricité solaire devient compétitive face aux autres moyens de production et que « tôt ou tard cette réalité économique s’imposera ». André Joffre souligne aussi que la nouvelle directive européenne Énergies renouvelables, adoptée le 27 juin 2018, exclut les contributions de type Turpe et CSPE des projets de petite taille (inférieurs à 30 kW) et qu’il faudra modifier le cadre français de l’autoconsommation collective [2].

Mais en l’état de la réglementation, l’autoconsommation collective est-elle malgré tout intéressante ? Oui, répond André Joffre, notamment dans les zones d’activités où, outre l’économie générée (de l’ordre de 30 %), un projet collectif de centrale solaire crée aussi du lien social. Le pionnier du solaire imagine aussi des méthodes originales de financement de l’autoconsommation collective dans le logement social. Et, au-delà, il anticipe le développement de technologies de réseaux virtuels sur les réseaux publics, technologies au marché formidable dans un contexte où l’électricité solaire couplée au stockage par batterie sera très prochainement compétitive dans une grande partie du monde face à tout autre moyen de production.

Précisons enfin que l’autoconsommation collective ne s’applique pas qu’au solaire photovoltaïque : on peut imaginer notamment qu’un village entier se dote d’une éolienne, ou d’une turbine au fil de l’eau. Et les acteurs de l’énergie, dans le souci d’acquérir des compétences dans la gestion de l’autoconsommation collective, sont probablement enclins à recevoir des porteurs de projets.


[1] Le Turpe est payé par tous les consommateurs. Intégré dans le tarif de l’électricité il n’est pas visible sur votre facture. La contribution tarifaire d’acheminement (CTA), nommée de façon trompeuse, cache un prélèvement destiné à financer les retraites de l’industrie électrique et gazière. La personne morale organisatrice du projet doit transmettre les informations d’autoconsommation au fournisseur « classique » des parties prenantes. Ce dernier ajoute à sa facture les taxes et contributions liées à la partie autoconsommée. Pour certaines contributions, les taux d’application sont spécifiques à l’autoconsommation.

[2] Le 15 novembre 2018, Enerplan, le syndicat des professionnels du solaire, dont André Joffre est administrateur, a adressé au Conseil d’État un recours demandant l’annulation de la délibération par laquelle le régulateur a fixé un tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe) pour l’autoconsommation collective, mesure considérée comme « punitive ».