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Dionys Mascolo, Le Communisme
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https://dissidences.hypotheses.org/11511
Dionys Mascolo, Le Communisme. Révolution et communication ou La dialectique des valeurs et des besoins, Paris, éditions Lignes, 2018, 646 pages, 27 €, postface de Michel Surya.
Un compte-rendu de Frédéric Thomas
« La seule question vraiment nécessaire est désormais celle du communisme » (p. 13). Ainsi s’ouvre ce livre dont Michel Surya, dans la postface, affirme avec raison que « Tout étonne ou déroute dans ce livre à la fois abstrus et limpide, forcené et doux, rapide et ressassant » (p. 633). De quoi est-il question dans Le Communisme. Révolution et communication ou La dialectique des valeurs et des besoins, sinon d’une exigence de renouvellement des procédés de parler et de communiquer, d’une volonté de se dégager du mensonge, du bavardage intellectuel et d’« une soumission totale à l’état de choses » (p. 19), en (re)donnant à la parole sa puissance ?
Dès les premières pages, Dionys Mascolo (1916-1997) affirme la responsabilité – hors de toute innocence – d’une prise de parole : « On n’a jamais la parole sans avoir eu la volonté, la force et le temps de la prendre, sans l’avoir fait exprès, et même sans s’être plus ou moins longuement préparé à cela » (p. 26). Or, paradoxalement, c’est du côté de la poésie, de son éthique – « il y a une éthique de la poésie elle-même, intérieure à elle, consubstantielle à elle » (p. 39) –, que l’auteur va se tourner pour trouver les moyens et l’expérience de cette communication véritable. Et de faire référence aux écrits de Georges Bataille, Raymond Queneau, Michel Leiris, Maurice Blanchot, qui, tous, à l’exception du dernier, sont passés par le surréalisme. Dionys Mascolo reconnaît d’ailleurs dans le surréalisme un « mouvement de libération », doté d’une « volonté de communication réelle » face à la littérature et au mensonge (p. 256).
Cette éthique de la poésie converge avec la critique de Marx et, plus spécifiquement, avec les textes du jeune Marx, pas ou peu connus alors en France, et que ce livre, en citant de longs extraits, contribuera à faire connaître. On lira d’ailleurs à ce propos, outre la postface de Michel Surya, son passionnant essai, La Révolution rêvée. Pour une histoire des intellectuels et des œuvres révolutionnaires 1944-1956 (Fayard, Paris 2004), où il présente Le Communisme de Dionys Mascolo comme le précurseur d’une série d’essais, publiés en 1955, soit « l’année où le marxisme a pris sa revanche sur l’oubli dans lequel le communisme le tenait » (p. 470). Reprenant la critique marxiste de la réification, Dionys Mascolo insiste sur la réduction, dans le monde capitaliste, de toute communication à « une communication de chose à chose » ; de choses à vendre et à acheter (p. 320).
Si ce livre offre, outre des formules saisissantes – « Les millions de Vietnamiens morts de faim sont des morts naturels. Mais les koulaks ont été exterminés » (p. 515) – et une réflexion aussi originale que buissonnant, il est aussi situé ; pris, en ce début des années 1950, dans le contexte de la Guerre froide, et d’une difficulté à se défaire des arguties du communisme réel. Et ce même si l’auteur n’hésite pas à qualifier la plupart des intellectuels communistes d’imbéciles ou faisant les imbéciles (p. 404). En ce sens, certains principes des dispositifs de la communication réelle peuvent être retournés contre une partie de ce livre.
Dionys Mascolo écrit, en effet, que le mensonge revient à « parler des valeurs et des fins en négligeant de parler du sort des valeurs et des fins dans le monde » (p. 131). Il dénonce la bêtise y compris ou peut-être prioritairement celle des intellectuels, engoncés dans la spécialisation. « Les fausses questions, ce sont ces problèmes sans nombre, toujours débattus par des gens qui ont choisi de se spécialiser dans le travail de les débattre » (p. 91). C’est au contraire et d’abord les « conditions mêmes de l’expression » (p. 131) qu’il faut interroger, afin de vérifier, de tester la fragilité et la possibilité même d’une parole exigeante. Mais que dire alors de la dernière partie de ce livre, qui, sous prétexte d’un attachement aux principes et à la « dialectique », en vient à défendre la fidélité à l’URSS, à défendre sa politique de la hiérarchie et à affirmer que « s’il y a encore une exploitation [en URSS], elle est politique, et non plus économique » (p. 549) ? Et Mascolo de conclure qu’il est douteux qu’une autre politique eût été possible… (p. 544).
De même, Le Communisme. Révolution et communication ou La dialectique des valeurs et des besoins consacre des pages pénibles aux procès staliniens, passant à côté de la politique stalinienne de la terreur. Dionys Mascolo écrit : « On ne parlera pas davantage de la question de savoir lequel de Staline ou de Trotsky, lequel de Staline ou de Boukharine avait raison, ce dont on pourrait discuter à l’infini, et en vain » (p. 576). C’est en fait le raisonnement qui mène à affirmer l’impossibilité ou la vanité de trancher ces points, reléguées en « fausses questions », qu’il faut dénoncer. À partir de l’exigence même de Dionys Mascolo et contre lui1.
Ces réserves mises à part, ce livre constitue, par son style, sa fermeté éthique et son exigence intellectuelle, autant un document précieux qu’un hapax dans le champ intellectuel français.
1En ce début des années 1950, l’exigence d’une appréhension critique de l’URSS était alors à l’œuvre dans les pages autrement plus clairvoyantes et radicales du groupe Socialisme ou Barbarie.