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La Guerre des pauvres
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https://npa2009.org/idees/culture/litterature-la-guerre-des-pauvres
D’Éric Vuillard. Actes sud, 80 pages, 8,50 euros.
Éric Vuillard (prix Goncourt 2017 pour l’Ordre des choses) a publié au début janvier 2019 la Guerre des pauvres. Sa parution était en fait prévue pour le printemps mais, face au mouvement des Gilets jaunes, il a décidé d’en avancer la date. Son livre est centré autour de la révolte impulsée sur les terres germaniques par Thomas Münzer, contemporain et disciple de Luther. Ce dernier est, en 1517, l’initiateur de la Réforme protestante ; il dénonce la corruption de la hiérarchie catholique et, en 1521, rompt complètement avec Rome. Il déclenche ainsi dans toutes les couches de la société allemande un mouvement de rupture idéologique et matériel aux motivations bien différentes : si les princes y voient une occasion de s’emparer des biens de l’Église, si les bourgeois des villes veulent se libérer de la tutelle de la hiérarchie religieuse, les pauvres urbains et surtout les paysanEs, eux, ne veulent plus que les accents égalitaires de l’Évangile soient renvoyés à un problématique monde futur après la mort mais exigent des réformes immédiates : abolition des taxes, des droits seigneuriaux, du servage… Münzer, dans ses écrits et ses prêches, se fait l’interprète de ces revendications et, progressivement, va rompre avec Luther.
L’égalité sur la terre sans attendre le Ciel
Les paysanEs se révoltent donc. Vuillard montre comment cette insurrection vient en fait après divers soulèvements paysans qui ont, aux 14e et 15e siècles, secoué l’Angleterre et la Bohême (il aurait pu d’ailleurs citer d’autres insurrections en Allemagne, en Suisse et en Hongrie). Il souligne à juste titre la composante religieuse de ces mouvements ; dans le contexte du Moyen Âge, où l’Église sanctifie les hiérarchies sociales, les hérésies religieuses sont souvent une forme de protestation sociale : « Les querelles sur l’au-delà portent en réalité sur les choses de ce monde ».
Face aux soulèvements paysans, Luther choisit finalement le camp des princes et de la répression, tandis que Münzer choisit celui du peuple que, non seulement, il soutient, mais essaie d’organiser. Lui et ses disciples prennent le pouvoir en février 1525 à Mühlhausen en Thuringe – Allemagne centrale – (et non à Mulhouse comme écrit dans le texte), où ils visent à mettre en œuvre non sans difficultés des réformes égalitaires et d’où ils participent à la guerre des paysanEs. Ils subissent une défaite décisive en mai : la répression est impitoyable et, à la fin du même mois, Münzer sera torturé et décapité.
Le livre est donc assez intéressant et facile à lire. Mais on peut être dérouté par l’écriture de Vuillard qui s’égare parfois dans des notations anecdotiques et obscures alors que des traits importants auraient mérité de plus amples développements. Le titre lui-même se discute : « guerre des pauvres » ou en fait guerre des paysanEs auxquels les plébéiens des villes se rallient parfois (voire certains éléments de la bourgeoisie et de la petite noblesse) ? À propos des réformes entreprises à Mülhausen : Vuillard parle de façon lapidaire d’une « mesquine démocratie d’artisans »… Il s’agit, certes d’un « récit » et non d’un livre d’histoire. L’auteur reste donc libre de son expression et de ses choix. Néanmoins, ceux qui veulent comprendre les enjeux et les affrontements de classe de cette époque essentielle où l’ordre féodal ancien subit des coups de boutoir auraient intérêt à lire la Guerre des paysans en Allemagne de Friedrich Engels1 (et éventuellement les ouvrages sur le sujet d’Ernst Bloch et Maurice Pianzola).
Négocier pour mieux réprimer
Une dernière remarque qui nous rapproche de l’actualité : Vuillard et Engels montrent que lorsque les princes craignent d’être submergés par les mouvements paysans, ils appellent à la trêve, se déclarent prêts à discuter, convoquent parfois des réunions extraordinaires à cet effet et essaient de dissocier du mouvement des éléments « modérés » ou démoralisés (ou des chefs corruptibles) ; comme l’écrit Vuillard, « il fallait que ça traîne en longueur, afin de démoraliser l’adversaire et de gagner du temps. La négociation est une technique de combat ». Puis venaient inéluctablement la violation des promesses et la répression.
Henri Wilno