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On peut renverser le capitalisme sans modèle pour la suite
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par quoi remplacer le modèle de société dans lequel nous vivons dans le cas de son renversement ? Il n’y a pas de système tout prêt pour l’auteur de cette tribune, qui explique que les « révolutions » ont « le pouvoir de créer en permanence de nouvelles formes sociales, de nouvelles appartenance au monde ».
Kevin Amara est journaliste, membre de la rédaction du Comptoir et père au foyer.
S’il est une question qui revient inlassablement lorsque l’on parle de renverser la structure sociale actuelle, c’est bien celle-ci : « Oui, mais pour appliquer quel modèle de société ? » Nombre de militants se trouvent sidérés — au sens littéral du terme — par le fait de ne pas pouvoir répondre à cette question. En réalité, il n’y a pas lieu d’y répondre, pour plusieurs raisons que nous nous proposons d’étayer ici.
S’ils sont légion à proposer un système, ce n’est rien d’autre qu’un symptôme de la société industrielle, qui systématise systématiquement et aimerait organiser l’ensemble du vivant en autant d’éléments contrôlables. Or, les sociétés humaines ne sont pas, par essence, contrôlables. Du conflit naît la variation, de l’antagonisme jaillit l’invention.
Il s’agit par ailleurs de ne pas infantiliser les gens, ce qu’encourage le fait de proposer un modèle de société clé en main. S’il est insultant d’imaginer que le gouvernement représentatif soit le meilleur modèle à proposer aux sociétés humaines, il ne l’est pas moins d’imaginer que les peuples ne disposeraient pas de la capacité de créer leurs propres organisations. S’il est évident que le capitalisme mène à la destruction de l’ensemble du vivant, seul un fou pourrait prétendre avoir conçu un meilleur système pour le remplacer, pour autant que cela soit souhaitable… En effet, imaginer un modèle standard qu’il s’agirait d’appliquer à tous et partout sur la planète relève de la lubie technocratique, et l’on sait avant même de s’y risquer où cela nous conduirait : à répéter inlassablement la même erreur. Car enfin, comment imaginer que la Corse s’organiserait de la même manière que le quart nord-est de la Chine ? Faut-il faire fi de toutes les disparités culturelles, géographiques, sociales, afin de tendre vers un modèle unique ? Nous ne le croyons pas. Nous pensons qu’il y a autant de sociétés possibles qu’il existe de peuples — et nous ne nous risquerons pas à définir ici le mot peuple, le sujet est ailleurs. Une société ne fonctionne pas, elle est ou non vivable et soutenable, et afin de l’être, elle doit penser en permanence l’ajustement de ses divisions en partant des conditions effectives d’existence de ses membres, et non pas tendre vers quelque absolu.
Personne ne sait de quoi une révolution est suivie
Certains groupes souhaiteront ainsi se munir d’institutions à taille humaine visant à agencer l’ensemble de leur fonctionnement, tandis que d’autres tendront à se munir de règles afin de laisser en permanence libre cours au débat. L’un des principaux écueils dans lequel tombent nombre de militants consiste à prendre les mots pour des choses et ainsi à revêtir d’un caractère sacré les choses en question.
Personne ne sait de quoi une révolution est suivie. Les prophètes et les augures qui font florès en temps de crise prennent généralement la poudre d’escampette lorsque le pouvoir vacille. Nous ne pouvons qu’inviter à prendre le chemin, et ne pouvons donner aucune garantie quant à ce qui se trouvera au bout. Les révolutions créent de nouvelles formes d’organisation. L’insurrection crée la forme d’une protosociété. Comme l’a exposé George Orwell dans son livre Hommage à la Catalogne, lorsque l’ordre social est renversé, les conditions d’appartenance se trouvent modifiées, ainsi que les interactions entre les personnes :
Des êtres humains cherchaient à se comporter en êtres humains et non plus en simples rouages de la machine capitaliste. Dans les boutiques des barbiers, des « Avis au public », rédigés par des anarchistes — les barbiers étaient pour la plupart anarchistes —, expliquaient gravement que les barbiers n’étaient plus des esclaves. Dans les rues, des affiches bariolées conjuraient les prostituées de ne plus se prostituer. »
Puisque les révolutions possèdent le pouvoir considérable de créer en permanence de nouvelles formes sociales, de nouvelles appartenances au monde, il semble illusoire d’écrire un cahier des charges et de s’y contraindre. Par conséquent, il est tout à fait possible de répondre sereinement « Je ne sais pas » à la question : « Par quoi remplacer la société industrielle, ou le capitalisme ? »