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Les Amies et Amis de la Commune, la mémoire insurgée dans la peau

Lien publiée le 18 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.liberation.fr/debats/2019/03/17/les-amies-et-amis-de-la-commune-la-memoire-insurgee-dans-la-peau_1715724?fbclid=IwAR0GomdXgIJdQrMa6MbW0aj2yWP78gnm_fIVVTEflIoI-lvfr6FKGIyyU_c

Le 28 mars 1871, dix jours après le début de l’insurrection, la Commune est proclamée à l’Hôtel de Ville (ci-dessus). Les quartiers est et nord seront bien plus impliqués que l’ouest bourgeois dans ce régime où les élus sont révocables à tout moment. «C’est une ville extrêmement complexe, très politisée mais il y a aussi beaucoup de spectateurs, qui ne prennent pas part, que ce soit pour ou contre le régime communard», rappelle Laure Godineau, historienne à Paris-XIII. 

Le 28 mars 1871, dix jours après le début de l’insurrection, la Commune est proclamée à l’Hôtel de Ville (ci-dessus). Les quartiers est et nord seront bien plus impliqués que l’ouest bourgeois dans ce régime où les élus sont révocables à tout moment. «C’est une ville extrêmement complexe, très politisée mais il y a aussi beaucoup de spectateurs, qui ne prennent pas part, que ce soit pour ou contre le régime communard», rappelle Laure Godineau, historienne à Paris-XIII.  Gravure Agostini. Getty Images

Nichée dans le quartier parisien de la Butte-aux-Cailles, une association s’est chargée d’entretenir le souvenir de l’insurrection qui a débuté le 18 mars 1871. Une mémoire militante ravivée par des bénévoles motivés et des actions dans toute la France.

Les étudiants peuvent encore profiter du quartier de la Butte-aux-Cailles (sud-est de Paris), manger dans un saladier en inox Chez Gladines pour moins de 10 euros, un couscous Chez Mamane ou boire des coups au Diamant sans trop se ruiner. Y acheter un appartement est, certes, devenu impossible pour le commun des mortels mais la gentrification y est moins perceptible que dans d’autres endroits de la capitale. La rue des Cinq-Diamants, l’une des deux artères majeures du quartier, abrite également un phare pour les âmes de gauche égarées, qu’elles soient nostalgiques ou offensives : le siège des Amies et Amis de la Commune.

Rendre visible cette aventure politique

Dans la vitrine, livres engagés, drapeaux, affiches. A l’intérieur, Charles Fernandez, membre de la commission du patrimoine de l’association, est au travail, dans la droite ligne de la mission que s’est fixée l’association : entretenir une mémoire militante des événements de 1871. L’enjeu a émergé très tôt. En 1882, deux ans à peine après l’amnistie, des communards revenus d’exil ou du bagne fondent l’association lors d’un banquet, pour pouvoir s’entraider au sein d’une société où les élites leur sont souvent hostiles. «Ils voulaient déjà faire vivre la mémoire de la Commune car l’Etat voulait l’effacer de Paris et de la France», précise Françoise Bazire, secrétaire générale de l’association. Les communards ont aujourd’hui disparu mais l’objectif du collectif reste : «Rappeler l’œuvre de la Commune, défendre la mémoire des communards et obtenir leur réhabilitation», ajoute-t-elle.

Expos, conférences, promenades dans Paris, pièce de théâtre… Dans un passionnant bulletin trimestriel, les Amies et Amis de la Commune font le portrait d’un insurgé, racontent la vie de l’association. Ils s’échinent aussi à rendre visible cette aventure sociale et politique dans l’espace public. Un panneau présentant Jules Joffrin a été installé, il y a deux ans, sur le quai de la station de métro qui porte le nom du membre de la commission militaire du XVIIIe arrondissement pendant la Commune, à l’initiative de l’association - et sur les deniers d’un adhérent (plusieurs milliers d’euros). Plus ambitieux encore, une pétition a été relancée pour qu’une autre station de métro, Belleville, soit rebaptisée du nom de l’insurrection qui a duré deux mois et demi. Le vœu avait été voté au Conseil de Paris en 2015 mais la RATP avait finalement rejeté l’idée pour ne pas créer de confusion dans la tête des usagers.

La Commune est toujours d’actualité

Pour fêter le début de l’insurrection, chaque 18 mars, les Amies et Amis de la Commune font des interventions dans un arrondissement parisien- ce lundi, cela se déroule dans le VIe arrondissement (1). Des banquets commémorent la création de l’association fin mars, et la fête de la Commune est célébrée en septembre. La montée au mur des Fédérés au Père-Lachaise, fin mai, est, quant à elle un moment crucial : elle a eu lieu sans interruption depuis 1880, même pendant la Seconde Guerre mondiale (un bouquet de fleurs était jeté par-dessus l’enceinte du cimetière pour marquer le coup). Il permet de rappeler que les victimes de la Semaine sanglante se comptèrent par dizaines de milliers : les insurgés ou considérés comme tels furent fusillés, égorgés sans autre forme de procès.

Au cours du XXe siècle, la montée au mur a longtemps comporté un gros contingent de communistes. Mais le professeur d’histoire à Paris-VIII Claude Willard, président des Amis de 1984 à 2007, a œuvré pour casser toute étiquette politique. Françoise Bazire : «C’est désormais pluriel, comme sous la Commune. On ne pose pas de question : nos adhérents sont du NPA, du PS, communistes, de Lutte ouvrière, francs-maçons… En période d’élection, il y a bien évidemment des discussions animées mais cela reste toujours fraternel.»

Ceux qui ont déjà entendu parler de la Commune n’en connaissent souvent que les grands traits. Mais l’insurrection, qui s’est pourtant soldée par une cruelle défaite, reste aujourd’hui encore une source à laquelle puisent de nombreux mouvements sociaux - la Commune apparaît ainsi régulièrement dans les tags ou slogans des gilets jaunes. En deux mois et demi, le régime de la Commune a acté la séparation des Eglises et de l’Etat plus de trente ans avant la République ; il a voté l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes ; il a offert les fournitures aux écoliers. Et alors qu’aujourd’hui le droit de vote des étrangers aux élections locales n’est même plus à l’ordre du jour, des élus hongrois ou allemands représentaient à l’époque le peuple parisien tandis que des généraux polonais le défendaient. «La Commune est toujours d’actualité. Dans les manifs, à Nuit debout ou lors de la Marée humaine, tout le monde va pêcher dans cette période, car chacun se reconnaît dans quelque chose de la Commune», souligne Joël Ragonneau, coprésident de l’association.

En 1871, la Commune n’est pas que parisienne. Si la capitale abrite sa version la plus longue et radicale, d’autres villes se soulèvent : Lyon, Marseille, Le Creuzot, Narbonne… L’historienne Jeanne Gaillard a montré comment cette révolte à multiples foyers s’est éteinte dans chaque cité avant que le piège versaillais ne se referme sur Paris. Reste que le souvenir de la Commune n’est pas une exclusivité parisienne, une chasse gardée. Une dizaine de comités locaux des Amis existent, certains plus actifs que d’autres - ceux de Nîmes, de la Sarthe ou du Berry ont déjà annoncé des conférences ces prochaines semaines. Et depuis le 140e anniversaire de la Commune, une nouvelle génération d’adhérents a grossi les rangs de l’association, qui en compte 2 200 aujourd’hui.

Organiser un parcours communard

L’attrait pour cette période ne s’arrête pas aux frontières hexagonales. Des adhérents italiens, d’Europe de l’Est et même un Japonais font partie de la cohorte. «Chaque année, l’un des dix adhérents américains m’envoie un mail pour me demander la date de la montée au Mur et venir en France "se ressourcer", note François Bazire. En vérité, la Commune semble mieux connue à l’étranger que dans notre pays…» Charles Fernandez, de la commission patrimoine de l’association, confirme : «A la fête de la Commune de septembre dernier, on avait une représentation sud-américaine non négligeable : des Argentins, des Uruguayens, des Cubains, des Colombiens et des Mexicains. Ils nous ont expliqué que chez eux, à l’école, la Commune leur était enseignée.» Des comités se sont créés à Luxembourg, à Bruxelles ou à Milan.

En France, l’insurrection a longtemps été boudée dans les manuels scolaires, et l’association œuvre pour combler ce retard. Une pièce de théâtre a ainsi été présentée à une centaine d’élèves en CM2 dans une école du quartier, près du local, en 2016. «Les questions pertinentes de ces enfants…s’émerveille Françoise Bazire… une gamine demande : "Ah ! bon mais il y avait l’égalité des salaires hommes-femmes, mais pourquoi ce n’est plus comme ça ?" C’est la prise de conscience politique qui commence déjà !» Les choses évoluent, les Amis sont en contact avec des éditeurs de manuels scolaires ou avec le Cned - et ce sont parfois des professeurs eux-mêmes qui viennent vers l’association. Il y a trois ans, une institutrice des Bouchoux (Jura) a organisé un séjour à Paris pour ses élèves et a demandé aux Amis de leur organiser un parcours communard.

Au moment de quitter les locaux de l’association, Charles Fernandez rejoint notamment par Sylvie Pepino, coauteure du Petit Dictionnaire des femmes de la Commune et édité par les Amis, reprennent leur travail pour la commission du patrimoine. On remonte la rue des Cinq-Diamants, on arrive sur une place triangulaire. Des bars sont ouverts, l’atmosphère est paisible. Il y a cent quarante-huit ans, les combats ici figuraient parmi les derniers de la rive gauche pendant la Semaine sanglante. En 2000, Jacques Toubon, Défenseur des droits aujourd’hui, élu du XIIIe arrondissement à l’époque, y inaugurait la place de la Commune-de-Paris. Les amis des insurgés veillent non loin de là.

(1) Le programme du parcours est disponible sur le site de l’association : http://www.commune1871.org