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Fonction publique : contractuel, un statut au rabais

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Lien publiée le 28 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.anti-k.org/2019/03/27/emploi-fonction-publique-contractuel-un-statut-au-rabais/

Aletrnatives économiques, 27 mars 2019

Précarité accrue, moindre indépendance : l’augmentation du nombre d’agents n’ayant pas le statut de fonctionnaire interroge l’avenir de l’emploi et des services publics.

Emploi à vie, sécurité des carrières : les stéréotypes sur la fonction publique ont été quelque peu écornés ces derniers temps. Car de plus en plus souvent les agents de l’Etat sont des contractuels, qui ne bénéficient pas de toutes les garanties et protections attachées au statut de fonctionnaire. Et le projet de réforme de la fonction publique présenté ce mercredi en conseil des ministres prévoit, entre autres, d’élargir le recours à cette forme d’emploi, qui coexiste à côté du statut de fonctionnaire sans en garantir les mêmes droits.

Un recours croissant

Ce recours n’a certes rien de nouveau : l’Etat employeur recourt aux agents non statutaires dès 1946 ! Mais ceux-ci ne sont réellement reconnus que dans les lois de 1983 et 1984 sur la fonction publique. Le recours aux contractuels y est encore vu comme une anomalie, qui n’est justifié que dans trois cas précis. Le premier, quand il s’agit de répondre à un besoin permanent « lorsqu’il n’existe pas de corps de fonctionnaires susceptible d’assurer les fonctions correspondantes » ou « lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifie ». Mais cela concerne uniquement les emplois de catégorie A (les plus qualifiés), et la durée maximale du contrat est alors de six ans.

Deuxième cas justifiant le recours aux contractuels : pour répondre à un besoin temporaire (remplacement momentané d’un agent absent, ou pour faire face à un accroissement temporaire d’activité). Le contrat ne peut alors durer plus de 12 mois sur une période de 18 mois consécutifs. Dans le troisième cas, enfin, le recours au contrat peut être utilisé comme période de pré-recrutement avant la titularisation comme fonctionnaire.

Entre 2011 et 2017, le nombre de contractuels est passé de 900 000 à 1 million, et leur part au sein des agents de droit public de 16 % à 17,9 %, voire 19 % dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières.

S’ils sont donc loin d’être majoritaires dans le « stock » de l’emploi public, ils le sont en revanche parmi ceux qui sont y entrés récemment. La prudence toutefois est de mise, car la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) et l’Insee ne donnent pas de chiffre sur les recrutements, mais seulement les « entrées ». Celles-ci comprennent, outre les embauches, les retours de congé maternité ou de disponibilité. Mais « ces phénomènes restent minoritaires. Les chiffres des entrées donnent donc une bonne approximation des recrutements », précise la sociologue Aurélie Peyrin, autrice de Sociologie de l’emploi public (à paraître en juin 2019 chez Armand Colin). Si les chiffres ne permettent pas de remonter très loin dans le temps, ils montrent néanmoins que les contractuels constituent plus de 50 % des recrutements. La part des contrats aidés, elle, a fortement diminué.

La notion de contractuels de la fonction publique recouvre cependant des réalités très diverses. Quoi de commun entre une économiste chargée de faire tourner des modèles sur la réforme des retraites à Bercy, le personnel d’une cantine scolaire ou un assistant (ou plus souvent une assistante) de service hospitalier ?. S’il n’y a pas de chiffres sur les contractuels en CDI (voir encadré), plusieurs études permettent de tracer des lignes de force.

De manière générale, la proportion de contractuels diminue quand le niveau hiérarchique augmente, à l’exception toutefois de la fonction publique territoriale. Cette dernière compte cependant beaucoup d’agents en catégorie C, que ceux-ci soient fonctionnaires ou contractuels.

Les contractuels sont également plus souvent exposés au temps partiel. L’écart est particulièrement important dans la fonction publique d’Etat : 40 % des contractuels qui y travaillent sont à temps partiel, contre 11 % des fonctionnaires. « Cette surreprésentation s’explique notamment pour une raison juridique », précise la chercheuse Aurélie Peyrin : « Hormis dans le cas particulier des petites communes de moins de 1000 habitants, il n’était pas possible légalement de créer des emplois statutaires à temps partiel ».

Temps partiel ou non, les contractuels sont également moins bien payés que les fonctionnaires. En moyenne, un contractuel de la fonction publique d’Etat touche 2045 euros nets par mois en équivalent temps plein (mais, rappelons-le, ils sont très souvent à temps partiel). Dans une étude récente sur les hautes rémunérations dans la fonction publique, l’Insee indique que seul 1 % des contractuels touche plus de 6410 euros nets par mois (c’est le seuil retenu pour définir une rémunération haute), contre 92 % des chefs de service et sous-directeurs d’administration centrale et 34 % des praticiens hospitaliers.

Les contractuels représentent 5,4 % des agents qui touchent une rémunération supérieure à 6410 euros nets par mois, contre 42 % pour les praticiens hospitaliers, mais seulement 1,5 % pour les personnels titulaires de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le Graal de la titularisation

On pourrait, certes, imaginer que le statut de contractuel soit un marchepied vers un statut plus pérenne. De telles trajectoires existent bien, mais elles sont loin d’être les plus fréquentes, comme le montre une étude de la DGAFP. Les auteurs ont observé les trajectoires professionnelles de 80 0000 contractuels entre 2011 et 2015. Ils ont repéré 7 grands types de trajectoires.

Le groupe le plus nombreux est constitué de salariés n’ayant effectué que des contrats très courts sur la période, « en moyenne trois trimestres actifs » entre 2011 et fin 2015, soit quelques mois : ils représentent entre 40 et 48 % des effectifs selon la branche. Les « contrats longs » rassemblent, eux, des contractuels cumulant plusieurs trimestres actifs consécutifs (deux ans en moyenne), mais qui ont pour la plupart quitté la fonction publique en 2015. Les « contrats longs renouvelés ou CDI » sont ceux qui ne changent pas de statut pendant la période. Les quatre autres trajectoires correspondent à des changements de statut au cours de la période, qu’ils deviennent fonctionnaires ou changent de statut (militaire, contrat aidé, professeur de l’enseignement privé sous contrat, etc.).

Les contrats longs (deux ans en moyenne) sont une particularité de la fonction publique d’Etat. Ce sont par exemple des postes d’assistant d’éducation ou d’ATER à l’université, qui ne mènent que partiellement à une titularisation. Titularisation qui est particulièrement difficile à obtenir au sein de la fonction publique d’Etat. Les fonctions publiques territoriale et hospitalière, elles, comptent beaucoup de catégories C, et donc de titularisations sans concours, où le contrat sert de pré-embauche.

« Il y a une petite armée de contractuels qui vont de contrats en contrats et ont plus de mal que les autres à être pérennisés » Aurélie Peyrin, sociologue

« La fonction publique recourt à des agents très temporaires », observe la sociologue Aurélie Peyrin. « L’argument avancé est souvent celui des ‘besoins du service’. Ce peut être le cas d’une personne qu’on teste et qui, si elle convient, sera recrutée pour une durée plus longue ou titulariséeMais ce sont aussi des cas où l’employeur public dit « on pourra te recruter pour deux mois, et peut-être qu’on pourra te renouveler, mais on ne sait pas » : il y en a beaucoup à l’université, souvent dans des emplois administratifs. Ou encore des informaticiens qu’on balade d’un établissement à l’autre. Il y a une petite armée de contractuels qui vont de contrats en contrats et ont plus de mal que les autres à être pérennisés ».

Discipliner la main d’œuvre ?

A côté des statistiques, des études qualitatives, comme celle menée par Aurélie Peyrin auprès de statisticiens contractuels employés dans les ministères, montrent que le recours aux contractuels signifie souvent un retour à une relation professionnelle entre salarié et employeur marquée par un certain arbitraire, là où l’instauration de concours de recrutement avait justement eu pour objectif, historiquement, d’y mettre fin. Cela concerne par exemple la rémunération ou le renouvellement du contrat : il n’y a pas de négociation, la culture administrative continue de prévaloir (« on ne négocie pas avec l’Etat employeur »). Ce même si les pratiques de recrutement varient d’un ministère à l’autre et d’un individu à l’autre.

L’agent contractuel est placé dans une situation précaire tout en étant à des règles et pratiques contraignantes spécifiques aux fonctionnaires

« La relation d’emploi contractuelle a ainsi pour principal effet d’inscrire l’agent dans une relation de dépendance vis-à-vis du chef », indique l’article. L’agent contractuel doit donc faire avec une situation professionnelle plus précaire que s’il était statutaire, tout en étant de fait soumis à un certain nombre de règles ou de pratiques contraignantes qui sont celles qui s’imposent aux fonctionnaires. « Malgré les réformes successives et la mise en place d’outils de gestion censés moderniser la gestion des fonctionnaires, leur effet réel sur l’individualisation des carrières et des rémunérations des agents statutaires apparaît encore limité. Par contraste, le recrutement sur contrat offre aux encadrants de proximité et aux responsables hiérarchiques un véritable outil pour discipliner la main d’oeuvre : leur avis est primordial. », conclut la chercheuse.

Une transformation profonde de l’emploi public

Deux régimes d’emploi coexistent aujourd’hui dans la fonction publique. Présentés comme complémentaires par les gouvernants, ils n’offrent pas les mêmes garanties en termes de retraite, de sécurité ou encore de carrière. Au-delà de la dualité entre fonctionnaires et contractuels et de la diversité que recouvre chacune de ces catégories, on constate aussi une dualité dans les structures, et la part croissante accordée aux établissements publics administratifs (EPA), nationaux ou territoriaux (Agence nationale de l’habitat, Caisse nationale des autoroutes, Agences de l’eau, Agence française pour la biodiversité, Agence nationale de la recherche, Agences régionales de santé…).

Le tableau est plus inquiétant encore si l’on élargit la focale de la fonction publique au service public. Au sens de l’Insee, la fonction publique recouvre les emplois régis par le droit public : les fonctionnaires bien sûr, mais aussi les contractuels, qui dépendent d’un régime de droit public distinct du code du travail, et parallèle au régime statutaire des fonctionnaires, plus favorable. Mais s’intéresser à l’ensemble des organismes qui remplissent des missions de service public oblige alors à inclure les services financés par l’impôt, comme les caisses de sécurité sociale ou l’Urssaf, mais dont les agents sont régis par des contrats de droit privé.

Or déléguer la mise en œuvre des services publics de santé, d’emploi, d’énergie, de culture, ou d’éducation à des opérateurs de droit privé constitue l’un des axes de réforme préconisée par l’actuel gouvernement, comme en témoigne le récent rapport du Comité Action Publique 2022, « Service public : se réinventer pour mieux servir ». Toute la conduite des politiques publiques pourrait, à terme, être déléguée à des opérateurs sous tutelle de l’Etat.

Recours accru aux contractuels, part croissante des établissements publics administratifs, missions de service public déléguées à des opérateurs privés : ces évolutions multiformes sont le signe d’une transformation en profondeur de l’action publique et des modalités d’intervention de la puissance publique. A l’œuvre depuis plusieurs années, elles se font à bas bruit alors qu’elles témoignent d’évolutions fondamentales.

CÉLINE MOUZON