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Sortir de l’enfer capitaliste
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Samedi après samedi, le mouvement des gilets jaunes confirme sa profondeur. S’il dure aussi longtemps, c’est parce qu’à travers lui s’expriment la colère et les frustrations des couches les plus exploitées de la société – celles qui, jusqu’alors, ne se mobilisaient jamais (et souvent, même, ne votaient plus). C’est une lame de fond, la magnifique et soudaine manifestation du réveil politique des masses. En d’autres termes, c’est le prélude au drame révolutionnaire dont la France sera le théâtre, dans les années qui viennent.
Dans l’immédiat, Macron table sur le reflux du mouvement. Il se dit que, tôt ou tard, la lassitude va gagner les manifestants. Mais le gouvernement ne se contente pas d’attendre. Chaque semaine, une violence policière et judiciaire inédite s’abat sur les gilets jaunes (pendant que Benalla-Raspoutine jouit de toutes les clémences). Et chaque jour, les grands médias déversent sur ce grand mouvement populaire une nouvelle vague de propagande nauséabonde. Sans surprise, l’accusation d’antisémitisme a fini par y trouver une place de choix.
Cette calomnie n’est pas très originale. En Grande-Bretagne, le dirigeant du Parti Travailliste, Jeremy Corbyn, est sans cesse accusé d’être antisémite. C’est un mensonge grotesque, mais les Conservateurs et l’aile droite du Parti Travailliste sont prêts à tout pour discréditer Corbyn – parce qu’il est issu de l’aile gauche du parti, parce qu’il oriente son parti vers la gauche et parce qu’il est le favori des prochaines élections législatives. De même, en 2006, lorsque la révolution vénézuélienne était dans sa phase ascendante, des journalistes réactionnaires ont soudainement accusé Hugo Chavez d’être antisémite. La soi-disant « lutte contre l’antisémitisme » n’est ici qu’une vile manœuvre pour tenter de discréditer des hommes politiques ou des mouvements qui remettent en cause l’ordre établi. Rien de plus.
Le mouvement syndical
Comme nous l’avons souvent souligné dans les pages de ce journal, le mouvement des gilets jaunes risque de refluer temporairement, à terme, s’il ne débouche pas sur le développement d’un mouvement de grèves reconductibles. Cela suppose de porter la lutte dans les entreprises via une puissante mobilisation du mouvement syndical. Les conditions en sont plus que jamais favorables. Mais les dirigeants confédéraux des syndicats n’ont pas la moindre intention de mettre à l’ordre du jour un mouvement de grèves reconductibles. Au mieux (CGT), ils organisent une « journée d’action » de temps à autre, malgré l’inefficacité notoire de cette forme d’action. Au pire (CFDT), ils participent au concert d’attaques contre les gilets jaunes. Tous attendent, comme Macron, que la tempête passe, après quoi ils retrouveront leur place à la « table des négociations » avec le gouvernement. Pour négocier quoi, au juste ? La régression sociale, puisque le gouvernement ne leur proposera rien d’autre à négocier.
L’énorme décalage entre la combativité des gilets jaunes et le conservatisme des directions syndicales est la contradiction centrale de la situation actuelle. Mais cette contradiction se dénouera, tôt ou tard, sous l’impact de la crise du capitalisme et de l’intensification de la lutte des classes. D’ores et déjà, un nombre croissant de militants de la CGT critiquent vertement la passivité de leur direction confédérale. La polarisation interne au mouvement syndical ne cessera de s’accentuer. A un certain stade, les dirigeants syndicaux seront mis devant l’alternative suivante : virer à gauche – ou perdre leur place au profit de dirigeants plus combatifs.
Misère du « grand débat »
Le « grand débat » arrive à son terme. Son objectif central était d’affaiblir la mobilisation dans les rues. Peine perdue. Mais à présent, le gouvernement est pris à son propre piège. Il est obligé de proposer des mesures s’appuyant sur une prétendue « synthèse » des débats. Cela promet d’être une bien mauvaise farce, car il n’a jamais été question, en réalité, que le « grand débat » ait le moindre impact sur l’orientation fondamentale de la politique gouvernementale, laquelle restera entièrement subordonnée aux intérêts du grand patronat.
On sait donc d’avance que, parmi les mesures « issues du grand débat », il n’y aura ni l’augmentation des salaires, ni l’augmentation des retraites et des minimas sociaux, ni la restauration de l’ISF, ni aucune des mesures sociales et fiscales progressistes que les gilets jaunes réclament depuis près de quatre mois. Pour faire bonne figure et diversion, des mesures « démocratiques » de troisième ordre seront sans doute avancées par le gouvernement. On ne peut exclure, non plus, qu’il propose une version très édulcorée du RIC. Mais ce qui est certain, c’est que l’agenda des contre-réformes ne bougera pas d’un iota. Les graves offensives prévues contre le système des retraites, l’assurance chômage et la Fonction publique seront maintenues. Il en va de la compétitivité du capitalisme français – et donc de ses marges de profits.
Le cynisme n’ayant pas de limite en Macronie, il est possible que le gouvernement présente ces contre-réformes comme des réponses aux attentes exprimées lors du « grand débat ». On peut douter que cela rencontre beaucoup de succès parmi les gilets jaunes et, en général, dans la jeunesse et le salariat. Sur les plateaux de télévision, les éditorialistes macroniens redoutent que la décevante conclusion du « grand débat » provoque un « retour de bâton ». Leurs angoisses sont fondées. Cependant, le « grand débat » n’est rien de plus, au final, qu’une manœuvre dérisoire et ratée. Ce qui se prépare, dans les profondeurs de la société, est beaucoup plus sérieux. Le mouvement des gilets jaunes est le début d’un processus qui va se développer sur plusieurs années et qui verra la lutte des classes s’intensifier à des niveaux inédits depuis des décennies. Nous ne l’affirmons pas simplement parce que nous le souhaitons, mais parce que c’est une conséquence infaillible de la crise organique du capitalisme. Cette crise oblige la classe dirigeante à s’attaquer brutalement à la masse de la population – ce qui, en retour, obligera la masse de la population à se défendre de façon toujours plus vigoureuse.
Le spectre d’une nouvelle crise
Les dirigeants réformistes – à commencer par les dirigeants syndicaux – rejettent cette perspective. Ils prient chaque soir, dans leurs lits, pour qu’une solide reprise économique s’engage enfin, et qu’enfin revienne le bon vieux temps de la paisible et fructueuse collaboration de classe, lorsque le patronat était disposé à céder quelques réformes. Mais leurs prières ne seront pas entendues. Non seulement aucune reprise solide ne s’annonce, mais les économistes bourgeois les plus sérieux considèrent qu’une nouvelle récession mondiale est inévitable à plus ou moins court terme. C’est indiscutable. La question n’est plus de savoir si une nouvelle crise mondiale va éclater, mais quand elle éclatera. Pire encore : les leviers qui permettent de sortir d’une récession – la baisse des taux d’intérêt et l’endettement public – ont été utilisés dans la foulée de 2008. Ils ne sont plus disponibles. En conséquence, la prochaine crise risque d’être encore plus profonde et dévastatrice que la précédente.
Ceci aura d’énormes implications sociales et politiques. Au lendemain de la crise de 2008, beaucoup de travailleurs espéraient qu’elle serait passagère et que les sacrifices exigés seraient temporaires. Ces illusions ont été balayées par dix années d’austérité et de contre-réformes. Aussi est-il probable que la prochaine crise trouve très vite une expression politique radicale dans la jeunesse et le mouvement ouvrier. Les manifestations de lycéens et d’étudiants contre le saccage de la planète en sont un signe avant-coureur. L’idée qu’il faut changer de système, et non seulement le réformer, gagnera l’esprit de millions de jeunes et de travailleurs. Nos idées marxistes et révolutionnaires trouveront une audience beaucoup plus large, parce qu’elles exprimeront fidèlement la réalité de la situation – et ce qui est nécessaire pour sortir l’humanité de l’enfer capitaliste.