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Quand la spéculation s’empare du saucisson
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.anti-k.org/2019/04/14/quand-la-speculation-sempare-du-saucisson/
L’Humanité, 11 avril 2019
Depuis des mois, en dépit de la hausse des coûts de production dès la fin de l’été dernier, les cours du porc en France restaient compris entre 1,16 et 1,20 euro le kilo de carcasse. Même la loi Egalim, votée le 2 octobre par le Parlement afin de tenir compte des coûts de production, n’y avait rien changé. Mais la peste porcine africaine sévissant en Chine depuis des mois y a réduit le cheptel de truies reproductrices de 19 %. Du coup, les pays exportateurs bénéficient de la spéculation. Au cadran de Plérin, le prix du kilo de carcasse de porc est monté à 1,39 euro en quatre semaines. Il reste à savoir pour combien de temps. Une alimentation porcine 100 % granivore
Voici une bonne nouvelle pour les éleveurs de porcs : les prix sont en train de remonter après avoir traîné des mois durant entre 1,16 et 1,20 euro le kilo de carcasse sur le marché au cadran de Plérin, dans les Côtes-d’Armor. Cette hausse sur quatre semaines porte le prix français à 1,39 euro le kilo de carcasse, le prix allemand étant de 1,60 euro, favorisé par les bas salaires des travailleurs « détachés » dans les abattoirs. Ajoutons que la hausse de prix français ne doit rien à loi Egalim votée le 2 octobre 2018 par la majorité présidentielle. Car la hausse que l’on observe actuellement n’est nullement liée à l’augmentation des coûts de production, réelle depuis la fin de l’été 2018. À la suite d’une récolte céréalière en baisse, on a vu monter les prix des céréales secondaires de 15 % à 20 % des mois durant. Actuellement, la hausse du prix du cochon est mondiale. Elle se décide dans les salles de marchés, à la suite d’un recul de 18 % du cheptel de truies en Chine, où sévit la peste porcine africaine.
Depuis que l’élevage porcin s’est industrialisé voilà environ un demi-siècle, la nourriture de cet animal omnivore est devenue 100 % granivore. Elle est désormais quasi exclusivement composée de céréales concassées auxquelles on ajoute des tourteaux de soja, de colza ou de tournesol, une fois ces graines protéagineuses et oléagineuses pressées pour produire de l’huile. Naguère, le lait écrémé était disponible dans les fermes qui produisaient du beurre pour le commerce. Ce lait entrait donc tous les jours dans l’auge des cochons. Il s’agissait d’une « pâtée » comportant aussi de la pomme de terre cuite, de la betterave fourragère, du navet, du rutabaga, sans oublier l’orge concassée, voire le son que les paysans rapportaient de chez le meunier après avoir troqué leurs quintaux de farine contre autant de pain chez le boulanger du village.
Du début de l’automne dernier à la mi-mars 2019, le prix des céréales fourragères était de 20 % plus élevé que le prix moyen durant les mêmes mois de l’automne 2017 à la mi-mars 2018. Mais les prix des porcs charcutiers à la cotation du marché au cadran de Plérin ont traîné entre 1,16 et 1,20 euro le kilo de carcasse durant ces mêmes mois. Ces prix ont été 15 % plus bas en moyenne que durant les mêmes mois des deux années précédentes alors que les prix des aliments du bétail étaient en hausse de 10 % pour les raisons évoquées plus haut. Depuis quelques semaines, les prix du blé panifiable et ceux des céréales fourragères ont baissé d’environ 15 % sur le marché physique. Il en est ainsi parce que le stock mondial de fin de campagne pourrait être plus élevé que prévu. En France, les marchands d’aliments n’ont pas baissé leurs prix, fait remarquer la FRSEA des Pays de la Loire, alors que l’alimentation des porcs entre pour 70 % dans les coûts de production.
Les salaisonniers piégés en dépit de la loi Egalim
Le vote de la loi Egalim – dont on nous disait qu’elle fixerait les prix en tenant compte des coûts de production – n’a produit aucun effet entre le vote du 2 octobre 2018 et la fin des négociations entre les distributeurs et leurs fournisseurs le 28 février 2019. C’est seulement la demande chinoise qui a fait bondir la cotation du porc de 20 % à Plérin. Cette hausse, dont les éleveurs avaient un grand besoin, vient de faire de nouvelles victimes. Il s’agit cette fois des salaisonniers, qui transforment le cochon en saucisson et autres charcuteries. Quand ils ont terminé de « négocier » les prix avec les centrales d’achat de la grande distribution en février pour les douze mois à venir, le prix du kilo de carcasse était inférieur à 1,20 euro. Ce n’est plus le cas, mais les distributeurs font valoir à leurs fournisseurs qu’ils ont signé pour un an !
Cet hiver, la France mettait des clôtures électriques le long de la frontière belge pour empêcher les sangliers de ce pays de venir mourir chez nous au risque de porter dans Hexagone le virus de la peste porcine africaine. Il y a quelques jours, une structure financière canadienne connue sous le sigle CDPQ conseillait de spéculer sur la viande porcine dans les salles de marchés. Cette Caisse de dépôt et placement du Québec – dont le rendement annualisé sur cinq ans atteint 8,4 % – compte la moitié de ses actifs hors du Canada. Elle indiquait aux spéculateurs que, « selon le ministère chinois de l’Agriculture, le cheptel de truies chinois aurait décliné de 7 %, l’équivalent de 2,8 millions de truies ». Mais on sait que la situation s’est encore aggravée depuis et le chiffre de 18 % de baisse du cheptel reproducteur est désormais avancé.
La filière porcine française sous la menace du sanglier belge
La note de la CDPQ estimait donc qu’il y aura des parts de marché à prendre en Chine durant les prochains mois. Elle informait que le Canada comme l’Europe peuvent en conquérir provisoirement. Le malheur des éleveurs chinois peut donc faire provisoirement le bonheur des pays exportateurs que sont le Canada, les États-Unis, le Brésil et quelques pays membres de l’Union européenne.
Il reste à savoir combien de temps cela peut durer en France. Car, en dépit de la mise en place de cette clôture électrique en pointillé le long de notre frontière avec la Belgique, il demeure possible de voir ces sangliers venir porter la peste porcine en France. Si cela se produisait, notre pays ne serait plus indemne de la maladie contagieuse et ne pourrait plus exporter un seul kilo de lard ou de saucisson en Chine.
Gérard Le Puill