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A Commercy, les «gilets jaunes» se réunissent pour «réveiller une vie démocratique dans le coma»
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Huitième et dernier reportage à Commercy (Meuse) où les «gilets jaunes» se sont organisés de la manière la plus démocratique et horizontale possible, préférant le RIC communal à la nomination de représentants officiels du mouvement
« Bientôt les "gilets jaunes" de Commercy vont devenir plus célèbres que les madeleines de Commercy », se marre une habituée de la Cabane, sorte de chalet de marché de Noël située sur le parking de la place Charles-de-Gaulle. Et pourtant la légende affirme que ces délicieux gâteaux ont été créés au 17e siècle à Commercy même. Mais l’actualité de 2019, ce sont les « gilets jaunes » de cette petite commune de la Meuse, dans le nord-est de la France.
L'intérieur de la Cabane des «gilets jaunes» à Commercy avec le dessin de Coco de «Charlie hebdo». - G. N.
Premiers de cordée de la démocratie au sein des « gilets jaunes », ils se sont fait remarquer par un appel du 2 décembre 2018 à la constitution d’« assemblées populaires » contre le recours aux représentants. Un appel qui a abouti à la tenue de la première Assemblée des assemblées de « gilets jaunes », à Sorcy-Saint-Martin, non loin de là.
Une cabane de palettes
Mais avant d’en arriver là, comme tout bon « gilet jaune » qui se respecte, les militants commerciens ont débuté par un blocage en règle des ronds-points, dès le 17 novembre. « Puis, on a rapidement arrêté. La raison était simple, on embêtait les gens comme nous », explique un homme vêtu du fameux gilet jaune sous l’auvent bâché qui prolonge la Cabane. Cette dernière a été bâtie en deux jours à partir de palettes, juste après la première mobilisation.
Ce lundi matin, il y a une grosse dizaine de personnes à se presser sous la bâche pour discuter et se protéger des bourrasques. « C’est le vent qui nous ramène des gens !, s’exclame Banou. Les visiteurs se voient offrir du café et de la brioche fournie par la boulangerie d’à côté - il y a même des galettes épinard-fromage apportées par un vendeur turc du marché. Au cœur des discussions, le rejet des pouvoirs en place. « Ce sont des beaux parleurs, balance Banou, ils se croient inamovibles et c’est leur faiblesse. »
« La démocratie, c’est bien de commencer chez soi »
Inamovible, la cabane des « gilets jaunes » l’est aussi, malgré les tentatives du maire Jérôme Lefèvre, qui n’a pas souhaité répondre à 20 Minutes. Si l’édile a obtenu des manifestants qu’ils déplacent de quelques mètres leur construction pour cause de décorations de Noël, il n’a pas pu en venir à bout malgré une demande d’expulsion. Et les « gilets jaunes » ne veulent pas lâcher. Cette cabane est au cœur de leur mouvement. « Ouverte 7 jours sur 7 sauf le dimanche matin », précise Banou, elle est le point de rencontre des « gilets jaunes » et le lieu où se tiennent leurs AG, qui réunissent entre 40 et 50 personnes, 4 jours par semaine.
Pour répondre au maire, les « gilets jaunes » de Commercy ont lancé un RIC (Référendum d’initiative populaire) communal. Deux questions simples : « Etes-vous pour ou contre la présence de la cabane des » gilets jaunes « de Commercy sur la place Charles de Gaulle ? » et « Êtes-vous pour ou contre une plus grande participation des habitants aux décisions qui affectent la commune ? » « La démocratie, c’est bien de commencer chez soi, explique Banou. Il y a une absence de vie démocratique au niveau local. Elle est dans le coma. » Et pour la réveiller, les « gilets jaunes » de Commercy ont choisi le RIC avec une vaste opération de porte-à-porte, équipés de bulletins et d’une urne artisanale.
Les urnes pour récolter les bulletins du RIC communal. - G. N.
« Il ne faut pas confondre avis personnel et avis des "gilets jaunes" »
Ce matin à 11h, c’est Patricia qui doit s’y coller, son nom étant inscrit sur le grand tableau blanc qui organise ce porte-à-porte. Mais elle n’a pas de binôme, le temps se dégrade rapidement et surtout, fait remarquer un « gilet jaune » « personne ne reste chez lui entre 11h et midi ». Opération reportée.
La grand panneau blanc où sont inscrits les binômes pour le porte-à-porte du RIC communal. - G. N.
Entre-temps, Jonathan est arrivé à vélo malgré les rafales de vent. La trentaine ce barbu coiffé d’un bun a souvent été désigné comme porte-parole des « gilets jaunes » de Commercy. Très soucieux des règles démocratiques, il recadre la volubile Banou : « Il ne faut pas confondre avis personnel et avis des "gilets jaunes", c’est important quand on parle à la presse ». Puis avec René, ils s’attaquent, plan de Commercy en main, à la répartition des rues pour les prochains porte-à-porte. « Nous avons partitionné la ville en 5 quartiers, détaille Jonathan. On organise aussi une AG dans chaque quartier où les résidents peuvent venir discuter. On l’a déjà fait à deux reprises. » Mais le porte-à-porte « prend beaucoup de temps » et certains « n’osent pas même s’il y a souvent un super bon accueil ». L’objectif d’une participation d’au moins un dixième d’électeurs de Commercy (5.800 habitants en 2015) est en passe d’être atteint.
Commercy, cœur du mouvement des « gilets jaunes » à la fin janvier
Le tract des «gilets jaunes» et le bulletin de vote pour le RIC. - «Gilets jaunes» de Commercy
Réfugiés dans un café proche en raison du mauvais temps, les « gilets jaunes » se remémorent, autour de pâtés lorrains, sorte de friands à la viande, l’Assemblée des assemblées qui s’est tenue les 25 et 26 janvier près de Commercy. « Grâce à notre appel qui a été très médiatisé, nous avons eu beaucoup de contacts avec d’autres groupes de "gilets jaunes". Il fallait qu’on se réunisse », raconte Banou. Chaque région a envoyé un binôme paritaire, qui ont échangé durant la journée du samedi tandis que le lendemain, la parole était ouverte à tous. L’Assemblée des assemblées a réuni « 450 personnes en tout, et entre 15 et 20 médias », précise René.
« Ça s’est super bien passé, témoigne Zaza, retraitée, ex-femme de militaire et qui a tenu un café à Commercy. C’était comme une grande réunion de famille, en plus fort même. » L’Assemblée des assemblées s’est conclu par un appel à davantage de justice fiscale et de démocratie, notamment. La prochaine est prévue les 5-6 avril à la Maison du Peuple de Saint-Nazaire. « J’aimerais bien y aller, lance René, rejoint sur ce point par Zaza. Ce serait bien que les porte-paroles changent. Mais on fera en fonction du vote et des volontaires. » Car à Commercy les porte-paroles (et non des représentants) des « gilets jaunes » sont élus à l’AG et ne sont pas autorisés à s’exprimer au nom du groupe sur des sujets non-traités en AG ou prendre une décision au nom du groupe.
Rejet des élus
La plus grande méfiance est donc de rigueur vis-à-vis des porte-paroles autoproclamés des « gilets jaunes », comme Jacline Mouraud, Maxime Nicolle et d’autres. « Avec la France en colère d’Eric Drouet, nous avons des contacts, nous pouvons faire des actions en commun, explique Jonathan. Mais c’est un mouvement parallèle à celui de l’Assemblée des assemblées. » Les « gilets jaunes » de Commercy refusent également de s’associer à une quelconque liste aux européennes et les mots ne sont pas tendres envers Ingrid Levavasseur. « Cela n’apporte rien aux "gilets jaunes", juge Jonathan. En plus, nous ne sommes pas prêts. »
Le Grand débat national ne trouve pas davantage grâce aux yeux des « gilets jaunes ». « On sait très bien que c’est de la com. Macron fait sa campagne sur notre dos. Faut qu’ils arrêtent de nous prendre pour des cruches », rétorque Zaza. « Lors du premier débat organisé par le maire de Commercy, on est arrivés à une vingtaine mais sans gilets, raconte Banou. Puis un membre du collectif a pris la parole pour lire un texte anti-débat qu’on avait décidé en AG. A la fin, on a tous enfilé nos gilets jaunes et on est sortis. On a fait un bel effet ! »
« Ce n’est pas évident de fonctionner ainsi »
Mais cette « démarche hyper transparente où tout est voté à main levée », selon Kevin, anti-partis, anti-syndicats et anti-représentants demande beaucoup de temps et d’énergie. « Ce n’est pas évident de fonctionner ainsi, avoue Zaza. Il n’y a pas de chef, mais une multitude ». Un exemple est donné l’après-midi même. En effet, une AG est normalement prévue à 17h30 à La Cabane. Mais celle-ci a dû être fermée en urgence à cause de la météo. Alors l’AG, annulée ou maintenue ? Les multiples avis, opinions sur Facebook et Telegram ne permettent pas de trancher. Du coup, l’AG est annulée mais tout le monde se retrouve quand même à 17h devant La Cabane…
La cohésion des « gilets jaunes » est encore plus compliquée à maintenir sur Facebook, qui laisse la part belle aux initiatives individuelles. A tel point que les militants de Commercy ont adopté une « charte du groupe Facebook ». « Avec cet outil tout le monde s’exprime et ça brouille la com, explique Kevin, 40 ans, administrateur de la page des «gilets jaunes» de Commercy. On a même eu une conseillère régionale LREM qui est venue troller notre page. »
Malgré les difficultés, personne ne souhaite lâcher, alors que plusieurs dates importantes s’annoncent : le dépouillement du Ric Communal, dimanche 10 mars, la grande manif à Paris le 16 mars, la 3e AG de Commercy le 31 mars, et enfin l’Assemblée des assemblées début avril. « Nous sommes peut-être invisibles mais pas inaudibles. On ne va pas laisser tomber là, prévient Banou. Le combat qu’on mène va durer longtemps. »