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Socialisme ou barbarie

Lien publiée le 29 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marxiste.org/actualite-francaise/politique-francaise/2504-socialisme-ou-barbarie-edito-du-n-33

En 1915, alors que l’humanité s’enlisait dans le carnage de la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg ouvrait l’un de ses écrits par la question : « Socialisme ou barbarie ? ». Elle expliquait : « Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme (...). Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l’avenir de la civilisation et de l’humanité en dépend. » [1]

Plus d’un siècle a passé. Le stalinisme et le réformisme ont empêché la victoire du socialisme. La Seconde Guerre mondiale a repoussé les limites de la barbarie et ne fut pas loin d’emporter toute la civilisation. Dans la foulée de cette guerre, cependant, une longue phase d’expansion du capitalisme s’est engagée – les « Trente Glorieuses » – qui a renforcé les illusions dans la viabilité de ce système, du moins dans les pays les plus développés. Puis la chute de l’URSS et du Bloc de l’Est, au début des années 90, sembla donner le coup de grâce aux adversaires du capitalisme. Francis Fukuyama proclamait « la fin de l’Histoire » : décidément, l’économie de marché était bien la forme ultime de la civilisation humaine – et le cadre indépassable de ses progrès à venir.

Crise économique

Trente ans plus tard, cette idée n’est plus très à la mode. Même parmi les intellectuels de la bourgeoisie, seuls quelques illuminés osent encore professer que, laissé à lui-même, le « libre marché » débouche spontanément sur le meilleur des mondes possibles – où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », comme l’écrivait le poète. La crise mondiale de 2008 – la plus grave depuis les années 30 – a réduit en cendre ces illusions. En outre, la « reprise » qui a suivi la crise est la plus faible de toute l’histoire du capitalisme. Pire encore : les économistes bourgeois les plus sérieux préviennent qu’une nouvelle récession mondiale est à l’ordre du jour. En effet, au cours des dix dernières années, les bourgeoisies n’ont réglé aucun des problèmes structurels du capitalisme mondial. Elles ont simplement regonflé les énormes bulles spéculatives qui avaient éclaté en 2008. Depuis, la dette mondiale (publique et privée) est passée de 208 % à 230 % du PIB mondial. C’est insoutenable.

Les uns après les autres, les feux passent au rouge. Le commerce mondial vit sous la menace permanente des tensions protectionnistes qui se développent entre les Etats-Unis, la Chine et l’Europe. Celle-ci redoute aussi les effets du Brexit, dont personne ne sait comment il va se solder. Les économies chinoise, allemande et canadienne ralentissent nettement. L’Italie a replongé dans la récession. En France, le miracle annoncé du macronisme n’a pas eu lieu : 2,7 % de croissance en 2017, puis 1,6 % en 2018 et enfin, selon les projections de la Banque de France, 1,3 % en 2019.

Pour la masse des jeunes et des travailleurs, ce que tout cela signifie est parfaitement clair. D’une part, ils ne profitent pas et ne profiteront jamais de la reprise économique, d’autant que les politiques d’austérité se poursuivent et s’aggravent. D’autre part, le pire est à venir. Une récession mondiale se traduira par une nouvelle flambée du chômage, par une avalanche de fermetures d’entreprises – et, de manière générale, par un développement brutal de toutes les formes de misère. Dans les régions du monde les plus pauvres, des centaines de millions de personnes seront exposées à la famine, comme l’est aujourd’hui le peuple yéménite martyrisé par les bombes saoudiennes (et made in France). De nouvelles guerres impérialistes – ou fomentées, financées et appuyées par les impérialistes – ravageront des pays du Moyen-Orient, d’Afrique et d’ailleurs. Bref, le capitalisme est loin, très loin d’avoir réalisé tout son potentiel de barbarie.

Crise environnementale

C’est d’autant plus évident que, désormais, la crise environnementale prépare des catastrophes inouïes à l’horizon des prochaines décennies. A terme, c’est la survie de l’espèce humaine qui est en jeu.

« Aucun rapport avec le capitalisme ! », répond Yannick Jadot, le dirigeant des Verts (EELV). Partisan d’une « écologie positive et pragmatique », il a tenu à réaffirmer, récemment, son attachement « à la libre entreprise et à l’économie de marché ». Autrement dit, Yannick Jadot ne voit pas – ou prétend ne pas voir – la contradiction qui existe entre l’impératif de rationaliser la gestion des ressources naturelles, d’un côté, et, de l’autre, l’anarchie économique totale qui résulte de la course aux profits, sous le capitalisme. Son « pragmatisme » est donc « positivement » suicidaire.

Oublions ces « écologistes » bourgeois qui, dans les faits, sont bien plus bourgeois qu’écologistes. Et la gauche ? Où en est-elle, sur cette question ? Le PS et Générations partagent le point de vue de Mr Jadot, à quelques virgules près. Seule la France insoumise (FI) défend l’idée d’une « planification écologique ». On se félicite du retour de l’idée de « planification » dans le programme d’une grande organisation de gauche. Cependant, une planification écologique ne sera possible que sur la base d’une planification économique, laquelle suppose l’expropriation des grands capitalistes et le transfert de l’appareil productif entre les mains des producteurs eux-mêmes, c’est-à-dire des salariés. Or le programme officiel de la FI ne propose qu’un petit nombre de nationalisations. Il prévoit de laisser la grande majorité des leviers de l’économie entre les mains des capitalistes. C’est une contradiction qui doit être levée – faute de quoi la FI, une fois au pouvoir, ne pourra pas appliquer son programme. [2]

Une question de classe

Sur la question environnementale comme sur toutes les autres questions, il faut partir d’un point de vue de classe. C’est précisément ce que ne fait pas la FI. Jean-Luc Mélenchon affirme qu’il y aurait quelque chose comme un « intérêt général humain », face aux défis écologiques. Mais c’est une abstraction dénuée de toute valeur pratique. Dans le domaine social comme dans le domaine environnemental, les intérêts des capitalistes sont irréductiblement opposés aux intérêts des travailleurs. Les classes dirigeantes du monde entier peuvent être effrayées par les conséquences de leurs actes, mais elles sont incapables d’agir autrement, car elles sont soumises aux impératifs de leur propre système, c’est-à-dire aux impératifs de la course aux profits. Face aux désastres qu’elles préparent, elles sont peut-être saisies, parfois, d’une angoisse furtive, mais elles finissent toujours par se rallier au mot d’ordre : « après nous, le déluge ! ». Et donc, pour éviter le déluge, il nous faudra écarter du chemin cette classe parasitaire.

Les forces sociales qui doivent prendre le pouvoir – pour en finir avec l’exploitation, la misère et le saccage de la planète – commencent à se mobiliser en masse, partout. Ce sont, par exemple, les millions d’Algériens qui se soulèvent contre un régime de pillards corrompus et soumis aux puissances impérialistes. Ce sont les gilets jaunes et tous les exploités que ce magnifique mouvement représente. Ce sont les jeunes qui, dans le monde entier, se mobilisent pour le climat. Bref, c’est notre classe, la seule qui puisse sortir l’humanité de l’enfer capitaliste. A nous, maintenant, de lui proposer un programme et une stratégie à la hauteur de cette tâche immense. A nous de convaincre notre classe que la formule de Rosa Luxemburg – « socialisme ou barbarie » – est toujours, un siècle plus tard, d’une brûlante actualité.


[1La crise de la social-démocratie.

[2] Malgré son nom, le Parti Communiste Français ne va pas plus loin. Récemment, son secrétaire national, Fabien Roussel, avançait fièrement la proposition de « nationaliser une banque privée ». Une seule banque privée ! Et sans même préciser laquelle…