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Paroles de rond-point. Entretiens avec les gilets jaunes de Troyes

Gilets-jaunes

Lien publiée le 15 avril 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.contretemps.eu/entretiens-gilets-jaunes-troyes/

Nous avons réalisé ces entretiens à la fin mars, lors d’un déplacement à Troyes effectué à l’invitation de l’association L’EclairCit pour assister à une projection du film de François Ruffin « J’veux du soleil » et participer au débat qui a suivi. C’est là que nous avons rencontré les gilets jaunes du rond-point de Saint-André-les-Vergers, à la périphérie de l’agglomération, dit « rond-point du Brico », du fait de sa proximité spatiale avec le Bricorama.

Présents en masse dans la salle, en parfaite communion avec le propos du film, leurs interventions foisonnantes et combatives ont dominé le débat. Impressionnés par leur détermination, nous avons voulu poursuivre les échanges. Nous sommes donc allés les voir le lendemain sur « leur » rond-point, puis sur le lieu fermé où se tiendrait la réunion qui déciderait de la composition et du contenu du mandat de leur délégation à l’assemblée des assemblées de Saint-Nazaire.

Nous avons pu ainsi enregistrer ces deux entretiens, qui apportent à notre sens un éclairage intéressant sur cette expérience d’action collective, la seule à avoir pu se maintenir à l’échelle de la ville cinq mois après le début du mouvement.

Le premier donne la parole à Serge, l’un de ses principaux acteurs et, par ailleurs, figure reconnue de la « gauche de gauche » au niveau local.  Le second est une discussion avec trois autres piliers du rond-point, primo-participant.e.s à toute expérience d’action collective, dont deux ont été désignés pour faire partie, à titre d’observateur.trice, de la délégation envoyée à l’assemblée de Saint-Nazaire.

***

Ces entretiens permettent de mieux comprendre, à partir d’une situation locale, certains des enjeux de cette mobilisation inédite. Mentionnons-en rapidement quelques-uns, en gardant à l’esprit les précautions qui s’imposent au regard de toute généralisation hâtive.

– Le terrain pour la mobilisation des gilets jaunes avait été préparé en amont par une série d’actions diffuses, menées au niveau local mais liées à des mouvements à l’échelle nationale. Ces actions se sont déroulées, pour l’essentiel, en dehors des cadres traditionnels et ont donné corps à la colère montante au sein des classes populaires : contre le compteur Linky, contre le retrait de divers services publics et, bien entendu, contre la limitation de vitesse à 80 km/h.

– La capacité de l’action à résister à l’épreuve du temps est directement liée à celle d’un fonctionnement véritablement collectif, seul moyen d’éviter les divisions et les rivalités de personnes. L’interaction directe semble également recueillir la préférence des participants, Facebook étant perçu comme un lieu de manipulation « par en bas » (en tant que terrain où se répandent rumeurs et rivalités personnelles) et de surveillance « par en haut » (par l’Etat), même s’il reste le seul outil disponible pour assurer la coordination et la communication à une échelle plus large.

– L’extrême-droite (dans l’Aube, il s’agit essentiellement de militants de Debout la France) avait d’emblée une présence forte dans les mouvements en amont et a tenté de placer sous son aile celui des gilets jaunes. La résistance structurée est venue du côté de militants de la France insoumise, qui ont opposé un contre-poids efficace, comme l’indique la participation de ce rond-point au processus de l’assemblée des assemblées, le début de convergence avec le mouvement syndical ou encore le passage de la tête de liste de la France insoumise sur le rond-point. Mais la lutte pour l’hégémonie est loin d’être close.

– Le point de clivage se situe sur la question des « migrants », secondairement des « assistés ». Refoulé d’un commun accord aux marges des discussions et revendications « formalisées », il reste présent dans les têtes et constitue le point d’accroche constant de l’intervention de l’extrême-droite sur le terrain.

– Un large consensus se dégage sur les revendications sociales et sur une prise en compte croissante de la dimension écologique. Le terme de « taxes » est utilisé de façon protéiforme, pour désigner tout ce qui impacte négativement le pouvoir d’achat.

– C’est l’État qui apparaît comme le destinataire exclusif des revendications et des récriminations, même si, à un niveau plus général, mais hors de portée de l’action menée, les « riches » et « les multinationales » sont pointés du doigt.

– La question du RIC semble moins présente sur le terrain mais davantage dans les échanges sur les réseaux sociaux. Elle est restée peu présente dans les échanges auxquels nous avons assisté.

– Un large consensus semble également se dégager sur le rejet de ce qu’on peut appeler les phénomènes de la « mondialisation », qui vont des dégâts causés à l’environnement au pouvoir des sociétés multinationales, et des délocalisations à l’emprise des institutions supranationales.

– C’est dans ce cadre qu’il faut situer la perception négative de l’Union Européenne mais aussi de la circulation des personnes, dont l’emblème est la figure du « migrant », ressenti comme un concurrent et une altérité indésirable, voire potentiellement menaçante.

– Une réceptivité au discours « souverainiste de droite » est sur ce point perceptible, en l’absence d’une critique de gauche audible de l’Union Européenne, qui se combinerait avec une position d’ouverture à l’accueil des « migrants et des réfugiés » (nous utilisons ces termes, hautement discutables, pour des raisons de commodité).

– Enfin, la question de la répression est omniprésente, elle soude le groupe et alimente l’exaspération et la délégitimation de l’autorité étatique. Elle nourrit également un sentiment diffus de persécution et une controverse quant à la légitimité de la contre-violence manifestante, particulièrement sensible lors du débat qui a suivi la projection du film de Ruffin.

Pour finir, nous tenons à remercier pour leur accueil chaleureux et leur collaboration André Smolarz et les ami.e.s de l’EclairCit, les interviewé.e.s, Christine, Laurence, Philippe et Serge, ainsi que tous les gilets jaunes « du Brico » avec qui nous avons pu partager ces moments intenses.

 

Entretien avec Serge, Gilet jaune et militant France insoumise 

Quel est ton parcours professionnel et militant ?

Je ne peux plus travailler suite à ma maladie, mais j’ai travaillé pendant 35 ans dont 20 ans le groupe PSA, plus précisément dans une filiale de Citroën. J’étais réceptionnaire dans le service après-vente. Dans notre boîte on était 55 salariés, il y avait donc un comité d’entreprise, avec deux délégués syndicaux, un de la CGT, et moi-même, élu CFTC. Je n’avais pas moins de quatre mandats : délégué du personnel, membre du CHSCT, trésorier du comité d’entreprise et représentant de la fédération de la métallurgie de la CFTC dans mon entreprise. Depuis 2016, je suis militant du Parti de gauche, et j’ai rejoint France insoumise dès sa création.

Préparer et lancer le mouvement

Avant le mouvement des gilets jaunes, tu avais participé à un mouvement qui, ici, dans l’Aube, s’appelait « Colère 10 »[1]. De quoi il s’agissait-il ?

C’était au début 2018, je ne travaillais déjà plus mais j’avais gardé de bons contacts avec certains anciens collègues. C’est l’un d’eux qui m’en a parlé pour la première fois. Le mouvement a démarré avec les « motards en colère » qui étaient contre les 80 km/h, puis, contre la hausse de la CSG, de la taxe sur le carburant etc. Ils ont notamment bloqué la rocade autour de Troyes. Il y avait du monde dans cette action, mais c’était surtout un groupe sur Facebook, avec beaucoup de jeunes. J’ai été bien accueilli dans ce groupe. Ils m’ont demandé d’où je venais, je leur ai dit qu’avant ma maladie, j’étais dans le syndicalisme. Puis, le groupe a voulu se mobiliser contre l’installation de compteurs électriques Linky. Ils se demandaient comment faire des flyers, comment avertir la population, comment organiser une manifestation, ils ne savaient pas du tout comment s’y prendre. Alors, je leur ai dit qu’avec ma petite expérience, je peux vous donner quelques idées. Il y avait vraiment de tout dans ce mouvement, mais en fait surtout des gens d’extrême-droite, des vrais bleu-blanc-rouge ! (Rires).

Est ce qu’il y a une continuité entre ce mouvement et les gilets jaunes ?

Oui, dans une certaine mesure.  Pour Colère 10, il y a eu des gros mouvements au départ, mais dès que les manifestations se faisaient à pied, et pas en moto, y avait beaucoup moins de monde. Finalement, beaucoup se sont joints à nous lors des manifestations pour la retraite, ou pour la défense du service public. Il y a eu aussi un mouvement pour le service hospitalier DMR, avec des handicapés, des soignants et des blouses blanches. Par la suite, Colère 10 s’est monté en association pour pouvoir obtenir des financements et ils ont participé au lancement du mouvement.

 

Venons-en maintenant aux gilets jaunes. Comment le mouvement a-t-il démarré ici ?

J’ai été contacté par les gens de Colère 10, pour participer à une réunion afin d’organiser le 17 novembre à Troyes, suite à l’appel des gilets jaunes contre la taxe sur le carburant.

Je les ai avertis que j’avais une étiquette politique et ils m’ont répondu « OK, viens ! ». Et là, il y avait des gilets jaunes, des gens de Colère 10 et de L214, le mouvement pour la défense des animaux et  des gens de la France en colère. Et, surtout, il y avait beaucoup de jeunes ! Le 17 novembre à Troyes, il y avait 4000 personnes mobilisées, dont plus de 2.200 gilets jaunes dans le centre-ville, et quatre principaux ronds-points occupés, c’était vraiment une journée extraordinaire ! Je n’avais jamais vu une telle mobilisation, même les forces de police ont été débordées.

Au début les ronds-points ont été occupés 24h/24, on y trouvait « monsieur et madame tout le monde ». Trois jours après, ça devait être le mardi 20, on s’est fait éjecter du rond-point par la police en un quart d’heure. Mais au bout de deux jours, on est revenus et on a reconstruit une cabane. Il a fallu refaire les cabanes pratiquement tous les 15 jours car la police les rasait régulièrement.

Moi je venais le matin, dès 6 heures et demie, même sous la neige, sous la flotte, le vent… Si c’était à refaire, on choisirait juin, ce serait quand même plus facile ! Je partais vers 15 heures donc je ne savais pas ce qui s’y passait après. Il paraît que c’était chaud, qu’on brûlait des pneus.

Combattre l’extrême-droite, s’organiser pour tenir

On nous a dit que sur d’autres ronds-points autour de Troyes, c’était les gens de Debout la France qui étaient aux manettes.

Oui, on s’en est rendu compte quand ils ont essayé de structurer le mouvement. Ceux de Colère 10 ont été rapidement dépassés par deux militants localement connus de Debout la France, Laurent Stocco et Hervé Giacomoni, qui ont essayé de tirer les ficelles derrière leur ordinateur. Le second se présente aussi comme une figure de La France en Colère 10. On ne les voyait jamais, ou alors assis aux terrasses des cafés pendant que d’autres se faisaient gazer dans les manifs et dégager des ronds-points… Les gens ont quand même fini par s’en apercevoir (rires).

Cela ne les a pas empêchés de s’autoproclamer représentants des gilets jaunes du département, suite à un vote effectué sur Facebook[2]. Or beaucoup de gilets jaunes n’étaient pas sur Facebook et n’ont donc jamais été sollicités. Ça a jeté un froid ! Ça faisait déjà un bon mois qu’il y avait des grosses manifestations lorsqu’ils ont convoqué une première réunion départementale dans un gymnase. 3000 personnes s’étaient inscrites sur Facebook mais il y en avait environ que 130 dans le gymnase ce soir-là, en comptant l’opposition… Depuis, je n’ai pas assisté à d’autres réunions de ce groupe-là.

 

Il y a une présence sur le terrain de Debout la France ou d’autres forces d’extrême-droite ?

Je n’ai pas identifié d’autres militants de ce bord-là. En fait, beaucoup sont dépourvus de toute étiquette politique mais ils en ont tellement ras le bol de cette vie de merde qu’ils sont prêts à aller n’importe où, à suivre n’importe qui ! On entend certains qui disent à propos des migrants : « Il n’y a pas d’argent pour nous, et les migrants on va les loger gratos, on va les soigner gratos, alors que ma mère on ne peut pas la soigner, il faut qu’elle aille à l’hôpital, il n’y a personne pour s’occuper de nos vieux ». L’autre jour, Giacomoni, de Debout la France, a encore fait un tract qui disait « il faut moins d’assistanat parce que ça nous coûte un bras », et il nous l’a apporté. J’ai refusé de distribuer ces torchons, et, au rond-point du Brico, les autres aussi ont refusé.

Avec des collègues, on a toujours martelé : « il ne faut pas se tromper de cible ! ». On essaie aussi d’informer. Par exemple, on fait une réunion la semaine dernière, au cours de laquelle Anne, une insoumise, et Dominique, qui a une certaine formation, ont amené les chiffres : « il y a eu 570 morts dans la rue en 2018, il y en avait moins en 2017, alors que ça devrait être le contraire. Pourquoi y en a qui meurent dans la rue ? Ce n’est pas avec moins de migrants qu’il y aura moins de morts dans la rue, c’est une aberration de penser ça ! ».

Maintenant, ça commence à porter ses fruits. Mais ça a été très dur. Et puis ce n’est pas acquis non plus.

Sur les quatre ronds-points autour de Troyes, un seul a finalement tenu, celui du Brico. Comment expliques-tu cela ?

Sur les autres ronds-points, certains voulaient absolument être les chefs, ils s’agitaient sur le rond-point mais surtout sur Facebook. Alors le rond-point se scindait en groupes, puis en sous-groupes. Pendant ce temps, la police venait régulièrement déloger tout le monde, sur ordre bien sûr du préfet. L’ambiance était très différente selon les ronds-points. Dans celui tenu par des gens de Debout la France, il y avait une ambiance militaire, il y avait des chefs, il ne fallait pas faire ci, pas faire ça, il fallait distribuer des bonbons etc. Un autre rond-point était tenu par des gens de Colère 10. C’était sympa, mais Coralie voulait en être la cheffe, et ça a créé des disputes.

Au rond-point du Brico, ça ne se passait pas comme ça, il y avait dès le départ une bonne ambiance. De plus, on était bien approvisionnés en nourriture, grâce aux dons de la population.  Il y a même des gens qui n’avaient pas à manger et qui passaient le soir pour pouvoir manger. Des télés sont venues nous voir sur place. Nous avons également demandé à rencontrer un élu, mais jusqu’à aujourd’hui pas un seul n’est passé. On a également demandé à la mairie des toilettes pour les dames parce les hommes peuvent toujours se débrouiller, mais pour les femmes, ce n’est pas pratique. On n’a pas eu de réponse.

On a quand même eu un temps fort politique, quand, au début de la campagne des européennes, Manon Aubry, la tête de liste France Insoumise, accompagnée de Laure Manesse et d’autres candidats, est passée dans notre département. Je leur ai demandé de venir au rond-point du Brico pour rencontrer des gilets jaunes sur le terrain, elles ont toutes deux accepté avec plaisir. Ce fut un beau moment d’échange avec les gilets jaunes, pour qui c’était le premier échange de leur vie avec un politique, tout le monde était ravi.

Quelles sont les revendications qui reviennent le plus dans les discussions au rond-point du Brico ?

Sur le rond-point, c’est surtout le pouvoir d’achat, sur Facebook c’est plutôt le RIC.

 

Augmentation du pouvoir d’achat, qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?

Ça veut dire demander une augmentation des salaires de 200 à 300 euros. Quelques-uns n’osaient pas demander autant. Je leur ai répondu : « en politique je n’y connais rien, mais en négo c’est comme ça qu’il faut faire ! Si tu ne réclames que 200, tu ne les auras jamais ! Réclame 300, et tu auras peut-être 200 ! », c’est l’expérience du syndicaliste qui parle (rires).

On a également essayé de motiver les gens pour aller à la marche pour le climat. C’était très dur, mais ils sont venus ! C’est très important. Lors de la réunion, j’ai proposé des points à aborder, d’abord le pouvoir d’achat, certains ne voulaient pas aller au-delà, mais le deuxième point sur lequel on était d’accord, c’était le climat. Donc on a proposé le slogan du petit autocollant « fin du mois », en jaune, et à côté, « fin du monde », en vert, « mêmes responsables, même combat », et c’est passé !

 

Préparer l’assemblée des assemblées de Saint-Nazaire

Vous vous préparez à participer à l’assemblée des assemblées de St Nazaire, qui fait suite à celle de Commercy. Comment avez-vous appris que ces initiatives étaient en cours ?

On l’a su par Facebook, en suivant le groupe la France en colère. Il y a eu tout de suite des appels pour envoyer des représentants du département. Nous n’étions pas encore assez structurés pour aller à Commercy. C’était déjà la guerre des ronds-points, Giacomoni voulait se présenter comme responsable du département voire de la région. Nous on a dit non ! Les premiers tracts qui ont été faits sur le rond-point du Brico, c’est grâce à nous !

« Nous », cela veut dire des gens proches de la France insoumise ?

Oui, idéologiquement, ou du moins on essaie…

Concrètement, comment préparez-vous la participation à l’assemblée de Saint-Nazaire ?

C’est le sujet de la réunion de ce soir, qui peut durer trois voire quatre heures comme la dernière fois. On a déjà fait un vote sur une première liste de ceux qui voulaient se présenter comme délégués et ce soir on va finaliser. A priori on aura 2 délégués : Sabrina et Tonton, c’est son surnom. C’est un retraité, un ancien de la CGT, il a une voix qui porte. Donc un binôme : homme et une femme, un plus âgé et une plus jeune, avec pas forcément le même point de vue, ni les mêmes attentes. Ils vont être assistés par deux autres personnes, sans doute Christine et Philippe. Tout se passe de façon complètement démocratique, on débat tous ensemble, on vote, voilà ! Ce soir on sera au moins 50 ou 60 dans une grande salle prêtée par la mairie de la Chapelle-Saint-Luc…

Premier bilan

Après cinq mois de mobilisation, est-ce que tu penses que le rapport à la politique des gens a changé ?

On a amené une autre vision, et ça a permis de faire bouger les esprits au plan politique. Au départ, les gens du rond-point ne voulaient plus voter, ils voulaient « prendre le pouvoir ». Ça commence à changer, l’autre jour il y en a qui ont dit « de toute manière, il va bien falloir aller voter ». Alors, avec les copains, on s’est regardé et on s’est dit « voilà du bon travail de fait ! » Ils comprennent que le pouvoir ne doit plus s’exercer sans eux. Ce n’est plus tout à fait la même chose qu’avant.

Et puis, il y a des gars du rond-point qui viennent avec moi coller des affiches la France insoumise. (rires). Pendant la marche sur le climat, il y avait plein de gilets jaunes qui sont montés et qui collaient les autocollants France insoumise. Ce qui marche bien aussi, c’est l’autocollant rond de France insoumise contre la pauvreté ! D’une façon générale, là où ça défile, il y a des autocollants de la France insoumise. Je ne sais pas d’où ils sortent, certainement de ma boîte à gants (rires)…

Pour finir, parlons un peu les perspectives. Comment, à ton avis, ce mouvement peut-il durer, s’élargir et obtenir gain de cause ?

Il faut remobiliser les gens mais aussi redorer l’image des gilets jaunes. A Troyes, mais dans les autres villes aussi, on reproche aux gilets jaunes la baisse de fréquentation des commerces. Sortez les mouchoirs ! Mais avec davantage de pouvoir d’achat, les gens iraient acheter ! Malheureusement ce genre d’arguments impacte l’opinion publique. Pour répondre, il faut faire des actions qui rendent la vie des citoyens plus facile. On a décidé de rendre demain le stationnement gratuit dans le centre-ville de Troyes, où ça coûte un bras de se garer, en ouvrant les barrières des parkings et en bâchant les horodateurs. C’est symbolique !

Le mouvement peut-il s’élargir, en convergeant avec d’autres forces, les syndicats par exemple ?

Je ne sais pas. Nous avons déjà participé à deux manifestations avec les syndicats à Troyes, les 5 février et 19 mars. Au début ils nous regardaient de façon un peu bizarre, mais le 5 février, les gilets jaunes étaient plus nombreux que la CGT. La manifestation s’est terminée devant la Maison des syndicats, ils étaient une centaine sur les marches, nous on était 200 autour du rond-point devant le bâtiment et c’est la police qui nous a délogés…

Il y a eu des contacts en bonne et due forme avec les syndicats ?

Oui, ça commence à se coaguler, mais nous n’en sommes qu’aux prémices ! Ça coince au niveau du déroulé des manifs. Quand les syndicats manifestent, ils respectent le parcours défini avec la préfecture, alors que les gilets jaunes pensent que si la police dit quelque chose, il faut faire le contraire.

Ok, mais si un syndicat ne respecte pas certaines règles, il peut se retrouver lourdement sanctionné. Est-ce que les gilets jaunes le comprennent ?

Ils peuvent le comprendre d’autant mieux que maintenant, comme ils ne sont pas structurés en association, ou dans une autre forme d’organisation, ils commencent à en prendre plein la gueule avec les amendes et avec les poursuites judiciaires qu’ils subissent. On a beaucoup parlé de la répression hier lors du débat dans le cinéma. Les gens se sont retrouvés confrontés à la répression et ça les a choqués.

 

Tu penses que cette expérience de la répression a contribué à la politisation des gens ?

La répression fait monter la colère. Savoir si ça donne aux gens le goût de la politique, je ne saurais le dire, mais ça les met davantage en colère, ça c’est sûr.

Entretien avec Christine, Laurence et Philippe

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Philippe (P) : Laurence et moi avons vécu longtemps chez nos parents. Nous nous sommes mariés seulement en 2012, nous avons donc un parcours un peu atypique. Laurence est comptable paye, et elle vivait en région parisienne. Depuis qu’elle s’est installée à Troyes, il lui est beaucoup plus difficile de trouver du travail ; elle n’a accès qu’à des emplois précaires, des remplacements et encore pas toujours dans son domaine s’activité. Quant à moi, je suis un peu dans l’immobilier, c’est-à-dire que j’ai quelques maisons que je loue. Je ne gagne pas grand-chose mais je suis un homme libre et qui dispose de beaucoup de temps. C’est pour ça que je peux m’investir à fond dans le mouvement des gilets jaunes.

Christine (C) : Je suis auxiliaire de vie. J’ai mon diplôme de MAP mais, à 55 ans, je ne retrouve pas d’emploi parce qu’on n’embauche pas une sénior. Je vis seule, mes enfants sont grands, ils sont partis. Je me retrouve dans une situation un peu compliquée. J’envisage même de vendre ma maison pour pouvoir survivre.

Se mettre en mouvement, s’organiser

Comment le mouvement a-t-il démarré ici ? Et qu’est-ce qui vous a motivés personnellement pour entrer dans la lutte ?

Laurence (L) : Pour Philippe, ça a commencé avec les 80 km/h. Il a appris qu’il se passait quelque chose sur les réseaux sociaux et on est allés à une manif contre les 80 km/h. Il y avait 10 bagnoles pour 200 motos, c’était très disproportionné. On s’est dit : « les motards sont là, eux, et nous les automobilistes on est des « trous du c.… » (Rires). Nous sommes des moutons, on se laisse trop faire. Puis est venue la taxe sur le carburant, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ! Il y avait, je dirais un ras le bol fiscal incroyable, c’est vrai que les automobilistes sont taxés comme je ne sais pas quoi

P :  Des gens qui avaient déjà manifesté contre les 80 km ont appelé sur Facebook à une réunion le 15 novembre, pour préparer la journée du 17, c’est comme ça que je suis entré dans le mouvement. Mais ça fait 20 ans je pense que ça ne va plus, qu’on est revenu au temps des seigneurs, comme avant la Révolution [française], et qu’on est exploités. J’ai tout de suite été motivé et le 17 novembre j’étais sur le rond-point à côté de chez moi, route d’Auxerre.

L : On était là tous les deux, c’était la première fois que je manifestais. Quand j’étais en région parisienne, je ne me sentais pas assez impliquée. Et puis, je ne voulais pas aller dans les manifs à Paris qui dégénèrent. Ici, on est sur notre rond-point depuis le 17 novembre, c’est bon enfant et sécurisant.

La police vient nous voir de temps en temps mais ils ne nous ont pas encore tapé dessus. Ils démolissent régulièrement le rond-point, mais ce n’est pas dramatique. Les manifs à Paris, c’est autre chose. Beaucoup en reviennent traumatisés, en disant que ce n’est pas juste, qu’on n’a rien fait qu’on a pourtant été gazés. En ce qui me concerne, j’ai un certain âge, je suis un peu grosse et j’ai des problèmes de hanche, donc je ne vais pas à ces manifs, je ne peux pas courir le marathon.

C : De mon côté, j’en avais déjà ras le bol de voir les conditions de vie se dégrader d’année en année. Et puis j’ai participé à un appel à la grève de la CGT. J’ai parlé avec eux mais j’ai trouvé qu’ils ne comprenaient pas les problèmes des Français et donc j’ai rejoint les gilets jaunes.

Avec la CGT, c’était une grève sur ton lieu de travail ?

C : Non, j’étais allé leur demander des informations à propos de mon travail, je ne gagne vraiment pas assez pour m’en sortir. Je voulais savoir s’il y avait une loi opposable pour arriver à vivre de son travail. Et comme ils n’avaient pas de réponse, j’ai rejoint les gilets jaunes. Là, je me suis rendu compte que c’était pareil pour tout le monde ; les travailleurs sont pauvres, les gens qui ne travaillent pas sont pauvres ; même ceux qui font des heures supplémentaires n’y arrivent pas, ils sont tellement taxés. J’ai donc rejoint ce mouvement vraiment par conviction et je vais continuer jusqu’au bout, malgré la répression. Tous les samedis, je vais à Paris. J’ai vu comment on nous enfermait, comment on nous maltraitait et ça, c’est vraiment intenable !

A Troyes, le mouvement a commencé avec sept ronds-points, dont quatre principaux, mais seul celui « du Brico » a tenu dans la durée. Pourquoi ?

P : Pour occuper un rond-point, il était obligatoire de se déclarer à la préfecture. Et ceux qui ont fait les déclarations, ont voulu être les chefs. De ce fait, il y a eu des scissions et d’autres ronds-points ont été ouverts. Le nôtre a évolué peu à peu, il est resté un lieu d’échange, sans chef. Même si parfois, certains m’accusent d’être un chef, alors que c’est faux. Je m’investis beaucoup, c’est vrai, on me le reproche presque.

L : Il y en a toujours qui veulent être califes à la place du calife. C’est ça le problème.

C : Ce n’est pas simple de ne pas avoir de chef

P : Ce n’est pas simple, mais je pense que c’est justement pour cette raison que ça marche bien quand même.

C : Il faut quand même une certaine organisation pour pouvoir tenir. Parce que, sur ordre de la préfecture, nos cabanes ont été régulièrement dégagées, rasées, brûlées. On est toujours revenus malgré tout. On est les seuls à avoir tenu bon parce qu’on est têtus !

L : Avec le temps, on a noué des liens et aujourd’hui on est une petite famille. C’est ça la réalité: on n’est pas que des individus lambda aujourd’hui. Le 17 novembre, on était environ 300…

C : … mais personne ne se connaissait…

L : Alors on a essayé de causer un peu, de se parler.

C : On s’est organisés, on a échangé les numéros de téléphone, et je me suis investie pour informer les gens de ce qui se passait au fur et à mesure. L’information passe bien.

Tu t’y prends comment pour faire circuler les infos ?

C : Je les appelle ou j’envoie des SMS. J’ai d’autres collègues qui sont sur Facebook. Elles sont deux ou trois à tenir les messages par Facebook, mais aussi en live, et par téléphone. J’ai pas mal de contacts à l’extérieur, c’est nécessaire pour voir comment faire avancer le mouvement, et comment y participer. Il faut qu’on soit tous coordonnés et qu’on arrive à construire quelque chose. L’assemblée des assemblées [de Commercy] a lancé son appel et on a relayé l’information.

L’information sur l’assemblée des assemblées a donc circulé via Facebook ?

P : Oui, on a vu sur internet l’appel de Commercy.

C : Mais ça s’est fait surtout par téléphone. Facebook est tellement, tellement, tellement surveillé ! On est dans un pays de dictature, on ne peut plus rien faire sans être surveillé.

 

Comment préparez-vous cette participation à l’assemblée de Saint-Nazaire. Vous avez fait des réunions et désigné des délégués ? Il y a eu un vote ?

P : On a fait une réunion pour les candidatures, puis on a voté mais au rond-point, pas en réunion.

Quelles sont maintenant vos principales revendications et comment ont-elles évolué depuis le début du mouvement ?

L : La baisse de la TVA sur les produits de première nécessité. On voudrait une hausse du Smic, et une hausse des allocations pour les handicapés…Il y a tellement de choses…

C : On voudrait surtout plus de justice, et aussi une cohérence. Car ce que Macron nous a soi-disant donné, il l’a repris de l’autre main. Par exemple la prime pour complémenter le salaire, il l’enlève en réduisant les APL.  Et l’essence, on voit bien qu’elle a de nouveau augmenté.

Au bout du compte, les gens perdent plus qu’ils n’y gagnent. Macron se fiche de nous, il essaie de nous manipuler. Je pense qu’on doit pouvoir avancer avec les écologistes. Il nous faut travailler ensemble pour que les petites gens aient un minimum. Ce n’est pas en donnant 1000 euros pour changer de voiture, qu’on va tout résoudre. Le RIC aussi, ça ne serait pas mal. Il faut se structurer et on va voir ce qui revient le plus dans le projet sur lequel on est en train de travailler.

P : Ce projet, c’est en quelque sorte le mandat de nos délégués à l’assemblée des assemblées de Saint-Nazaire. On va voir ce qui ressort le plus, et mettre ces revendications sur la table.

Qui est l’adversaire ?

Qui est responsable, selon vous, des difficultés auxquelles vous et la plupart des gens sont confrontés ?

C : C’est l’État ! Ils ne pensent qu’à eux, ils ne se préoccupent pas des petites gens, ils s’en fichent ! Demandez aux ministres, aux députés, combien ça coûte une baguette de pain. Ils ne savent pas, ils ont fait des hautes études mais ils sont ignorants de la base.

L : Mais ça ne date pas seulement de Macron, Sarkozy n’était pas mieux, et Hollande non plus ! Avec Macron, ça s’est aggravé parce qu’il nous méprise. A chaque fois qu’il parle, c’est pour nous rabaisser, nous traiter de « foule haineuse ». Il veut jeter de l’huile sur le feu, c’est incroyable ! Un président ne peut pas dire ça. Et puis, si, il le dit ! Et il augmente les taxes. Et la nourriture qui n’arrête pas d’augmenter.

C : Les riches sont de plus en plus riches. Alors ras le bol ! Ils gagnent des millions, et ils vendent nos entreprises, ils vont en Chine, en Inde, partout. Ils font fabriquer les médicaments en Inde, ou dans d’autres pays, où les normes ne sont pas les mêmes qu’ici. Ils préfèrent s’y prendre comme ça, malgré les risques pour la santé, au lieu de faire des médicaments en France, alors qu’on sait très bien faire les médicaments en France.

Donc on peut dire que Macron sert les intérêts des riches…

L : C’est un banquier, il a été mis en place pour les riches, pour ce système.

C : Pour ceux qui deviendront encore plus riches ! J’ai allumé la télé et aujourd’hui on annonce de nouveau des entreprises qui ferment !

P : Macron est le patron des ultra-riches, pas simplement des riches, il est vraiment encore un cran au-dessus. Les petites entreprises, il n’en a rien à faire. C’est tout pour les multinationales.

C : La pyramide, il faut qu’elle dégringole parce que là ça ne va plus! Il faut les faire tomber !

OK, mais comment s’y prendre ?

C : On peut déjà essayer avec le RIC de modérer les lois qu’ils passent pour s’enrichir.

Pour l’agriculture, par exemple, il faut agir avec les écologistes pour arrêter tout ce qui est dangereux pour la santé et qui nous donne le cancer et un tas de maladies, qui rend stériles et fait naitre des bébés malformés. Quant au nucléaire, il faut essayer de le réduire, et chercher des alternatives. Rouler avec des moteurs à eau, par exemple ; il paraît que ça existe depuis des années mais ils n’en veulent pas parce que PSA et toutes ces grosses sociétés ne gagneraient pas assez d’argent.

Vous demandez donc la démission de Macron ?

P : Oui, parce qu’il ne pourra jamais nous comprendre.

L : Tout le monde demande la démission de Macron, ok, mais on met qui à la place ? Le problème, c’est qu’il n’y a personne ! Aucun type digne de ce nom aujourd’hui ! En tout cas pas à ma connaissance !

P : Certains qui vont te dire, il y a Asselineau. Beaucoup de gilets jaunes l’écoutent, parce qu’il est pour la sortie de l’Europe. Les gens pensent que c’est l’Europe qui nous a mis dans cette situation.

: J’ai peur qu’on se retrouve dans la position de la Grèce, que le pays descende aussi bas. A un moment donné le peuple va se soulever. On est déjà en train de se soulever, mais on peut perdre tout.

Vous percevez l’Union Européenne comme quelque chose d’hostile ?

L : L’Union Européenne nous a vraiment enfoncés ! Parce qu’ils ont mis des normes et tout ça, des règles pour le commerce…

C : Pourquoi les Anglais s’en vont ?

L : Des entrepreneurs ont dû fermer boutique parce qu’ils ne pouvaient pas se mettre aux normes à cause des dépenses que ça entraînait. L’idée de faire un bloc avec d’autres Etats, bref par rapport à l’Amérique, pour moi c’est négatif !  C’était bon pour les armées ! On aurait pu faire une Europe seulement au plan militaire, garder le contrôle sur notre économie et modifier les traités en conséquence.

P : Ce qu’il faudrait c’est l’Europe des peuples et non l’Europe des multinationales. C’est ça le problème. Je ne suis pas contre l’Europe mais je suis contre l’Europe des multinationales qui nous dirige et qui nous étouffe.

L : C’est vrai qu’on ne s’y est pas opposés puisque on a accepté Maastricht ! Sauf qu’on n’avait pas lu les textes et qu’on n’avait pas compris qu’on perdrait notre monnaie, et quelque part une partie de nous. Perdre le franc ça a été dur dans l’esprit des plus âgés, ils en ont été perturbés pendant je sais combien de temps.  C’est tout ça qui a fait que l’Europe on l’accepte de moins en moins.

Les migrants, un problème ?

Est-ce que vous pensez, comme le pensent certains, que ce sont les migrants ou les immigrés qui sont responsables de cette situation ?

L : Ils ne sont pas responsables mais il faudrait traiter notre propre misère avant de s’occuper de celle qui vient d’ailleurs. Aujourd’hui, je suis un peu dure. Pourtant, j’étais pour l’accueil en général parce que je suis de gauche. Sauf qu’aujourd’hui il y en a trop ! Et le problème c’est qu’on est en train de faire venir des gens qui n’ont pas notre culture, qui sont plutôt musulmans. Du coup on a des risques que ces gens-là se retournent un jour contre nous en faisant des attentats.

C : Il faut les aider dans leur pays. Par exemple, l’Algérie est en train de bouger. Ils sont en train de comprendre que les vieux dirigeants impotents ne doivent plus commander. C’est à eux de se soulever, et c’est à eux de faire des études. Il faut qu’ils puissent maitriser leur pays et tous les islamistes, il faut les aider à les arrêter. Chacun doit pouvoir vivre en paix dans son pays. On doit les aider, mais il faut aussi qu’on s’aide entre nous.

Mais la Syrie est entièrement détruite et on refuse d’accueillir ceux qui fuient le pays. Il faut également voir dans quelles conditions vivent les réfugiés et les migrants qui sont sur notre sol.

C :  Alors ce que l’on peut faire c’est les aider à venir, et puis les aider à repartir et reconstruire leur pays.

P : J’ai bien peur que si on fait venir des personnes de l’extérieur, c’est pour les exploiter.

Est-ce que la question des migrants ou de l’immigration figure parmi vos revendications ?

P : Sur le rond-point, on a des gens des deux bords ; pour schématiser, on a d’un côté des gens autour de la France insoumise, et de l’autre côté des partisans de Le Pen. Si on commençait à parler immigration, ce serait la guerre (rires) ! On met donc ça de côté, sous le tapis ; c’est la raison pour laquelle on ne l’évoque pas trop dans les discussions.

C : Pour l’instant ce n’est pas notre priorité car notre priorité c’est de vivre d’une manière plus intelligente.

P : Et décente !

C : Je trouve quand même déplorable que la police tape sur des citoyens français ! C’est honteux ! Ils frappent même des personnes âgées.

Si ceux qui sont frappés par la police n’étaient pas français, ce serait moins honteux ?

C : Si-si, quelle que soit la race, ça n’a rien à voir. Lors de la dernière manif à Paris, j’ai vu un enfant d’environ 10 ans se diriger vers nous. Il a dit « j’ai été gazé, je ne vois plus clair ! ». Alors, un jeune policier qui avait l’air d’avoir à peine 18 ans, l’a menacé en lui montrant sa bombe de gaz, et le gosse est reparti en hurlant « non ! non ! pas les gaz, pas les gaz ! ». Est-ce normal de faire ça ?

P : Je voudrais rajouter quelque chose qui me paraît illustrer l’absurdité de la situation. D’un côté, on a des gilets jaunes qui n’ont pas de quoi vivre, de l’autre, des policiers qui ont tout juste de quoi vivre. Et on les fait se taper les uns sur les autres. C’est vraiment absurde !

Quelles perspectives ?

Dernière question : vous en êtes à bientôt à cinq mois de mobilisation. Comment faire maintenant pour gagner ?

P : Il faut qu’on essaie de les avoir à l’usure. C’est la seule solution que je vois : continuer les manifestations et les autres actions. Pour bloquer le pays, il faudrait des grèves mais les gens n’ont pas d’argent et ne peuvent pas faire grève. C’est un gros problème !

C : Il faudrait qu’on arrive à expliquer à la population qu’il faut élargir le mouvement. Mais on ne peut pas s’exprimer sur les médias car les journalistes sont achetés par l’Etat. Comment faire pour montrer la réalité aux gens ? Les médias disent en boucle « les gilets jaunes ont cassé ! Les gilets jaunes ont cassé ! ». Nous, ils nous ont gazés, mais ça, on ne le montre pas !

Vous avez des idées pour élargir le mouvement ? En direction des syndicats par exemple ?

C : Nous sommes en contact avec la CGT, et avec Lutte ouvrière.  Nous sommes allés défiler avec eux. Au départ, ils ne voulaient pas qu’on prenne la parole. Et puis là dernièrement, ils nous ont laissé prendre la parole à leurs côtés. Ça n’a pas plu à certains syndicats, mais tant pis ! Nous ne connaissons pas bien les lois et ils peuvent nous aider ! On construit, on construit !

P : Dans les manifestations, on est parfois plus nombreux que le cortège syndical.

C : Nous ne voulons être ni un syndicat, ni un parti politique. On veut rester vraiment dans un mouvement, pour parvenir à une nouvelle façon de diriger le pays.

Pour y arriver, il faudrait peut-être un mouvement plus structuré…

C : On n’y arrivera pas du jour au lendemain, ça c’est sûr. On a déjà des morts et des blessés, et il y en aura d’autres malheureusement.

P : On est quand même un mouvement jeune, cinq mois ce n’est pas beaucoup.

Notes

[1] Cf. le reportage du média aubois Canal 32 canal32.fr/thematiques/societe/sujet/troyes-le-collectif-colere-10-veut-se-faire-connaitre-et-rassembler-du-23-fevrier-2018.html et le canal Colère 10 sur youtubeyoutube.com/channel/UClvbxUAdBYPD1eyy-L9-BEg

[2] Cf. https://abonne.lest-eclair.fr/id28588/article/2019-01-09/herve-giacomini-jai-toujours-eu-cet-esprit-de-dissidence